Eglises d'Asie – Philippines
Mindanao : l’enseignement catholique se réunit autour de la question du futur Bangsamoro
Publié le 12/09/2014
Au moins 3 000 représentants des écoles de la CEAP sont d’ores et déjà attendus à cette 73e session annuelle, dont le thème portera sur « le rôle de l’éducation catholique dans un monde en mutation », a rapporté le 10 septembre la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP).
Seront présents à ce séminaire différentes personnalités du monde religieux mais aussi politique, qui apporteront leur éclairage en tant qu’observateurs et négociateurs dans le conflit qui ensanglante l’île du Sud philippin depuis plus de quarante ans. Parmi ces intervenants, on comptera notamment le professeur Miriam Coronel-Ferrer (1), présidente du groupe du gouvernement philippin chargé des négociations de paix avec le principal parti indépendantiste de Mindanao, le Front moro de libération islamique (MILF).
Cette dernière mènera les travaux des congressistes lors la première journée, sur la question du processus de paix à Mindanao. Parallèlement se tiendront avec le Dr Gemma T. Narisma, de l’Observatoire de Manille pour la recherche, des échanges sur les problèmes liés à l’environnement aux Philippines.
Le deuxième jour de la session sera consacré au dialogue interreligieux et aux questions juridiques qui lui sont associées. Plusieurs groupes de travail plancheront sur le problème du système juridique à mettre en place dans la nouvelle Région autonome du Bangsamoro (« terre des Moros »), où devront cohabiter dans un cadre encore peu défini, la loi islamique (la charia) et le droit philippin pour les non-musulmans. Parmi les conférenciers invités à s’exprimer sur ces thèmes figurent plusieurs professeurs éminents, catholiques et musulmans.
Si le sujet – en apparence purement politique – de la création du Bangsamoro a été choisi cette année comme thème central des débats de l’enseignement catholique philippin, c’est non seulement en raison de la forte implication de l’Eglise dans le processus de paix à Mindanao, mais également en vue des difficultés qui ne manqueront pas de surgir au quotidien entre les communautés musulmanes et catholiques.
L’accord global sur le Bangsamoro (Comprehensive Peace Agreement on Bangsamoro, CAB) a été signé le 27 mars dernier, à l’issue de longues tractations entre le gouvernement philippin et le groupe rebelle du Front moro de libération islamique (MILF). Il prévoit la création d’une entité politique semi-autonome, administrée par la minorité musulmane très implantée dans cette partie sud de l’archipel. Le Bangsamoro devrait couvrir un peu plus du territoire de l’actuelle Région autonome musulmane de Mindanao et fonctionner selon un système juridique et judiciaire particulier, défini par une Loi fondamentale dont le cadre n’a pas encore été clairement précisé.
Les lacunes et imprécisions présentes dans le CAB sont, de l’avis des observateurs du conflit à Mindanao, autant de graines de discorde à venir. Ces questions restées en suspens risquent, au moment de la mise en application du CAB, de réveiller la guerre civile, comme cela s’est déjà produit il y a deux ans, immédiatement après la signature de l’accord-cadre du CAB en octobre 2012.
Deux conflits armés majeurs avaient éclatés, menés par le MNLF (Front moro de libération nationale), faction dissidente du MILF et exclue des accords. Les combats les plus importants avaient touché l’Etat malaisien de Sabah et la ville de Zamboanga dans le sud philippin, lesquels avaient fait plusieurs centaines de morts.
Or, « le CAB a été conclu avec le MILF uniquement et exclut le groupe séparatiste du MNLF, les armées privées, les groupes paramilitaires et les milices à l’œuvre dans la région », souligne Paula Defensor Knack, ancienne secrétaire adjointe du Département philippin pour l’Environnement et les Ressources naturelles. « Il exclut également les héritiers du sultanat de Sulu, qui ont autrefois régné sur le territoire et y ont dirigé un empire prospère, ainsi que les tribus autochtones dont les droits sont protégés par une convention des Nations Unies et qui revendiquent le territoire en tant que terre de leurs ancêtres ».
Autant de bombes à retardement qui pourraient ruiner le processus de paix et saborder la création du Bangsamoro, analysent encore certains évêques qui ont été nombreux à dénoncer « une euphorie prématurée » chez les hommes politiques chargés des négociations du traité.
L’Eglise catholique, qui a joué un rôle de médiateur et de négociateur reconnu depuis le début de la guerre civile à Mindanao, a choisi cependant de se pencher, lors de ce séminaire, sur les questions d’ordre légal et juridique, au sujet desquelles elle pourrait avoir plus de latitude pour intervenir.
Depuis longtemps, les évêques et les oulémas échangent sur les difficultés que pourrait engendrer la mise en place d’une législation spécifiquement musulmane sur un territoire où les minorités devront jouir d’un statut spécial les protégeant. L’Eglise catholique, si elle soutient depuis le début l’initiative de paix, s’est engagée à veiller à ce que les intérêts des lumads (les habitants indigènes de Mindanao) et des chrétiens soient pris en compte dans le futur ‘Territoire des Moros’. Bien qu’il ait été précisé que la charia qui serait appliquée au Bangsamoro ne concernerait que les seuls musulmans (sauf dans les cas relevant du pénal), ces dispositions continuent d’inquiéter les chrétiens, qui ont déjà eu à souffrir de dérapages de groupes islamistes lors des multiples conflits sur l’île.
Quant à la Loi fondamentale pour les Bangsamoro (Bangsamoro Basic Law) devant protéger les droits des personnes et des minorités, elle est encore en cours de finalisation, et n’a pas été validée par le Congrès, dont les membres sont loin d’admettre à l’unanimité sa compatibilité avec la Constitution des Philippines.
(eda/msb)