Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Conférence épiscopale des Philippines : contre la loi sur le divorce

Publié le 03/04/2015




Après la Semaine Sainte et les fêtes de Pâques, le Congrès philippin reprendra ses travaux. Un projet de loi visant à légaliser le divorce a été déposé par deux députées d’un petit parti et l’ordre du jour prévoit l’examen prochain de ce texte à la Chambre des représentants et au Sénat. Après avoir échoué à empêcher, …

… en 2012, le vote d’une loi « sur la santé reproductive et la parentalité responsable », l’épiscopat philippin entend lutter contre la perspective de voir le divorce être légalisé aux Philippines. Le 25 mars 2015, le président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP) a rendu public le texte ci-dessous, intitulé « CBCP Position against the Divorce Bill and against the Decriminalization of Adultery and Concubinage ». La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Soyez sobres, veillez : votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. (I Pierre 5,8)

A propos du divorce

Un sénateur de la République a récemment déclaré que le fait que les Philippines étaient le seul pays sans loi sur le divorce n’était pas un fait dont nous devrions nécessairement être fiers. A cela, je m’empresse d’ajouter : ce n’est pas non plus quelque chose dont nous devrions être honteux. Que tous les pays dans le monde à part le nôtre aient une loi sur le divorce n’est pas une raison suffisante pour que nous en ayons une. Notre Constitution est la seule au monde à inclure le mot ‘amour’, un terme d’essence non juridique. Ce n’est pas une raison pour l’en extirper de notre loi fondamentale !

Les raisons avancées jusqu’à maintenant pour légaliser le divorce peinent à convaincre. Le divorce, plaident ses avocats, est une solution adaptée aux unions qui s’avèrent tyranniques et déshumanisantes. Ces termes sont forts mais ils relèvent davantage d’une réaction viscérale que rationnelle.

L’échec d’un mariage n’est pas une raison suffisante pour divorcer. C’est davantage la preuve que seules des personnes dûment informées peuvent s’y engager. Cela prouve la sagesse de l’Eglise dans la mise en place d’une préparation au mariage sérieuse et le respect de certaines conditions canoniques. Cela prouve la complète inadéquation de la procédure actuelle prévue par la loi philippine qui ne conditionne le mariage qu’à l’enregistrement civil d’un certificat de mariage et à la participation à une préparation civile sur le planning familial.

Si en effet un conjoint s’avère non seulement être autoritaire mais tyrannique et cruel, il existe suffisamment de dispositions dans le Code de la famille, notamment celles qui régissent la séparation légale des conjoints et, dans certains cas, celles qui organisent l’annulation du mariage. Il y a en outre les dispositions bénéfiques de la loi n° 9262 relative à la protection des femmes et des enfants contre les violences conjugales.

Si, d’un autre côté, un conjoint réalise que l’autre – ou lui-même / elle-même – est psychologiquement incapable de remplir les obligations du mariage, le recours parfois abusif à l’article 36 du Code de la famille sur l’incapacité psychologique, ironiquement écrit à partir d’une disposition similaire du droit canon, est disponible.

En d’autres termes, la souffrance supposée d’un conjoint obligé de subir un mariage raté est davantage imaginaire que réelle, et ne concerne que ceux qui ne font pas appel aux solutions aujourd’hui disponibles en fonction des lois existantes.

Aussi, on doit se demander pourquoi quelqu’un souhaiterait-il un divorce si une séparation légale, une annulation ou une déclaration de nullité sont des options juridiques possibles ? La réponse est simple : le divorce permet à une personne qui a déjà été mariée de recommencer, même si elle a raté sa première expérience.

Alors qu’une personne peut essayer une voiture et la remplacer par une meilleure si l’essai n’est pas concluant, il est clairement inhumain pour les deux conjoints de permettre un « essai » à l’occasion d’un premier mariage puis d’accorder la possibilité d’un changement de conjoint si l’essai échoue. L’ironie de la situation est que les avocats du divorce sont aussi les champions des droits de l’homme – et il ne peut y avoir de violation des droits de l’homme plus claire que de traiter des êtres humains de la même manière que des voitures ou des biens ménagers !

Le divorce dissuade de travailler sur les différences. Le mariage est et devrait être une œuvre en perpétuel devenir. Il n’existe pas, sauf dans l’imagination médiocre d’écrivains à l’eau de rose, de « couple fait l’un pour l’autre » ou bien de couple où l’homme et la femme sont « parfaitement accordés ». Les unions se travaillent sur terre ; elles ne sont pas préfabriquées au Ciel ! Dès lors que le divorce sera rendu possible, les couples seront moins enclins à travailler sur leurs différences, à dialoguer et à travailler à imaginer des solutions, car il y aura une solution à portée de main pour résoudre leurs « incompatibilités ». Travailler à faire que des tempéraments différents, des attitudes éventuellement opposées et des perspectives divergentes s’harmonisent constitue un véritable défi, mais lorsque l’Etat offrira la possibilité de mettre fin à une union, on peut s’attendre à ce que les efforts mis en œuvre pour faire en sorte qu’un mariage « fonctionne » seront réduits à la portion congrue.

En toute logique, le divorce place ses partisans face au dilemme qui consiste à choisir entre faire du mariage une farce ou le lieu de l’arbitraire. En effet, une loi sur le divorce en effet donnera soit la possibilité de divorcer pour n’importe quel motif – auquel cas le mariage est réduit à n’être qu’une farce –, soit il sera accordé pour certains motifs bien précis. Mais s’il est prononcé pour des motifs précis – des différences irréconciliables entre époux, par exemple –, qui pourra dire qu’une personne est plus mise en danger par telle ou telle différence irréconciliable qu’une épouse peut l’être par les ronflements incessants de son mari la nuit ? Fixer les motifs par lesquels un divorce peut être prononcé s’avère toujours extrêmement délicat, sinon carrément fantaisiste, pour la simple raison que cela revient à assumer que quelqu’un est en position de mesurer le degré de misère ou de difficulté, pour dire qu’au-delà de tel ou tel niveau de difficulté, un divorce vaut mieux mais qu’en-deçà de ce niveau, le divorce ne peut pas être accordé. Mais comment s’y prend-on pour établir une telle hiérarchie des misères ?

Le divorce fait des enfants des victimes. La séparation des parents est toujours un acte traumatisant pour les enfants dans la mesure où ils doivent choisir entre leur père et leur mère lorsque la justice se prononce sur la question du droit de garde. La garde partagée ou les droits de visite sont de bien pauvres substituts en regard d’une vie commune sous le même toit. De plus, le divorce ouvre sur un nouveau traumatisme dès lors qu’il permet à une personne parfaitement étrangère aux enfants – le nouveau conjoint – de partager ce qui est leur quotidien.

La société devrait pouvoir compter sur des engagements irrévocables. La promesse d’un médecin de servir la vie et de ne pas la détruire, la promesse d’un fonctionnaire de servir et de défendre la Constitution, la promesse des époux d’être fidèle l’un à l’autre, la promesse d’un prêtre de refléter sur terre l’amour du Bon Pasteur pour ses brebis – toutes ces promesses sont des engagements sur lesquels la société a le droit de s’appuyer et qui interdisent à ceux qui les ont pris de les trahir. Si vous n’êtes pas en mesure de tenir vos engagements, n’en prenez pas ! Ne revendiquez pas les droits qui sont attachés à ces promesses tout en refusant les devoirs qui y sont tout autant attachés !

Dépénaliser l’adultère et le concubinage ?

L’Etat envoie des signaux à l’opinion publique et éduque les citoyens par les encouragements qu’il offre aussi bien que par les matières qu’il pénalise. En punissant les conduites offensantes, l’Etat indique où se situe son idéal de cohésion sociale et de vie en commun. Dans l’article II de la Constitution, on peut lire : « Section 12. L’Etat reconnaît le caractère sacré de la vie de famille ; il protège et renforce la famille comme institution sociale autonome fondamentale. »

L’adultère et le concubinage sont inscrits dans notre Code pénal depuis des siècles. Les rayer de la liste des crimes et délits, cela ne signifierait-il pas que le message envoyé à la société philippine est désormais que les relations et le marivaudage sexuel avec une autre personne que son époux sont permis ? Comment un tel projet de loi pourrait « protéger et renforcer la famille comme institution fondamentale de la société » ? Même s’il est vrai que l’article II de la Constitution ne fait qu’énoncer des grands principes, les directions qu’il donne orientent la législation et charpentent la jurisprudence. Si ce n’était pas le cas, ces grands principes n’auraient pas lieu de se trouver dans notre Constitution.

Selon notre loi VAWC [Anti-Violence Against Women and their Children Act, loi de 2004 – NdT] – votée pour inscrire dans le droit national les pactes internationaux tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou le Pacte sur les droits des enfants –, nous considérons la violence non seulement sous son acception physique mais aussi psychologique. Peut-il y avoir violence plus grande pour un conjoint que de voir l’autre conjoint engagé dans une relation sexuelle et entrer dans une relation intime avec une autre personne ? Comment peut-on considérer que la cohérence de notre droit sortira renforcée du fait que nous dépénalisons d’un côté ce que nous considérons comme une violence criminelle et cruelle de l’autre ?

En revanche, ce qui pourrait être fait est de supprimer la distinction, à caractère discriminatoire, qui existe entre l’adultère et le concubinage. Cela fait longtemps en effet qu’il a été noté que limiter la qualification de l’adultère uniquement aux femmes présente un indéniable caractère discriminatoire. Le concubinage, défini comme le crime par lequel un mari peut être poursuivi pour s’être engagé dans une relation extra-maritale, est plus difficile à prouver car il est défini comme étant « la cohabitation avec une autre personne dans des circonstances scandaleuses » ; quant à l’adultère, il est défini par le seul fait pour une épouse d’être surprise à avoir des relations sexuelles avec un homme autre que son mari. Il y a là une asymétrie qui devrait être corrigée.

Nous avons fait des progrès considérables en ce qui concerne la protection des femmes et des enfants. La proposition visant à voter une loi sur le divorce et à dépénaliser l’adultère et le concubinage va dans le sens contraire. Nous ne devrions pas nous prêter à la manœuvre qui consiste à soutenir une telle incohérence morale et juridique !

Que la Parole de Dieu nous guide

Des Pharisiens s’approchèrent de lui pour le mettre à l’épreuve ; ils lui demandèrent : « Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? » Il répondit : « N’avez-vous pas lu ceci ? Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme, et dit : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Les pharisiens lui répliquent : « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d’un acte de divorce avant la répudiation ? » Jésus leur répond : « C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi. Or je vous le dis : si quelqu’un renvoie sa femme – sauf en cas d’union illégitime – et qu’il en épouse une autre, il est adultère. » (Matthieu 19, 3-9)

De la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP),
25 mars 2015, Solennité de l’Annonciation.
Mgr Socrates B. Villegas,
archevêque de Lingayen-Dagupan, président de la CBCP.

(eda/ra)