Eglises d'Asie

Mindanao : après l’accord signé entre le MILF et Manille, la paix reste à construire

Publié le 31/03/2014




L’accord signé le 27 mars dernier à Manille entre le gouvernement philippin et le Front moro de libération islamique (MILF) met un terme à dix-sept années de négociations difficiles pour établir la paix à Mindanao, le Sud philippin. Sur le terrain, la paix reste toutefois à construire et la mise en place …

… d’une région autonome sur une portion significative du territoire national semble semée d’embuches.

A Malacanang, le palais présidentiel, l’atmosphère était à la joie ce 27 mars : plus d’un millier de responsables politiques avaient été conviés pour assister à la signature du dernier volet du « Comprehensive Agreement on the Bangsamoro », l’accord-cadre fondé, selon ses signataires, par « une commune aspiration à refermer les blessures du conflit en permettant la mise en place d’une vraie autonomie pour les Bangsamoro, tout en ouvrant la voie à la paix et au développement dans le Mindanao musulman ». La conseillère pour les négociations de paix du président Benigno Aquino ne cachait pas sa satisfaction, s’exclamant à l’issue de la cérémonie de signature : « Plus de guerre ! Plus d’enfants cherchant désespérément un abri ! Plus de personnes déplacées ! Plus d’injustice ! Plus de pauvreté ! Assez, nous sommes las de tout cela ! »

De fait, après quatre décennies d’une guerre plus ou moins larvée et quelque 150 000 morts, l’accord-cadre, dont la première partie avait été signée entre Manille et le groupe musulman rebelle en octobre 2012, offre une réelle perspective de paix pour ce Sud philippin où les quatre à six millions de musulmans, sur les 20 millions d’habitants que compte Mindanao, ressentent mal le fait d’être devenus minoritaires sur un territoire autrefois dominé par eux. Avec la mise en place d’une région autonome Bangsamoro (‘la terre des Moros’), processus qui devrait être achevé en 2016, la paix devient envisageable. Selon le MILF, qui a mené les négociations de ces dernières années et s’est engagé à déposer les armes, le gouvernement qui sera formé pour diriger la future région autonome « ne sera pas un gouvernement MILF mais le gouvernement des Bangsamoros ». Présent lors de la signature à Manille, le président du MILF, Al Haj Murad Ebrahim, a déclaré que le Front « ne revendiquait pas et ne revendiquera jamais pour lui seul la propriété [de l’accord de paix] ».

L’accord a été salué par la communauté internationale. L’ONU y voit « la réalisation d’un engagement sincère et profond pour la paix et le développement à Mindanao ». La Malaisie, « facilitatrice » des négociations, l’a qualifié d’« acte de courage » appelé à changer « pour toujours » l’histoire des Philippines. Des acteurs non étatiques qui ont œuvré au bon déroulement des négociations, comme l’organisation musulmane indonésienne Muhammadiyah ou la communauté Sant’Egidio à Rome, ont salué « un tournant historique ».

Sur place, aux Philippines, l’accueil est plus nuancé. La signature de l’accord est accueillie très positivement, mais beaucoup soulignent le chemin restant à accomplir avant de conclure à l’établissement de la paix à Mindanao.

Les évêques catholiques, par un communiqué signé du président de la Conférence épiscopale, Mgr Socrates Villegas, se sont « réjoui comme tous [leurs] compatriotes » de cette « étape importante » vers la paix, en précisant qu’« un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». « J’appelle le gouvernement philippin à poursuivre le processus de consultation de manière la plus large et de mener un dialogue ouvert, confiant et honnête avec les autres communautés à Mindanao, tout particulièrement avec celles qui se sentent marginalisées et ignorées, tel le MNLF », écrit le président de la Conférence épiscopale.

En citant le MNLF (Front moro de libération nationale), Mgr Villegas renvoie non seulement à l’autre principal mouvement séparatiste musulman de Mindanao dont est issu le MILF, mais aussi à l’échec qu’a été un précédent accord de paix : celui signé en 1996 entre Manille et le MNLF, qui avait abouti à la création de l’ARMM (Autonomous Region in Muslim Mindanao), toujours en place aujourd’hui mais minée par la corruption et l’inefficacité.

Or, soulignent nombre d’observateurs philippins, si le MILF s’est aujourd’hui engagé dans un processus de paix, d’autres mouvements actifs à Mindanao ont une capacité de nuisance suffisante pour menacer cette paix toute neuve. Le MNLF est l’un d’eux. Certes affaibli depuis la montée en puissance du MILF, il a néanmoins été capable en septembre dernier d’« envahir » la grande de ville de Zamboanga. Une troupe de 300 rebelles avait tenu en respect l’armée philippine un mois durant, avant que celle-ci ne lance l’assaut. L’aventure s’était soldée par plus de 200 morts et des dizaines de milliers de déplacés. L’homme fort du MNLF, Nur Misuari, qui se cache depuis dans la clandestinité, clame que Manille a trahi les promesses faites en 1996 et rejette l’accord finalisé ce 27 mars entre le MILF et le gouvernement philippin. Certains de ses proches laissent entendre que le MNLF est capable de nouvelles actions, semblables à celle menée à Zamboanga.

Un autre mouvement opposé à l’accord-cadre est le BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), issu en 2008 d’une scission du MILF. Estimant que le MILF a trahi les revendications indépendantistes du peuple moro, ses leaders appellent à la création d’« un Etat islamique » autour d’« une population islamique et d’une Constitution islamique ». Si le poids politique du mouvement est difficile à déterminer, son pouvoir de nuisance semble réel, affirment les forces armées philippines. Dans les jours qui ont précédé la signature du 27 mars, les forces de sécurité de Mindanao avaient été placées « en alerte rouge », par crainte d’une action du BIFF.

Cantonné dans les îles de Basilan, Sulu et Tawi-Tawi, qui devraient être englobées dans la future région autonome à mettre en place, le groupe Abu Sayyaf opère quant à lui à la frontière du grand banditisme et du terrorisme islamiste. Lui aussi possède un important pouvoir de nuisance, qui vient d’être démontré aujourd’hui même. Selon l’armée philippine, un commando qui appartiendrait à Abu Sayyaf a en effet enlevé ce 31 mars au petit matin la directrice d’une école de Basilan. La victime, Benitta Enriquez, âgée de 60 ans, a été kidnappée alors qu’elle circulait en voiture.

Outre le front sécuritaire, d’autres menaces pèsent sur l’accord-cadre. Sur le plan juridique, une Loi fondamentale pour les Bangsamoro (Bangsamoro Basic Law) est en cours de finalisation, mais son examen par le Congrès philippin, puis éventuellement par la Cour suprême, promet d’être délicat. Des personnalités politiques de poids, telle le sénateur Juan Ponce Enrile, ont appelé à un examen minutieux de ces textes, « l’entité Bangsamoro envisagée pouvant être contraire aux dispositions constitutionnelles relatives au territoire national ». Chacun, à Manille, a en mémoire le camouflet infligé en 2008 par la Cour suprême à la présidente d’alors, Gloria Macapagal-Arroyo, qui défendait une version précédente de l’accord-cadre signé ce 27 mars.

Sur le plan politique enfin, la mise en place de la future région autonome devra être approuvée par référendum. Rien n’indique à ce jour qu’une majorité des électeurs du Sud philippin y soit favorable.

Le 28 mars, un éditorialiste du Manila Times, un des principaux journaux du pays, mettait en garde contre tout enthousiasme prématuré. Benigno Aquino, rappelle-t-il, a promis aux dirigeants du MILF qu’il pourra tenir les promesses qu’il leur a faites. « Mais, c’est évident, il ne le pourra pas ; nous prions que l’issue de tout ceci ne soit pas une éruption de violence de la part du MILF, avec comme résultat pour Mindanao plus de chaos et d’anarchie », a écrit l’éditorialiste.

(eda/ra)