Eglises d'Asie

Les Eglises chrétiennes pointent du doigt le problème de la déclaration de religion dans le cadre du recensement de la population

Publié le 08/04/2010




Alors que commence le recensement de la population du deuxième pays le plus peuplé de la planète, certains responsables de l’Eglise catholique en Inde ont exprimé leurs inquiétudes quant à la façon dont sera traitée pour chaque individu l’appartenance à une religion.« Le plus grand recensement de population jamais réalisé de toute l’histoire de l’humanité », …

… selon le ministre de l’Intérieur, Palaniappan Chidambaram, a commencé jeudi dernier, 1er avril. Chaque résident de l’Inde, et non pas seulement chaque citoyen indien, âgé de plus de 15 ans, devra se soumettre à des relevés biométriques (photographie, empreintes digitales, particularités morphologiques) afin qu’à terme tous soient dotés d’une carte d’identité, une première dans l’histoire de l’Inde. Cette grande nouveauté permettra aux Indiens de se dispenser de fournir à chaque démarche une multitude de documents prouvant leur identité (1). Pour s’atteler à la tâche titanesque consistant à dénombrer précisément une population estimée actuellement à 1,2 milliard de personnes, 2,5 millions d’agents de l’Etat se rendront dans plus de 630 000 villages et 7 000 villes. L’opération devrait prendre, selon les autorités, un peu plus de onze mois (2).

Baptisé « Census 2011 », ce recensement est le 15e réalisé en Inde depuis l’époque coloniale (3), mais il a ceci de particulier qu’il s’accompagnera d’une enquête, tout aussi gigantesque, ayant pour but de dresser un « état des lieux » de la population indienne actuelle et d’établir la première base de données jamais enregistrées en Inde sur ses habitants. Il permettra également d’identifier tous les contribuables imposables, qui, en raison des failles de l’administration et de la corruption des fonctionnaires, sont nombreux à passer à travers les mailles du filet fiscal (seuls 7 % des Indiens paieraient des impôts sur le revenu).

Dans un premier temps, les agents du recensement, des fonctionnaires du gouvernement, des enseignants ou encore des responsables locaux, feront du porte-à-porte pour recueillir les renseignements demandés sur chaque foyer : nombre de personnes par famille, statut marital, ascendance, niveau d’éducation, profession, etc. Pour la première fois, ils noteront les revenus de chaque foyer, le nombre de comptes en banques, d’ordinateurs ou encore de téléphones portables. Toujours afin de mieux connaître les conditions de vie des habitants, seront pris en compte l’accès à l’eau, à l’électricité, à Internet, et jusqu’aux matériaux de construction des maisons.

« Cette première phase du recensement ne couvrira que les questions domestiques. Mais nous sommes inquiets au sujet de la deuxième phase, où il s’agira de la religion », a expliqué à l’agence Ucanews le 6 avril 2010, le Rév. Enos Pradhan, secrétaire général de l’Eglise de l’Inde du Nord, d’obédience protestante. La deuxième phase du recensement vise en effet un projet encore plus ambitieux, qui consistera à effectuer le véritable comptage de la population ainsi que la collecte de données inédites, d’ordre démographique, économique, socioculturel, afin d’établir le premier fichier informatisé de la population indienne.

De nombreuses difficultés sont d’ores et déjà à craindre : en tout premier lieu, l’opposition des maoïstes, actifs dans 20 des 28 Etats de l’Inde (4). Mardi 6 avril encore, une embuscade maoïste dans l’Etat du Chhattisgarh a fait plus de 75 morts parmi les forces de l’ordre ainsi que des dizaines de blessés. Il s’agirait du plus important massacré perpétré par les rebelles contre la police. Le gouvernement, comme le soulignait avec ironie le quotidien Hindustan Times du 2 avril dernier, avait pourtant assuré aux maoïstes qu’ils pourraient venir se faire recenser sans craindre d’être arrêtés et obtenir une carte d’identité officielle avant de retourner dans la clandestinité.

Parmi les défis lancés par « Census 2011 », donner une identité aux milliers de sans-abris, qui vivent et dorment dans les rues des mégapoles indiennes, ne sera pas le moindre. L’enregistrement de ces citoyens ignorés aura également pour but de contrôler l’immigration clandestine, une préoccupation majeure du gouvernement. D’autres obstacles pourraient encore être évoqués, comme l’illettrisme d’une grande partie de la population (qui ignore souvent son âge exact), les difficultés d’accès à certains territoires occupés par les aborigènes, et le casse-tête que représentera l’enregistrement de la religion et de la caste.

C’est sur ce dernier point que les Eglises chrétiennes, qui avaient tout d’abord accueilli favorablement le recensement, considérant qu’il permettrait de mieux évaluer les besoins de la population, ont fait part de leur inquiétude, en particulier au sujet des chrétiens d’origine dalit (ex-« intouchables »). En effet, bien que le gouvernement ait assuré qu’il ne serait pas fait mention de la caste dans le cadre du recensement (sauf au Bengale occidental qui a demandé à inscrire cette « indication majeure »), l’appartenance aux catégories « répertoriées » accordant des avantages au nom de la politique de discrimination positive sera, en revanche, bien déclarée. Or, ces catégories, les Scheduled Castes (SC) et les Scheduled Tribes (ST), qui désignent des « hors-castes », excluent les chrétiens et les musulmans d’origine dalit, au prétexte que ces deux religions ne reconnaissent pas le système des castes.

Lors du dernier recensement de 2001, les statistiques officielles avaient dénombré 24 millions de chrétiens, une sous-estimation patente au regard des données dont disposent les organisations d’Eglises (5). Pour les communautés chrétiennes, la minoration de leur nombre est due en grande partie au fait que de nombreux chrétiens dalit se sont sentis obligés de s’inscrire comme hindous, craignant pour certains des représailles dans les régions où ils sont persécutés et appréhendant pour d’autres de perdre leur statut de SC (6). Les dalit représenteraient pourtant plus de 60 % de la communauté chrétienne en Inde, une réalité largement sous-évaluée pour ces raisons.

Selon le P. Babu Joseph, porte-parole de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, les chrétiens ont bien conscience qu’il y a un « réel problème » pour leurs frères dalit à révéler leur appartenance religieuse. Il précise qu’à maintes reprises, les Eglises ont demandé, en vain, au gouvernement l’élargissement des mesures de discrimination positive à tous les dalit, sans distinction de religion (7).