Eglises d'Asie

Les minorités religieuses apprécient peu la promotion tous azimuts du yoga par le gouvernement de Narendra Modi

Publié le 26/06/2015




Du yoga sous la tour Eiffel, à Londres, à Sydney, 35 000 personnes réunies à Delhi… Les images de ces marées humaines en position du lotus sur leur tapis ont circulé sur les réseaux sociaux, faisant la joie de l’instigateur de l’événement. En Inde toutefois, la promotion du yoga par le gouvernement de Narendra Modi …

… n’est pas seulement vue comme un instrument de « soft power » bien pensé. La minorité musulmane accuse le gouvernement de se servir du yoga, devenu obligatoire à l’école, pour « hindouiser » la société, rapporte Melissa Almoni dans un article paru sur Rue89 (que nous reproduisons ci-dessous).
 

inde - yoga 1.jpg

 

Capture d’écran du compte Twitter du Premier ministre indien Narendra Modi, le 21 juin 2015

Dimanche 21 juin, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies pour la première journée internationale du yoga. Le Premier ministre indien Narendra Modi, tout de blanc vêtu, a fait office de prof de yoga pour l’occasion. Strict végétarien et fervent pratiquant du yoga, Narendra Modi, qui est aussi un grand maître de la communication, s’est évertué à faire de cette journée une opération de publicité réussie. Son très actif compte Twitter a tweeté et retweeté les photos de l’événement planétaire. La nouvelle application Narendra Modi Mobile a elle aussi diffusé les images des fans de yoga à travers le monde. Comme s’en félicite le gouvernement indien, deux records du monde du livre Guinness ont été brisés : celui du plus grand cours de yoga du monde et du plus cosmopolite.

Mais, n’en déplaise aux adeptes de la méditation tête sous les genoux, la grande fête du yoga soulève quelques questions. Des journalistes indiens s’interrogent sur le but réel de ce frénétique prosélytisme du yoga déployé par le gouvernement. Très répandu en Inde, le yoga rencontre déjà un franc succès à l’étranger. Quelle est donc cette nécessité de fournir tant d’efforts pour le promouvoir ?

L’Inde cherche indéniablement à mettre en place un formidable soft power afin d’exister sur la scène internationale. Mission accomplie. L’événement a été accueilli chaleureusement à l’international. Le cliché, volontairement véhiculé par le gouvernement indien, de cette Inde spirituelle a bien été largement diffusé.

Mais une raison plus profonde se cache derrière cette campagne. Les musulmans accusent le gouvernement de se servir de cette occasion pour « hindouiser » la société. Le BJP, le parti nationaliste hindou au pouvoir depuis 2014, se défend formellement de ces accusations et ne cesse d’affirmer que le yoga n’est pas hindou et appartient à tout le monde. Il fait valoir qu’il s’agit d’une pratique ancestrale indienne bonne pour la santé dont tous les Indiens devraient être fiers. Mais est-ce vraiment la place que donnent les nationalistes hindous au yoga ?

Il est vrai que le yoga est très présent dans la société indienne. Le yoga en Inde, c’est la vie quotidienne, c’est l’exercice du matin de l’Indien de la classe moyenne. C’est un moyen de guérir et de prévenir certains maux. C’est aussi une énorme machine avec quelques maîtres de yoga adulés comme des dieux et riches comme des stars de Bollywood, voire beaucoup plus.

Mais c’est également un lien particulier à l’hindouisme, la religion majoritaire de l’Inde (environ 80 % de la population). Si la pratique du yoga peut être non religieuse, il n’en reste pas moins qu’elle est un élément central de l’hindouisme. Certains historiens estiment même que le yoga prend sa source dans le culte hindou et datent sa première référence, entre -500 et -200 ans avant notre ère, dans la Bhagavad Gita, un des textes fondamentaux de l’hindouisme. D’autres réfutent cette théorie et affirment que la naissance du yoga est antérieure à celle de l’hindouisme.

Dans les récits sacrés hindous, le yoga joue un rôle important. A tel point qu’en 2010, un mouvement au sein de la diaspora indienne aux Etats-Unis a appelé à « récupérer le yoga » (« Take back yoga »), c’est-à-dire que l’on reconnaisse les origines hindoues de cette pratique spirituelle qui n’était, selon eux, devenu qu’un sport aux yeux des Occidentaux.

L’attachement porté par les nationalistes hindous au yoga peut être source de questionnements. Le ministère du Yoga, devenu un ministère à part entière depuis novembre 2014, a vu son budget passé de 9 à 40 millions d’euros en un an. Surtout, le yoga est devenu obligatoire dans les écoles et lycées.

Nombre de musulmans pratiquent le yoga. Ce qui pose problème, c’est que certaines positions du yoga sont liées à l’hindouisme. Notamment le « surya namaskar », la salutation au soleil. Le son « Om », nécessaire dans certaines positions, est un son religieux hindou. Il est considéré comme le son créateur de l’univers dans la mythologie hindoue.

C’est pourquoi rendre le yoga obligatoire a été vécu comme une attaque par la population musulmane.
Cela a conduit le All India Muslim Personal Law Board (AIMPLB), le conseil autoproclamé de défense du droit personnel musulman (il n’y a pas de Code civil en Inde), a déclaré le yoga anti-islam. La réaction du AIMPLB s’est durcie vis-à-vis du yoga, il s’est même opposé à la journée du yoga. Un de ses membres a soupçonné un lien direct entre la date de la célébration du yoga et le RSS (la branche milicienne du BJP, dont les assassins de Gandhi étaient membres). Le 21 juin est en effet l’anniversaire de la mort du premier dirigeant du RSS.

Le gouvernement, dans un geste d’apaisement, a renoncé à ce que la position du surya namaskar soit pratiquée lors de l’événement. Mais alors que Narendra Modi avait limité les dégâts, que l’attention internationale avait porté sur le succès du cours géant de yoga, pas sur les plaintes des musulmans, un accident est survenu.

La grande opération séduction par le yoga de Narendra Modi a été entachée par un tweet malheureux d’un parlementaire, qui illustre bien le tournant idéologique qu’est en train de prendre l’Inde. Au Parlement, un membre du parti au pouvoir a accusé sur son compte Twitter le vice-président de l’Union indienne, Hamid Ansari, musulman, de boycotter la cérémonie. Or, il s’est avéré que ce dernier n’avait simplement pas été invité. Le parlementaire a tenté de réparer sa bévue en expliquant qu’il ne savait pas que le vice-président était malade et a supprimé ce tweet.

Il avait également accusé la chaîne parlementaire indienne, équivalente à Public Sénat et sous l’autorité du vice-président, d’avoir refusé de retransmettre l’évènement. Ce qui est faux, puisque la cérémonie a été diffusée ainsi que trois documentaires portant sur le sujet.

« Deux questions. Est-ce que RS TV [Rajya Sabha TV, la télévision publique] financée par les contribuables n’a absolument pas couvert l’événement de la journée du yoga ? Alors que le président a participé, le vice-président n’est pas venu ? », interroge ce parlementaire dans un tweet.

Capture d’écran du tweet du parlementaire Ram Madhav

 

Avant de se rétracter peu après : « J’ai été informé que le vice-président était indisposé. Je retire mon tweet. Mes excuses car l’institution du vice-président mérite le respect. »


Capture d’écran d’un tweet de Ram Madhav

De son côté, le vice-président a assuré de sa bonne santé et affirmé qu’il aurait participé avec plaisir s’il avait été invité. Le gouvernement a dû s’expliquer quant à l’exclusion d’un si haut dignitaire à une cérémonie nationale. Selon la justification officielle, le gouvernement ne pouvait pas raisonnablement inviter le vice-président à un événement dirigé par le Premier ministre.

Les tensions entre les musulmans et le BJP sur la question du yoga se sont ravivées. C’est un argument récurrent des membres du BJP que d’accuser les musulmans indiens de ne pas être de bons patriotes. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le vice-président Hamid Ansari a dû prouver son allégeance à la patrie indienne.

Lors de la fête de la République, les médias lui étaient tombés dessus pour ne pas avoir salué le drapeau indien. Or, il ne faisait que respecter le protocole comme ses confrères – hindous – du gouvernement qui n’ont pas non plus bougé devant le drapeau mais qui n’ont pas subi l’interrogatoire de la presse et des membres du BJP.

Narendra Modi porte son projet de création d’une journée internationale du yoga depuis des mois et a utilisé des moyens dignes d’une fête nationale pour sa promotion et sa réalisation. A tel point que c’en est presque devenu une. Assister à la cérémonie est devenu une preuve de patriotisme. Tous les citoyens ont été chaudement invités à y prendre part.

Yogi Adityanath, député du BJP au Parlement et aussi prêtre hindou, n’a pas fait dans la dentelle : « Ceux qui s’opposent au surya namaskar devraient se noyer dans l’océan. » Ou même « quitter l’Inde » – en employant le terme « hindustan ». Il a ajouté : « Ceux qui essayent de faire du surya namaskar une question religieuse devraient rester enfermés chez eux dans l’obscurité pour le reste de leur vie. » Il aurait également suggéré que ceux qui ne participent pas à la journée du yoga partent au Pakistan.

Face à l’extrémisme de ses propos, le gouvernement s’est désolidarisé du parlementaire, qui n’en est d’ailleurs pas à ses premières controverses. Il avait auparavant avancé l’idée que les musulmans opéraient un « love djihad ». Ils feraient exprès de séduire les jeunes femmes hindoues pour les convertir et ainsi, à terme, dominer démographiquement les hindous. Les musulmans représentent 14 % de la population indienne.

Narendra Modi est souvent confronté aux débordements des membres les plus radicaux de son parti. Alors qu’il œuvre pour améliorer l’image du parti et la sienne, des propos de ce type viennent rappeler l’idéologie fondamentale qui sous-tend le BJP, l’hindutva : la fierté de l’hindouisme et sa protection face aux forces jugées extérieures, telles que l’islam, le christianisme, les mœurs occidentales… Loin de la relaxation et de l’apaisement de l’âme escomptés, le yoga a replongé l’Inde dans ses tensions internes. La sagesse qu’il est censé apporter semble échapper à certains de ses plus grands défendeurs.

(eda/ra)