Eglises d'Asie – Japon
LETTRE PASTORALE DE LA CONFERENCE EPISCOPALEA propos du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre
Publié le 18/03/2010
Resolution sur la paix
à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre
La deuxième guerre mondiale est terminée depuis cinquante ans et il est donc naturel que nos esprits se tournent vers le passé et plus spécialement vers les événements qui ont provoqué la tragédie. A ce moment, nos premières pensées sont certainement pour les morts. Il est de notre devoir, dans l’humilité et la tristesse, de pleurer les vies sans nombre sacrifiées dans cette guerre et toutes les autres guerres dans lesquelles ce pays a été engagé. Illuminés par la lumière du Christ, nous, évêques catholiques du Japon, ensemble avec les fidèles, prenons cette occasion de retracer une fois encore le chemin suivi par notre nation, d’aiguiser notre conscience du péché qu’est la guerre, et de prendre la résolution à nouveau de ne pas ménager nos efforts afin de réaliser la paix dans l’avenir.
1 – LA DIGNITE DE LA VIE A LA LUMIERE DE LA BIBLE
La guerre signifie la destruction de la création et des dons de Dieu
La Bible dit : Dieu regarda tout ce qu’il avait fait et il trouva que c’était très bon (Gen. 1,3). Le monde que Dieu a créé est un monde magnifique rempli d’ordre et d’harmonie. Notre vie est le don irremplaçable de Dieu. La guerre détruit ce monde et cette vie.
La guerre est la négation de la dignité de la vie humaine
Dieu a créé l’homme à son image. C’est la mesure réelle de la dignité de l’homme. La guerre, en détruisant la vie, nie cette dignité.
La guerre amène la souffrance dans les familles
La vie de famille, bénie par Dieu, procure le repos, le soutien, la joie, l’espérance et le sens à tout être humain tout au long du voyage plein de rigueurs de la vie. La guerre sépare les femmes de leurs maris, les enfants de leurs parents. Elle déchire les familles et ne leur apporte rien d’autre que de la souffrance.
La guerre piétine l’amour qui nous a été montré sur la croix
Dieu a envoyé son fils unique en ce monde pour sauver l’homme pécheur. La mort du Christ sur la croix est la preuve de l’étendue de l’amour de Dieu pour nous. La guerre, qui méprise et piétine la vie humaine, piétine aussi l’amour de Dieu.
La guerre est contre le commandement d’amour
Jésus a donné à ses disciples un commandement d’amour : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aiméPratiquer ce commandement, c’est établir une paix véritable. Quand l’amour manque dans la manière dont nous traitons les autres, la relation devient un rapport de force : les forts dominent les faibles et ceci prépare le chemin du conflit et de la guerre.
Les gens qui, volontairement, prennent part à la guerre ferment le chemin de la vie éternelle
L’homme est né pour la vie éternelle. Nous ouvrons la voie de la vie éternelle par la pratique du commandement d’amour. Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. Quiconque n’aime pas reste dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier (1 Jn 3,14). Les agitateurs et les instigateurs de la guerre, et ceux qui y prennent part volontairement, se ferment le chemin de la vie éternelle.
2- REGARDER LE PASSE POUR S’ASSURER QU’IL Y A UN AVENIR
Le temps est venu de réfléchir sur le passé et de trouver où nous avons commis des erreurs. Cela veut dire admettre nos fautes et demander pardon. Cela veut dire accepter la responsabilité de l’indemnisation. De plus, nous devons rapidement discerner les signes ou les annonces de la guerre dans notre société et passer rapidement à l’action. Nous devons rassembler notre courage pour dire NON et pour nous opposer à tout mouvement de ce genre.
Responsabilité en tant que Japonais
Quand la Fédération des conférences épiscopales d’Asie a tenu son assemblée générale à Tokyo en 1986, Mgr Shirayanagi Seiichi (aujourd’hui cardinal), archevêque de Tokyo et président de la conférence épiscopale japonaise, fit une confession honnête concernant les responsabilités de la guerre. En tant que Japonais et en tant que membres de l’Eglise du Japon, nous, évêques du Japon, demandons le pardon de Dieu et de nos frères de la région Asie-Pacifique pour la tragédie qu’ils ont vécue à cause du Japon pendant la deuxième guerre mondiale. Durant cette guerre, nous avons été responsables de la mort de plus de vingt millions de personnes dans la région Asie-Pacifique. Cela nous attriste de savoir que les blessures que nous avons infligées se voient encore dans la vie et la culture des peuples concernés.
C’est un fait que, durant cette guerre, il y a cinquante ans, l’armée japonaise a piétiné la vie des peuples de la péninsule coréenne, de Chine, des Philippines et d’autres régions. Elle a non seulement ignoré et violé la dignité humaine de ces peuples, mais tué un nombre incalculable de civils non armés, parmi lesquels se trouvaient des femmes et des enfants.
Aujourd’hui, vivant près de nous, il y a beaucoup de Coréens du Nord et du Sud qui ont été forcés de venir ici. Il y a aussi les anciennes “femmes de confort”. Toutes ces personnes, qui crient aujourd’hui encore de colère et de douleur, sont les témoins vivants du fait que le Japon était l’agresseur dans la deuxième guerre mondiale.
Notre devoir est de reconnaître ces faits avec franchise et d’exprimer des regrets. Nous devons porter la responsabilité d’indemniser les blessures de guerre qui affectent encore les peuples d’Asie. De plus, nous voulons ici mettre l’accent sur le fait que cette responsabilité doit être assumée aussi par la nouvelle génération qui n’a pas pris part à la guerre il y a cinquante ans.
Nous devons nous souvenir aussi de la tristesse et du malheur que la guerre a provoqués chez nous au Japon. Un nombre incalculable de nos compatriotes ont perdu la vie dans les champs de bataille. Juste avant la fin de la guerre, quand les forces alliées ont débarqué à Okinawa, toute l’île est devenue une ruine fumante; sur la grande terre les maisons étaient réduites en cendres par des raids aériens répétés; des milliers de sans-abri erraient sur les bords des routes. Alors, quand les bombes atomiques sont tombées sur Nagasaki et Hiroshima, des centaines de milliers de vies ont été balayées en un instant. Un grand nombre de gens continuent à souffrir des effets de ces bombes.
Nous ne devons pas oublier que dans cette guerre nos compatriotes ont fait l’expérience d’une agonie indescriptible. Pour que leur sacrifice ne soit pas vain, demandons à la population que jamais plus elle n’accepte la guerre. Nous, qui avons fait l’expérience du pouvoir destructeur des armes nucléaires, sommes des témoins précieux et nous avons la responsabilité de continuer de demander la totale abolition des armes nucléaires.
Responsabilité en tant que communauté d’Eglise
Dans la confession de l’archevêque, citée plus haut, il y a la phrase “en tant que membres de l’Eglise au JaponC’est un appel à regarder derrière nous et à nous demander quelle aurait dû être l’attitude de la communauté d’Eglise pendant la guerre.
Avant et pendant la guerre, l’Eglise catholique au Japon était regardée avec une certaine hostilité comme une religion étrangère : elle était opprimée et persécutée. Elle était pressée par les militaires de participer à l’effort de guerre. Nous ne pouvions pas mener nos activités d’Eglise librement. C’est un fait que la fin de la guerre a été le signal d’une libération de l’Eglise au Japon.
Prenons cette opportunité de rendre hommage aux missionnaires et à toutes les personnes qui ont enduré d’extraordinaires difficultés pour soutenir l’Eglise au Japon pendant tout ce temps.
Par ailleurs nous devons confesser qu’au moment où le Japon vivait au paroxysme du nationalisme, qu’il était solidement uni derrière ses armées qui envahissaient le continent asiatique et la région du Pacifique, l’Eglise catholique du pays n’a pas pris conscience que tout cela était inhumain et très éloigné de l’Evangile. Elle n’a pas pris conscience du rôle prophétique qu’elle aurait dû jouer pour protéger la vie humaine et accomplir la volonté de Dieu.
Nous devons aujourd’hui franchement admettre ces faits. Demandons pardon à Dieu et aux hommes qui ont eu tellement à souffrir pendant la guerre. Prenons la résolution de faire pénitence pour nos péchés et prions de pouvoir tenir cette résolution. En signe de bonne volonté, chacun avec ses capacités, essayons d’utiliser quelques-uns des moyens que nous allons souligner ci-dessous.
3 – METTRE LA PAIX EN PRATIQUE
Voici quelques-uns des moyens concrets qui peuvent nous permettre à nous chrétiens de devenir des ouvriers de paix.
Avec le Christ, dans le Christ, par le Christ
La paix que nous recherchons est fondée sur la réconciliation entre Dieu et l’homme qui a été accomplie par la croix et la résurrection du Christ. Le Christ doit être au centre de notre marche vers la paix, en tant que chrétiens. Ceci ne sera possible que par l’union avec le Christ et par le soutien et la lumière du Christ.
A la dernière cène, le Christ a institué l’eucharistie dans le désir ardent que tous soient un. Par ce sacrement d’action de grâces, il éclaire notre travail de porter la paix au monde et nous donne la force d’accomplir cette tâche. Nous pouvons le faire si nous essayons sincèrement de renouveler notre foi et d’approfondir notre relation avec le Christ.
De plus, l’Eglise du Japon, qui ne ménage pas ses efforts dans le travail d’évangélisation du pays, doit essayer de contribuer à la paix dans le monde en renouvelant sa conscience de l’Evangile du Christ qui est notre paix, en le vivant et en l’enseignant. C’est le Christ qui allume la torche de l’amour dans les coeurs qui connaissent la haine et sont séparés les uns des autres par le péché. Le Christ désarme nos coeurs, guérit leurs blessures et les fonde dans l’unité des hommes et la paix permanente.
Construire un monde d’amour, de vérité, de justice et de liberté
Cinquante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, le monde que nous voyons autour de nous, chez nous et à l’étranger, reste très éloigné de la paix. A l’intérieur de notre propre nation, les familles brisées et le problème de la délinquance enfantine sont des preuves que les relations entre les gens ne sont pas toujours construites sur l’amour et la compréhension. A l’étranger, les conséquences sérieuses du colonialisme et des régimes socialistes n’ont pas disparu, et le problème Nord-Sud causé par une inégale distribution des richesses devient de plus en plus aigu. Des conflits engendrés par le nationalisme éclatent en plusieurs endroits. Il n’y a aucun signe de diminution des tensions internationales causées par les questions économiques et le trafic de la drogue. Tout ceci nous amène à la conclusion qu’il est difficile de construire la paix. Pourtant, alors même que nous admettons cela, nous ne devons pas relâcher nos efforts pour y arriver. En ce cinquantième anniversaire de la fin de la guerre, acceptons le défi en hommes et femmes de foi que nous sommes.
Mais qu’il n’y ait pas d’erreur. La paix dans le monde doit se construire sur l’harmonie de l’amour, de la vérité, de la justice et de la liberté. Même en notre temps, l’Eglise, dans plusieurs documents sociaux (1), a demandé non seulement aux catholiques mais à tous les hommes de bonne volonté de travailler à une paix fondée sur l’harmonie de l’amour, de la vérité, de la justice et de la liberté à la lumière de l’Evangile. Prenant à coeur cet enseignement et le pratiquant nous-mêmes, nous devons en parler aux autres, l’enseigner et travailler la main dans la main avec tous les hommes de bonne volonté à consolider la paix.
Vers la perception des vraies causes de la guerre terminée depuis cinquante ans
Alors que nous nous préparons à entrer dans le vingt-et-unième siècle, le pape Jean-Paul II nous appelle à réfléchir sur l’histoire passée de l’Eglise. Voici ce qu’il dit : si nous sommes conscients de ce qui s’est passé dans l’Eglise depuis mille ans (2), il est clair que nous devons bien réfléchir à tout ce qui est arrivé pour pouvoir prendre ce tournant historique. L’Eglise ne peut pas franchir le seuil du millénaire qui arrive sans conseiller à ses enfants de se purifier et de se repentir des erreurs du passé, notre infidélité, notre manque de cohérence, notre lenteur à agir et tout le reste. Admettre une faiblesse passée est un acte de sincérité et de courage qui renforce notre foi. Cela nous met en alerte à l’égard des tentations et des défis du temps présent et nous prépare à y faire face (Jean-Paul II, “Au seuil du troisième millénaire”).
Maintenant, à ce tournant de l’histoire, cinquantième anniversaire de la fin de la guerre, répondons à cet appel du pape. En tant qu’êtres humains et êtres de foi, la sincérité exige que nous jetions un regard lucide sur ce qui a amené cette guerre d’il y a cinquante ans, et que nous aiguisions notre perception de la vérité. Alors même que nous prions pour la grâce de la purification, fondée sur le repentir, acceptons le défi de travailler pour la paix dans le monde et renouvelons notre engagement à cet égard.
Pour la construction d’un monde de paix
Nous pouvons promouvoir la paix en établissant des contacts, en nous aidant et en nous comprenant les uns les autres. Chacun d’entre nous, dans sa position et dans son domaine d’influence, doit promouvoir les échanges internationaux et contribuer à la construction d’un monde plus pacifique. A cet égard, voici quelques idées pratiques:
Essayons dans une sympathie et une considération chaleureuses de restaurer les droits de l’homme chez tous ceux qui ont été opprimés et privés de ces droits pendant la guerre.
Tissons entre les peuples un grand réseau d’harmonie qui transcendera les frontières raciales et nationales.
Collaborons aux efforts qui sont faits pour aider les peuples d’Asie et du Pacifique dans leur lutte pour se suffire à eux-mêmes dans la coexistence.
Montrons notre respect pour la vie, don de Dieu, en encourageant les mouvements qui essaient de la protéger depuis le moment de la conception jusqu’à l’heure de la mort. Soutenons les courants sociaux et écologiques qui veulent protéger et nourrir la vie.
Agissons pour la prohibition du commerce des armes, l’abolition des armes nucléaires et la réduction des dépenses militaires.
Respectons les droits des femmes, des handicapés, des minorités chez nous et à l’étranger. Mettons-nous à l’oeuvre pour que soit abolie toute forme de discrimination contre des communautés spécifiques dans notre société, les Burakumins, les résidents coréens du Nord et du Sud et les travailleurs immigrés de divers pays.
Eduquons notre jeunesse pour la paix, dans nos familles, nos églises et nos écoles.
CONCLUSION
Cinquante années ont passé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Pendant cette période, grâce aux efforts de son peuple et des autres, le Japon a pu construire une société économiquement prospère. Malheureusement, cependant, sur la face cachée de cette prospérité nous trouvons des éléments dangereux très éloignés de l’Evangile, des facteurs qui menacent la vie du peuple et mettent réellement la paix en danger. En tant que catholiques, nous portons la lourde responsabilité de discerner ces éléments et de jouer notre rôle prophétique en les désignant du doigt. A ce tournant, nous, évêques, acceptant les leçons du passé, devons essayer d’en tirer de la lumière pour construire un avenir de paix. Notre prière est que tous les fidèles, de coeur et d’esprit avec nous, renouvellent les fondations de leur foi. Gardons un oeil lucide sur cette société complexe qui est la nôtre et, solidaires de tous les hommes de bonne volonté, prenons nos responsabilités pour que la paix advienne dans le monde.
25 février 1995
La conférence épiscopale catholique du Japon