Eglises d'Asie – Indonésie
L’Indonésie abroge l’obligation de la mention de la religion sur la carte d’identité
Publié le 29/05/2015
… d’identité ou inscrire la religion de leur choix, y compris si celle-ci ne fait pas partie des six religions officiellement reconnues.
Ce faisant, le ministre de l’Intérieur a tranché un débat récurrent depuis des années en Indonésie, à savoir si cette obligation de mention de la religion sur les documents d’identité était ou non une mesure contribuant à la défense de la liberté religieuse. La mesure étant très sensible, le ministre a pris soin de la présenter comme étant de nature « administrative » et qu’elle avait reçu l’assentiment du ministère des Affaires religieuses ainsi que celui du MUI, le Conseil des oulémas d’Indonésie. Il y a quelques mois, peu après sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur au sein du cabinet nouvellement formé du président Joko Widodo, Tjahjo Kumolo avait déclaré que « si [l’Indonésie] protège les religions pour le bien du peuple, le pays n’était ni un pays laïque ni un pays fondé sur la religion ».
La mention obligatoire de la religion sur la carte d’identité (KTP, Kartu Tanda Penduduk) n’a pas toujours eu cours en Indonésie. Elle remonte au régime de l’Ordre Nouveau du président Suharto (1966-1998) et avait été instaurée alors que chaque Indonésien devait fournir la preuve qu’il n’était pas communiste ; les communistes étant supposés athées, les Indonésiens, en indiquant sur leur carte d’identité, leur appartenance à l’une des cinq religions reconnues (islam, hindouisme, bouddhisme, protestantisme et catholicisme), montraient ainsi leur non-appartenance au communisme. En janvier 2000, à titre de geste de considération envers la communauté sino-indonésienne, le confucianisme avait été ajouté à cette liste des religions officiellement reconnues. Et il existe également une septième possibilité (s’inscrire sous l’intitulé « autre » à la rubrique ‘religion’) afin de permettre aux tenants des aliran kepercayan (‘croyances traditionnelles’, à savoir les animistes) de se doter d’une carte d’identité sans avoir à se reconnaître dans l’une ou l’autre des religions officiellement reconnues.
Depuis des années, cette obligation de mention de la religion était vivement critiquée par certains et ardemment défendues par d’autres. Les critiques indiquaient que cette obligation conduisait les millions d’Indonésiens adeptes des cultes non reconnus officiellement (et la Conférence indonésienne sur la religion et la paix en dénombre plus de 245) à se déclarer musulmans, la religion dominante du pays, afin d’avoir accès à des emplois dans la fonction publique et à d’autres services dont ils sont souvent écartés (soins, éducation, etc.) ; ils ajoutaient que les membres de communautés religieuses stigmatisées (comme certains chrétiens dans des régions fortement islamisées ou des minorités issues de l’islam, tels les Ahmadis, mais perçues comme hérétiques par les musulmans) se trouvaient contraints à se déclarer musulmans pour échapper aux persécutions ; ils précisaient encore qu’un certain nombre d’Indonésiens renonçaient à demander une carte d’identité pour éviter de se reconnaître dans l’une ou l’autre des six religions reconnues mais à laquelle ils n’adhéraient pas.
Pour les partisans de la mention de la religion, cette mesure était au contraire nécessaire car, affirmait par exemple un dirigeant de la Nahdlatul Ulama, la principale organisation musulmane de masse du pays, « connaître la religion de chaque citoyen permet d’être plus ouvert à la tolérance ». D’autres indiquaient que le maintien de la mention de la religion sur la carte d’identité contribuait à empêcher de nombreuses illégalités, notamment « les mariages interreligieux illégaux ».
Le 20 mai, le ministre de l’Intérieur a pris soin de rester sur un terrain technique pour justifier l’abrogation de l’obligation de déclaration d’appartenance religieuse. Sur le fait que les Indonésiens étaient désormais libres d’indiquer la croyance de leur choix sur la carte d’identité, il a expliqué que l’objectif recherché était de disposer d’informations précises pour les rites funéraires à observer en cas de décès d’une personne. Il a aussi ajouté : « Il ne faut pas forcer les personnes, par exemple, à choisir l’islam si leur croyance ressemble aux enseignements islamiques mais ne correspond pas exactement à l’islam ; même chose pour quelqu’un qui croit à quelque chose qui est proche des enseignements du catholicisme mais qui n’est pas exactement la religion catholique. »
La portée de la mesure prise le 20 mai reste à définir, mais, selon les commentateurs indonésiens, elle ne pourra pas rester sans conséquences. Le recensement de 2010 indiquait que les 237 millions d’Indonésiens se répartissaient ainsi : 86 % de musulmans, 6 % de protestants, 3 % de catholiques, 2 % d’hindous. Etant donné le nombre supposé important de citoyens se déclarant musulmans depuis l’époque de Suharto par crainte de subir des violences ou des discriminations, la suppression de l’indication de la religion sur la carte d’identité pourrait redessiner le paysage religieux de l’Indonésie d’aujourd’hui, indiquait le Jakarta Post en décembre 2013. De plus, les institutions indonésiennes étant fondées depuis la proclamation de la République en 1949 sur le « Pancasila » (les cinq principes dont la base est la croyance en un Dieu unique), la reconnaissance implicite des religions indigènes induit de repenser ce qu’est la religion (‘agama’). Le 21 mai dernier, le président de la Nahdlatul Ulama (NU), Said Aqil Siradj, a déclaré que l’Indonésie avait été fondée sur les valeurs de la paix et de la tolérance, et non sur la base des enseignements de l’islam. « Dès avant l’Indépendance, les membres de la NU ont affirmé que nous fondions un darussalam (un pays pacifique) et non un darul Islam (‘Cité de l’Islam’) », a-t-il déclaré, précisant que ces principes étaient toujours d’actualité.
(eda/ra)