Eglises d'Asie – Inde
La grève de la faim du militant Anna Hazare embarrasse le gouvernement et divise les chrétiens
Publié le 19/08/2011
… – malgré l’interdiction des autorités qui ne lui avaient accordé que 72 heures de jeûne en public –, un mouvement de protestation sans précédent a gagné toute l’Inde, la foule se rassemblant spontanément pour demander la libération du militant. Hier soir, mercredi 17 août, plus de 25 000 manifestants étaient massés devant le Parlement à New-Delhi, tandis que dans les principales villes du pays dont Mumbai (Bombay), Guwahati, Chennai (Madras), Hyderabad, ou encore Bangalore, des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour des veillées aux flambeaux marquant la « Journée noire de la démocratie ».
Anna Hazare avait déjà mené une grève de la faim en avril dernier et obtenu du gouvernement au bout de cinq jours seulement que son projet de loi anti-corruption (Lokpal Bill) soit présenté au Parlement. Mais lorsque le projet, revu par les autorités, avait été rendu public fin juillet, le militant avait dénoncé une réforme vidée de sa substance, contestant notamment l’immunité accordée au Premier ministre, aux hauts magistrats et aux fonctionnaires, les protégeant de toute poursuite pour corruption durant leur mandat (1). Après avoir demandé en vain la modification du texte, le leader du mouvement contre la corruption avait annoncé qu’il entamerait le mardi 16 août un nouveau jeûne « jusqu’à la mort » selon la tactique éprouvée par Gandhi dont il revendique ouvertement l’héritage.
Le mouvement de protestation déclenché par l’arrestation, puis la mise en détention provisoire d’Anna Hazare le16 août avait pris une telle ampleur que la police avait annoncé sa libération le soir même. Le militant avait cependant refusé de sortir de prison et de s’alimenter tant que les autorités ne l’autoriseraient pas à poursuivre sa grève de la faim, en public, et de façon illimitée (et non plus « jusqu’à la mort »). Faisant une nouvelle fois plier le gouvernement, l’activiste a obtenu ce jeudi de pouvoir jeûner sur l’esplanade de Ramlila Maidan – laquelle peut accueillir plusieurs milliers de personnes – durant quinze jours, soit jusqu’au 2 septembre. Il devrait quitter sa cellule demain vendredi 19 août, mais la foule l’attend déjà devant la prison de Tihar Jail de New-Delhi, où, ironie du sort, de nombreux politiciens écroués pour corruption purgent leur peine.
L’Eglise catholique, qui avait accordé officiellement son soutien à la campagne anti-corruption d’Anna Hazare en avril dernier (2), semble aujourd’hui divisée sur la question. Pourtant, lors du lancement du jeûne du 5 avril, un grand nombre de prêtres et de religieuses catholiques étaient présents et Mgr Vincent Concessao, archevêque de Delhi, avait appelé l’Eglise de l’Inde à soutenir la Lokpal Bill et à « se dresser contre la corruption ».
Le P. Cedrick Prakash, prêtre jésuite très engagé dans la lutte anti-corruption et la défense des droits de l’homme, avait déclaré de son côté que « les chrétiens qui ne combattaient pas la corruption n’étaient pas dignes d’être appelés disciples du Christ ». Membre du mouvement lancé par Anna Hazare, « l’Inde contre la corruption », tout comme Mgr Concessao, il qualifiait encore le 17 août dernier l’arrestation du militant d’« acte complètement inacceptable » et rappelait qu’« en démocratie, chacun avait le droit de protester pacifiquement ».
Mais devant l’ampleur des manifestations et leur transformation rapide en opposition ouverte contre le gouvernement fédéral, le prêtre jésuite a tout récemment fait des déclarations plus réservées. « Je m’inquiète de la réaction paniquée du gouvernement qui a eu pour conséquence ce grand mouvement populaire », a-t-il expliqué, concédant que bien que « soutenant la lutte contre la corruption qui doit être menée fermement », il pensait toutefois qu’« Anna Hazare, pour le bien du pays, devrait se montrer ouvert au dialogue et témoigner de moins d’entêtement », surtout maintenant que « le gouvernement avait reconnu avoir fait une erreur [en l’arrêtant] ».
Par ces propos, le P. Prakash rejoint bon nombre de responsables d’Eglise qui, depuis les événements de mardi dernier, craignent une radicalisation du mouvement de protestation. A Mangalore, les manifestations de soutien au militant anti-corruption ont été prétexte à un vaste déploiement des jeunes hindouistes, encadrés par le BJP (Parti du peuple indien, droite nationaliste), scandant des slogans contre le « gouvernement corrompu de Manmohan Singh » (3).
Dès les premières manifestations au soir du 17 août, l’Eglise catholique avait appelé au calme et à la réserve par la voix du cardinal Oswald Gracias : « Il faut à tout prix éviter un durcissement des positions de part et d’autre. Nous devons travailler ensemble pour trouver le moyen de mettre fin à la corruption dans le pays et [pour résoudre] cette crise. »
Critiquant l’attitude intransigeante des deux parties, le P. Babu Joseph, porte-parole de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), avait rappelé que le dialogue devait primer sur le rapport de force. « Il n’y a aucune raison à toute cette agitation, alors que le gouvernement est justement en train de faire passer une loi contre la corruption », avait souligné le prêtre catholique, ajoutant que l’attitude « jusqu’au-boutiste » d’Anna Hazare ne se justifiait plus et qu’« un pays ne pouvait laisser la rue lui dicter ses lois ».
Un avis qui n’est pas partagé par Samuel Jaikumar, du Conseil national des Eglises de l’Inde (NCCI), un rassemblement d’Eglises orthodoxes et protestantes. Soutenant la nouvelle grève de la faim d’Anna Hazare, il pense tout au contraire « qu’il faut profiter du fait que la loi est en discussion au Parlement pour obtenir du gouvernement une législation plus sévère ».
Ce soir, dans l’attente de la libération d’Anna Hazare, ses milliers de sympathisants se rassemblent dans tous les Etats de l’Inde, de l’Himachal Pradesh au Tamil Nadu, multipliant les manifestations de soutien et de protestation. Les références à Gandhi sont omniprésentes chez les manifestants qui déploient des banderoles où l’on peut lire : « Gandhi, père de la nation, Hazare, père de la nation libérée de la corruption » (4).
A l’heure où nous publions cette dépêche, nous apprenons que la Chambre Haute du Parlement indien a aujourd’hui pour la première fois condamné pour corruption un haut magistrat. Soumitra Sen, 53 ans, juge à la Haute Cour de Calcutta, a été reconnu coupable d’importants détournements de fonds publics.