Eglises d'Asie – Inde
Tamil Nadu : le diocèse de Tuticorin demande aux manifestants anti-nucléaires de changer de stratégie
Publié le 24/04/2012
Le 23 avril dernier, le P. William Santhanam, porte-parole de Mgr Yvon Ambroise, évêque de Tuticorin, a déclaré que l’Eglise souhaitait que les anti-nucléaires « agissent avec plus de sagesse », sachant que le gouvernement de l’Etat du Tamil Nadu se montrait désormais favorable à la centrale nucléaire de Kudankulam. A la suite des élections législatives de 2011, le gouvernement du Tamil Nadu a en effet changé, la coalition dirigée par le DMK (allié au Parti du Congrès) ayant été défaite par l’alliance réunie autour de l’AIADMK, un parti dravidien local. La présidente de ce dernier, J. Jayalalithaa, avait fait campagne contre le chantier de la centrale nucléaire, mais une fois au pouvoir elle a fait volte-face et, au nom de la lutte contre les incessantes coupures de courant, elle s’est prononcée pour le raccordement au réseau de la centrale. Celui-ci devrait intervenir vers la fin du mois de mai 2012. Selon le porte-parole de Mgr Ambroise, les catholiques « ne peuvent s’opposer au gouvernement » et l’Eglise attend « du mouvement anti-nucléaire qu’il agisse avec discernement et prudence ».
Parmi les opposants à la centrale nucléaire, les déclarations du P. Santhanam ont été froidement accueillies. Depuis des mois, des milliers de riverains de la centrale campent à Idinthakarai, un village de pêcheurs proche de Kudankulam. Harcelés par la police, ils ont décidé de durcir leur mouvement et ont annoncé une grève de la faim à compter du 1er mai prochain. Pour ces habitants de la région côtière, où les catholiques sont nombreux, la distanciation de l’évêque de Tuticorin d’avec leur lutte est perçue comme une trahison. « L’Eglise nous laisse tomber en se dissociant peu à peu de notre mouvement. Ils ont peur du gouvernement et ils veulent se préserver », dénonce Peter Milton, l’un des leaders du mouvement anti-nucléaire.
Pour les anti-nucléaires, si l’Eglise, qui tant au niveau du Conseil épiscopal du Tamil Nadu que de la Conférence épiscopale, s’était engagé dans le combat contre la centrale de Kudankulam, a changé de position, c’est qu’elle a cédé face au chantage du pouvoir central. Fin février 2012, le gouvernement fédéral avait ordonné le gel des comptes de deux organisations gérées par l’évêque de Tuticorin, accusant l’Eglise d’utiliser des fonds accordés depuis l’étranger à des fins de financement du mouvement anti-nucléaire. Selon Peter Milton, le diocèse veut protéger ses fonds. « Mais que fera l’Eglise sans ses fidèles ? Lorsque nous serons morts, que fera-t-elle de son argent ? », lance-t-il.
Au sein du PMANE (People’s Movement against Nuclear Energy), une organisation qui avait reçu le soutien de l’Eglise locale, les réactions sont également violentes. Son président, S. P. Uday Kumar, s’indigne : « Je ne suis pas chrétien et je n’ai aucun lien avec l’Eglise. Mais, selon moi, l’Eglise devrait être du côté des pauvres, du côté de ceux qui n’ont le soutien d’aucun parti politique, d’aucun bureaucrate, d’aucun homme d’affaires. »
Contacté par Eglises d’Asie, le P. Santhanam dément que la position de son évêque soit dictée par le fait que New Delhi a bloqué les comptes de deux associations du diocèse de Tuticorin. « Cela n’a rien à voir », affirme-t-il, précisant que le diocèse poursuivra en justice l’Etat fédéral pour avoir bloqué ces comptes. Il met en avant le fait que « la situation a changé » depuis que le gouvernement du Tamil Nadu a pris position en faveur du raccordement de la centrale nucléaire au réseau électrique. « La situation est très délicate, poursuit-il. Mais il est nécessaire que les opposants à la centrale changent leur stratégie. La police va durcir la répression des manifestations anti-nucléaires et nous ne souhaitons pas d’affrontements. Il est nécessaire que les parties en présence entrent en dialogue. »
Selon le porte-parole de Mgr Ambroise, la position de l’Eglise est dictée par le réalisme. « Les catholiques sont très nombreux parmi les pêcheurs qui manifestent leur opposition à la centrale. Que dira-t-on si la répression s’intensifie et qu’il y a des victimes ? Que l’Eglise les a encouragés ? Ce n’est pas possible et c’est pourquoi nous souhaitons qu’il y ait des négociations afin que les riverains obtiennent de meilleures indemnités, des compensations plus importantes et l’abandon des poursuites judiciaires déjà engagées contre certains des leaders de leur mouvement », explique le P. Santhanam.
Signé en 1988 avec l’URSS de Gorbatchev, le chantier de la centrale nucléaire de Kudankulam n’a réellement débuté qu’en 1997. L’avancée de travaux a ensuite été ralentie durant plusieurs années par les manifestations ininterrompues des habitants de la région. La mise en route des réacteurs, prévue initialement en décembre 2011, a été ajournée puis encore ralentie par le regain des manifestations déclenché par la catastrophe de Fukushima en mars 2011. Installée sur la côte, dans une région qui a été touchée par le tsunami de 2004, la centrale cristallise les oppositions entre les tenants du développement économique du pays et les défenseurs de l’environnement et des populations riveraines. Un million de personnes vivent dans un rayon de 30 km autour de la centrale. Dotée d’une technologie russe jugée moins fiable que les technologies occidentales, la centrale sera, dès sa mise en route, la plus importante d’Inde. Il est prévu qu’aux deux tranches déjà construites, quatre autres soient ajoutées d’ici quelques années.