Eglises d'Asie – Inde
Lettre de menace de mort contre le cardinal Telesphore Toppo
Publié le 11/06/2015
… non-paiement d’une forte somme d’argent.
La lettre est signée d’un certain Raj Kujur, qui se présente comme le commandant de la région du Bengale située au Jharkhand, pour le Front populaire de libération d’Inde (PLFI), une faction dissidente du Parti communiste d’Inde. Affirmant que l’Eglise s’est enrichie à la faveur de son expansion dans la région, l’auteur de la lettre exige le paiement sous quinzaine de 50 millions de roupies (700 000 euros) au PLFI, sauf à s’exposer à des représailles fatales. « Vous avez fait du pognon (you have made moolah) en répandant la religion. C’est pourquoi vous devez contribuer à l’organisation [communiste] », peut-on lire dans le courrier, où il est encore écrit que s’adresser à la police ne sera d’aucun secours. « La police n’est pas en mesure d’arrêter nos hommes. Si vous ne payez pas, vous serez tué. »
En Inde, outre la puissante insurrection naxalite, plus ou moins regroupée sous la houlette du Parti communiste indien maoïste (PCI-Maoïste), le mouvement communiste indien est divisé entre le CPI et le CPI-M (M pour marxiste) depuis 1964, année de la scission du CPI consécutive à la rupture entre l’Union soviétique et la Chine de Mao. Issu du CPI, le PLFI n’est pas jugé par les experts comme étant très crédible ; dans la région de Ranchi, la perception commune est que l’apparition de ce mouvement a été suscitée par la police afin de contrer la menace, bien réelle elle, que représentent les maoïstes. Il semble toutefois que les cadres du PLFI aient échappé au contrôle de la police et agissent désormais de manière autonome. Il n’est pas rare que les hommes d’affaires, les personnes influentes et les hommes politiques fassent l’objet de tentative de racket de leur part.
A l’agence Ucanews, le cardinal Toppo s’est dit surpris de la menace reçue. Normalement, les maoïstes perçoivent plutôt positivement le travail de développement humain mené par l’Eglise auprès des populations des villages isolés de cet Etat parmi les plus pauvres du pays. Par ailleurs, précise encore le cardinal, les tensions intercommunautaires ne sont pas notables dans cette partie de l’Etat. « Nous nous demandons bien pourquoi ils agissent ainsi », a-t-il ajouté, précisant qu’il avait récemment rencontré un membre du PLFI qui lui a affirmé que l’organisation communiste n’était pas à l’origine de cette lettre de racket.
C’est en revenant d’un voyage en Allemagne que le cardinal a trouvé le courrier qui l’attendait sur son bureau. Mgr Telesphore Toppo a précisé qu’il ne se sentait pas menacé et que même si la tentative de racket était réelle, ni lui ni l’Eglise ne paieraient « faute d’argent, tout simplement ».
La police prend toutefois la menace au sérieux. Un dispositif de sécurité a été mis en place autour de la résidence épiscopale, un garde du corps a été assigné au cardinal et des investigations sont en cours. La lettre a été envoyée par courrier recommandé et un numéro de téléphone inscrit sur le bordereau postal.
Selon un travailleur social engagé dans le travail auprès des populations rurales, le PLFI demeure « fort dans certains endroits de la région » et plusieurs attaques et meurtres lui ont été imputés ces derniers temps. L’auteur de la lettre n’a sans doute pas visé l’Eglise en tant que telle, mais a ciblé le chef d’une institution perçue comme financièrement prospère. « Ils essaient de faire de l’argent là où ils pensent qu’il y en a », explique-t-il à Ucanews.
Créé en 2000 à partir de l’Etat voisin du Bihar, le Jharkhand est un Etat qui regorge de bauxite, de fer et de charbon et où les compagnies minières prolifèrent. L’Eglise catholique, qui rassemble environ 4,5 % de sa population, y est très active auprès notamment des populations aborigènes. Mgr Toppo est lui-même issu de l’ethnie oraon, de la communauté sarna (1) du Jharkhand.
Premier évêque aborigène d’Asie à accéder au cardinalat (en 2003), le cardinal Toppo, 75 ans, est considéré comme l’un des plus actifs défenseurs de l’inculturation et de la réconciliation interethnique en Inde. Ses actions en faveur de la paix et de la promotion des droits des aborigènes en ont fait une cible non pas tant des communistes ou des maoïstes que des hindouistes, ces derniers voyant en lui la personnification de l’avancée du christianisme au sein des populations aborigènes.
Le cardinal Toppo, qui est l’un des quatre cardinaux indiens, a présidé la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI) de 2004 à 2008.
(eda/ra)