Eglises d'Asie

Jharkhand : des hindouistes demandent que la statue de la « Vierge en sari » soit retirée

Publié le 02/09/2013




La polémique enflait déjà depuis juin. Dès son inauguration le 18 juin dernier par Mgr Toppo, archevêque de Ranchi, la statue de la Vierge Marie vêtue du costume traditionnel local a déclenché la colère de la communauté sarna (1).   

La statue, qui a pris place dans une église catholique de Singpur (district de Dhurwa), représente la Vierge sous les traits d’une femme aborigène au teint sombre, les cheveux ramassés en un chignon bas, portant le sari traditionnel blanc à bordure rouge, l’enfant Jésus porté sur la hanche, enveloppé dans une pièce d’étoffe à la manière indigène.

Le jour même de l’inauguration, des sarna avaient défilé dans les rues de Ranchi, capitale de l’Etat du Jharkand, afin de protester contre ce qu’ils affirmaient être « une manœuvre pour convertir les ’ tribals’ [les populations aborigènes] au christianisme ».

Malgré les dénégations des prêtres de la Société du Verbe Divin (SVD), responsables de la paroisse et commanditaires de la statue, et malgré les explications du cardinal Telesphore Toppo, archevêque de Ranchi, la polémique n’avait fait qu’augmenter au fil des semaines.

Le dimanche 25 août dernier, une foule rassemblant environ 20 000 manifestants sarna en colère a marché vers l’église de Nagri, à Singpur, dans l’intention de déloger la statue « infamante », avant d’être stoppée par les barrages de la police. Les leaders religieux sarna ont lancé alors un ultimatum à l’Eglise catholique, menaçant de déclencher des troubles graves en décembre prochain si la statue n’était pas retirée.

« Nous avons rencontré les responsables de l’Eglise en mai et nous leur avons donné trois mois pour enlever la statue », a déclaré à The Hindu le 27 août, Bandhan Tigga, l’un des prêtres du culte et leader de la manifestation. « Ils ont représenté leur Mère Marie de manière à ce qu’elle ressemble à une femme sarna : c’est une manœuvre pour nous convertir et attaquer notre culture », poursuit le chef religieux, qui ajoute qu’une « grande agitation est prévue pour contrer, non seulement cette attaque contre leur foi et leur culture, mais toutes celles menées par les publications de la Bible Society qui calomnient notre religion et la traitent de non-civilisée ».

En juin dernier, rapporte le quotidien indien, peu après l’installation de la statue devant l’église de Nagri, des membres de l’Eglise protestante de l’Assemblée de Dieu du village d’Ormanjhi, ont été agressés par des groupes de sarna, signe que le mouvement d’opposition semble aujourd’hui dirigé contre l’ensemble des chrétiens de l’Etat.

« Trois jours après l’inauguration de la statue par les catholiques, les chefs sarna ont convoqué les familles qui s’étaient converties au christianisme il y a plusieurs années à Ormanjhi et leur ont donné une semaine pour revenir à la religion sarna, a rapporté à The Hindu, l’un des pasteurs de la communauté, sous le couvert de l’anonymat. « Une semaine plus tard, ils sont venus au village et ont démoli la maison de l’un de ces nouveaux convertis. »

Ce lundi 2 septembre, John Dayal, secrétaire général du All India Christian Council (AICC), explique dans une tribune pour l’agence Ucanews ce qui, selon lui, se cache derrière la mobilisation sarna. « Ces manifestations portent la marque du Sangh Parivar, la mouvance extrémiste du Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS) et de son allié le Vishwa Hindu Parishad (VHP), (…) qui sont très présents parmi les aborigènes de cette partie de l’Inde », déclare le leader de l’AICC, également membre du Conseil national pour l’Intégration du gouvernement indien.

Avec les élections nationales qui approchent, « toute tension bien exploitée au sein des populations aborigènes ne pourra être que bénéfique pour le Bharatiya Janata Party (BJP) », le parti politique hindouiste qui vient de perdre le pouvoir dans le Jharkhand, analyse t-il.

Partout dans le monde, la Vierge Marie est représentée dans le style ethnique local sans que cela ne pose aucun problème, fait remarquer encore le secrétaire général de l’AICC, soulignant que des adaptations locales ont fleuri partout en Inde, comme celles de Notre Dame de Vellankani dont la représentation en sari de soie ‘Kancheepuram’, ornée de guirlandes de fleurs, est née sur les côtes du Tamil Nadu pour se répandre jusqu’à New Delhi.

Les sarna pratiquent une religion animiste, centrée autour du culte du soleil, de la lune et de bosquets sacrés. Or, lorsque les hindouistes ont constaté il y a quelques dizaines d’années que le le christianisme gagnait du terrain parmi les aborigènes, ils ont fait croire aux sarna que leurs croyances n’étaient que des variantes de l’hindouisme et qu’à ce titre, ils devaient les aider à défendre leur foi et leur culture, explique John Dayal.

Dès les premières tensions en mai, Mgr Toppo, lui-même issu de l’ethnie oraon, de la communauté sarna du Jharkhand, s’était évertué à plusieurs reprises à démontrer que les mobiles à l’origine de la controverse n’étaient ni religieux ni culturels, mais uniquement politiques. « C’est la politique du ‘diviser pour mieux régner’ », avait-t-il déclaré au Times of India, en juin dernier précisant que dans le cadre des prochaines élections « il y avait des personnes ayant tout intérêt à déclencher un conflit entre chrétiens et non-chrétiens ».

Premier aborigène à avoir été élevé au cardinalat, Mgr Toppo est considéré aujourd’hui comme l’un des plus actifs défenseurs de l’inculturation et de la réconciliation interethnique en Inde. Ses actions en faveur de la paix et de la promotion des droits des aborigènes en font cependant la cible de plus en plus fréquente des hindouistes.

Il reste à démontrer, conclut John Dayal, pour quelles obscures raisons les chrétiens aborigènes ne seraient pas autorisés à représenter leur Dieu et Sa mère avec leurs coutumes, leurs visages et leurs vêtements ? « La communauté catholique tribale est numériquement capable de faire valoir ses droits, mais semble-t-il, n’a pas encore pu faire entendre sa voix. »