Eglises d'Asie

Le gouvernement relance le débat sur la mise en place d’une loi anti-conversion au plan fédéral

Publié le 22/04/2015




En dépit des obstacles politiques et constitutionnels auxquels il se heurte, le gouvernement BJP de Narendra Modi relance le débat sur la mise en place, au plan fédéral, d’une loi anti-conversion.

Depuis son accession au pouvoir à New Delhi, en mai dernier, le nationaliste hindou Narendra Modi s’est bien gardé de se prononcer directement sur la question de la conversion, un thème très sensible en Inde où les responsables du BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien) prônent l’idéologie de l’hindutva, selon laquelle la nation indienne est dans son essence hindoue. Ses ministres, en revanche, se sont à plusieurs reprises prononcés en faveur de la mise en place de mesures destinées à « protéger la religion hindoue », laquelle serait menacée par l’essor des minorités religieuses, musulmane et chrétienne notamment. En décembre dernier, à la chambre basse du Parlement, le ministre des Affaires parlementaires avait fait sensation en appelant au vote d’une loi anti-conversion au plan fédéral. Le 23 mars dernier, le ministre fédéral de l’Intérieur, Rajnath Singh, relançait l’affaire, en appelant à la mise en place d’« un débat national » sur la question de la conversion et la nécessité d’une loi anti-conversion.

Ce 15 avril, un avis émanant du ministère fédéral des Lois et de la Justice a mis un coup d’arrêt aux velléités du gouvernement fédéral en ce domaine. Les juristes du ministère ont en effet déclaré qu’une éventuelle loi fédérale visant à restreindre les possibilités de changement de religion s’inscrirait en contradiction avec les dispositions prévues par la Constitution de l’Union indienne qui stipulent qu’une loi touchant à ce domaine relève non du plan fédéral mais des législations propres à chacun des Etats et territoires de l’Union.

Le débat sur la nécessité d’une loi anti-conversion au plan fédéral est un débat déjà ancien en Inde et il a toujours été lié au BJP, ou plus exactement à son prédécesseur, le Janata Party (Parti du peuple). En 1978, un membre du Janata Party, au pouvoir depuis les élections de 1977 et la défaite subséquente du Parti du Congrès, présenta au Lok Sabha, la chambre basse du Parlement, un projet de loi intitulé : « Freedom of Religion Bill ». Initiative vouée à l’échec, mais remise au goût du jour en 1999 lorsque le Premier ministre de l’époque, Atal Bihari Vajpayee, du BJP (au pouvoir de 1998 à 2004), affirma qu’une série d’attaques contre des églises chrétiennes au Gujarat trouvait son origine dans les conversions d’hindous au christianisme et que l’harmonie sociale serait bien mieux défendue si une loi anti-conversion était votée. Le Gujarat, qui était alors dirigé par Narendra Modi, vota une loi anti-conversion mais la manœuvre échoua au plan fédéral.

Aujourd’hui, sur les vingt-neuf Etats que compte l’Union indienne, sept ont voté une loi anti-conversion. Avant le Gujarat, les assemblées législatives de l’Arunachal Pradesh, de l’Orissa, du Madhya Pradesh, du Chhattisgarh et du Rajasthan avaient légiféré en ce sens. Plus tard, l’Himachal Pradesh les a rejoints, ainsi que le Tamil Nadu (mais, dans ce dernier Etat du sud du pays où les chrétiens sont nombreux, la loi a été rapidement abrogée). A chaque fois, ces lois anti-conversion, qui punissent les conversions obtenues par « la force » ou « des moyens frauduleux », se sont appuyées sur la notion de défense de « l’ordre public », domaine placé sous la responsabilité des Etats de l’Union.

Pour Sadanand Gowda, ministre fédéral des Lois et de la Justice, l’avis émis par les juristes de son ministère ne clôt pas le débat sur la possibilité ou non d’une loi anti-conversion au plan fédéral. Il met en avant le fait que la Constitution instaure des « domaines partagés » entre ce qui est du ressort de l’Etat fédéral et ce qui incombe aux Etats de l’Union. « Plusieurs éléments doivent être pris en considération. La pratique religieuse et la conversion font partie du ‘domaine de compétence partagé’ », explique-t-il à l’agence Ucanews, sans préciser plus avant sa pensée.

Selon une source interne au BJP citée par Ucanews, le parti nationaliste hindou ferait actuellement plancher ses juristes pour voir dans quelle mesure les lois fédérales peuvent prévaloir sur les lois des Etats dans les domaines où il existe un conflit de compétence. Mais des analystes politiques mettent en avant qu’au cas où le BJP parvienne à présenter une loi anti-conversion au Parlement fédéral, le vote de celle-ci n’est pas acquis car si la coalition emmenée par le BJP contrôle le Lok Sabha, elle est minoritaire à la chambre haute, le Rajya Sabha (ou Conseil des Etats). Des commentateurs mettent également en avant que l’agitation créée autour de ce projet de loi anti-conversion n’est sans doute pas étrangère au fait que le BJP cherche à conquérir le Bihar et l’Uttar Pradesh, deux Etats où des élections législatives vont bientôt avoir lieu.

Pour les opposants à une éventuelle loi anti-conversion, les projets de New Delhi sont néanmoins inquiétants. Navaid Hamid, secrétaire du Conseil d’Asie du Sud pour les minorités, dénonce « les intentions biaisées du gouvernement central qui vise à restreindre la liberté de religion et la liberté de chacun à vivre selon sa foi ». « Le gouvernement BJP ne respecte pas la Constitution. Il cherche à attenter aux droits fondamentaux des minorités. Son ordre du jour est communautariste, contraire aux droits des femmes et des minorités, et mènera le pays en arrière », dénonce ce responsable musulman.

Selon le P. Paul Thelakkat, porte-parole de l’Eglise catholique syro-malabare, nul besoin de voter des lois restreignant les conversions en Inde, que ce soit au niveau fédéral ou dans les Etats. « Il y a suffisamment de lois dans ce pays pour sanctionner ceux qui troublent l’ordre public ou l’harmonie sociale », explique-t-il, en dénonçant la vision portée par les nationalistes hindous selon laquelle l’hindouisme, religion très largement majoritaire en Inde, serait en passe de devenir une religion minoritaire. « Il est très dommageable que les responsables hindous n’aient pas plus confiance dans la vérité et la force de la religion qu’ils professent. Le BJP entretient l’idée que la religion hindoue ne survivra pas à ses contacts avec d’autres religions et c’est pourquoi ils tentent d’ériger des défenses législatives pour protéger leur propre religion », analyse-t-il encore.

Depuis dix mois que le BJP est au pouvoir à New Delhi, les organisations de défense des droits de l’homme ont dénombré 168 incidents violents ciblant les chrétiens (2,3 % de la population indienne). L’un des derniers en date s’est produit le 15 avril à Agra (en Uttar Pradesh), où une église catholique a été vandalisée. Le responsable d’une organisation extrémiste hindoue, l’Akhil Bharatiya Hindu Mahasabha (‘Assemblée entièrement indienne et hindoue’), a justifié cette attaque en déclarant que les actions de ce type n’étaient pas « illégales » et « ne violaient aucune loi » car « les églises n’étaient plus des lieux de culte mais des usines à convertir les hindous au christianisme ». Ce même responsable a également déclaré que le Taj Mahal, célébrissime mausolée de marbre blanc construit par l’empereur moghol Shah Jahan en mémoire de son épouse, situé à Agra, était un temple dédié au dieu hindou Shiva et qu’il connaîtrait le même sort que la mosquée de Babri Masjid (1). Des avocats ont déposé une requête pour que le Taj Mahal soit désormais inscrit comme « temple dédié à Shiva ».

(eda/ra)