Eglises d'Asie

Viol d’une religieuse catholique de 75 ans : l’Inde peine à faire son mea culpa

Publié le 16/03/2015




Une religieuse catholique septuagénaire a été victime d’un viol collectif dans l’Etat du Bengale-Occidental. L’agression s’est produite vendredi 13 mars dans le couvent de Jésus-et-Marie, situé près de la ville de Ranaghat, à quelques kilomètres de Calcutta.

L’Inde, sous le choc, dénonce la censure de son gouvernement concernant la recrudescence des actes de violences envers les femmes ainsi que les attaques antichrétiennes.

Selon Arnab Ghosh, l’un des principaux responsables de l’enquête, l’attaque aurait été soigneusement préparée. « Les images de télésurveillance montrent six hommes, âgés entre 20 et 30 ans, munis d’outils de cambriolage et d’armes pour certains, escaladant le mur d’enceinte aux alentours de 23h40, entrant dans l’école et coupant les fils du téléphone », a-t-il déclaré à l’AFP.

Ces derniers, entrés par effraction dans l’école catholique, attenante au couvent de Jésus-et-Marie, ont mis à sac les locaux. Ils ont bâillonné le garde, frappé puis ligoté les deux autres religieuses qui composaient la petite communauté, avant de violer la troisième religieuse (laquelle serait la supérieure du couvent selon l’agence Apic). Les agresseurs ont ensuite volé de l’argent liquide appartenant à l’école et se sont emparés d’un ordinateur portable et d’un téléphone mobile.

Selon la police, l’attaque du 13 mars était « un cambriolage », bien qu’il ait été constaté que les assaillants avaient vandalisé et profané l’église, lacérant les bibles, brisant les statues et emportant le ciboire contenant les hosties consacrées.

Ce lundi 16 mars, la police a annoncé avoir arrêté huit personnes, dont quatre ont pu être identifiées rapidement grâce aux caméras de surveillance. Dimanche dernier, après avoir diffusé le portrait robot des agresseurs, les forces de l’ordre avaient promis une récompense de 100 000 roupies (env. 1 500 euros) à toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les hommes recherchés.

Dans toute l’Inde ce week-end, les églises chrétiennes ont organisé des assemblées de prière et des veillées à l’intention de la victime, toujours en soins intensifs dans un hôpital de Ranaghat, ainsi qu’aux nombreuses victimes des agressions « dont le nombre ne cesse de croître ».

« Nous avons prié pour que la religieuse se remette rapidement du traumatisme, de sa peur, et de ses blessures physiques », a déclaré à lAFP l’archevêque de Calcutta, Mgr Thomas D’Souza. « Jamais une chose pareille ne s’était encore produite dans l’Etat », a-t-il affirmé, atterré.

Quant à la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), elle a fait part de sa « profonde douleur et consternation » dans une vigoureuse condamnation de l’agression ce lundi 16 mars. « Les violences physiques infligées aux religieuses, dont le viol de l’une d’entre elles âgées de 75 ans, ainsi que la profanation des hosties consacrées sont des actes inhumains et sans pitié, qui devraient engendrer la honte chez tous les citoyens indiens », a déclaré la Conférence épiscopale, ajoutant « exprimer sa solidarité avec les victimes et réclamer instamment que le ministre-président du Bengale-Occidental prenne les mesures appropriées pour appréhender les coupables et assurer la sécurité et la protection des religieuses ainsi qu’aux institutions chrétiennes, qui, par leur service désintéressé, ont tellement contribué au développement et au progrès de la nation ».

Dès que le drame a été connu, les élèves, leurs parents et plusieurs habitants de Ranaghat ont défilé dans la rue, bloquant les routes et demandant que « le gouvernement fasse justice au plus vite ».

Ce nouvel incident révèle en effet la persistance du problème des violences sexuelles en Inde, ainsi que des attaques de la minorité chrétienne, particulièrement visée. Ce lundi, la communauté chrétienne de Calcutta a prévu une grande veillée de prière aux flambeaux, suivie d’un « rassemblement de solidarité ».

« Même si l’on prétend qu’il s’agit d’un incident isolé, l’atmosphère était propice à ce genre d’attaque ; on ne peut tout simplement pas l’ignorer », a commenté le porte-parole du diocèse de Delhi, le P. Savarimuthu Sankar. Une allusion très claire à la polémique soulevée par la censure la semaine dernière par le gouvernement indien d’un documentaire sur le viol et le meurtre d’une jeune étudiante à Delhi en 2012, un drame qui avait provoqué une onde de choc en Inde et ému le monde entier.

Ce fait divers sordide avait pourtant, semblait-il, « réveillé les consciences » et les agresseurs avaient été condamnés à mort pour « crime contre l’humanité ». De nombreuses associations qui luttaient en vain depuis des années pour la reconnaissances des violences commises envers les femmes avaient profité de cette vague d’émotion pour lancer des campagnes de sensibilisation, dont l’une des plus marquantes avait été « Save our Sisters » où l’on voyait des déesses indiennes couvertes de coups et de blessures.

Mais force est de constater que, loin de diminuer, les violences envers les femmes sont en inquiétante augmentation. Selon les statistiques du National Crime Records Bureau de 2013, 93 femmes seraient violées chaque jour en Inde. Des chiffres bien en dessous de la réalité, la plupart des victimes n’osant pas porter plainte par crainte des représailles.

C’est dans ce contexte de tension que le documentaire India’s Daughter, fruit de deux années d’enquête de la britannique Leslee Udwin de la BBC sur le viol de l’étudiante à Delhi, a été interdit de diffusion sur la chaîne NDTV (1) la semaine dernière. A l’origine de la censure, l’un des moments-clés du film, l’interview de Mukesh Singh, l’un des cinq violeurs, expliquant avec calme et conviction avoir agi selon les principes de la culture indienne. Cette interview-choc, qui était destinée à dénoncer les comportements et mentalités toujours très présents en Inde, « qui font de la femme un être inférieur, n’ayant aucun droit et pouvant être traité comme un objet », a été en effet qualifié par le ministre de l’Intérieur, Rajnath Singh, d’« atteinte à la dignité des femmes », entraînant l’interdiction de l’ensemble du documentaire pour « maintien de l’ordre public ».

Le viol de la religieuse de Ranaghat vient confirmer les craintes des associations de défense des droits des femmes et des Eglises qui dénoncent le silence et la censure du gouvernement BJP concernant les violations des droits des femmes mais aussi de ceux des minorités.

Cet incident est en « rapport direct avec le développement du fanatisme religieux dans le pays, une politique religieuse qui se manifeste entre autres par la pratique du ghar wapsi (conversion de masse à l’hindouisme) », affirme pour sa part le ministre du Développement urbain, Firhad Hakim,

Malgré les réactions publiques des responsables de l’Etat du Bengale-Occidental, comme celle de Mamata Banerjee, ministre-présidente, qui a promis « des actions fortes contre cet acte odieux », ou encore du gouverneur de l’Etat, Keshari Nath Tripathi, qui a déclaré au Times of India que « toute attaque contre une institution religieuse était condamnable en soi », les déclarations n’ont été suivies d’aucune mesure concrète. Un constat dénoncé par Sunanda Mukherjee, présidente de la West Bengal Commission for Women, qui a rappelé que les responsables de l’école avaient averti la police qu’elles étaient menacées, et que cette dernière n’avait rien fait.

« Nous pouvons protester contre les violences contre les femmes jusqu’à en perdre la voix. Nous pouvons demander des sanctions plus dures pour les bourreaux. Nous pouvons critiquer nos leaders pour ne pas avoir réussi à nous débarrasser du fléau du viol. Mais cela n’empêchera pas le viol de persister ni la cruelle vérité d’éclater à nos yeux : en Inde, les difficultés d’une femme commencent dès sa conception. Sa faute ? C’est tout simple ; elle n’est pas un homme », conclut la journaliste Ritu Sharma dans un article posté sur Ucanews.

(eda/msb)