Eglises d'Asie

Au Kerala, chrétiens et musulmans dénoncent un projet de loi vigoureusement anti-nataliste

Publié le 27/09/2011




 Dans l’Etat méridional du Kerala, chrétiens et musulmans dénoncent avec vigueur un projet de loi anti-nataliste mis à l’étude par les autorités locales. Selon le P. Stephen Alathara, porte-parole de la Conférence des évêques catholiques du Kerala (KCBC), le texte envisagé vise « à saper les valeurs familiales et à diviser la société ».

 Le Kerala Women’s Code Bill est encore à l’état de projet. Etant donné la sensibilité politique des questions liées à la démographie, un comité, présidé par un ancien juge à la Cour suprême, V. R. Krishna Iyer, a été chargé par le gouvernement du Kerala de mener de larges consultations avant d’arrêter un texte final. En son état actuel, la future loi présente des accents ouvertement anti-natalistes. Afin de contrôler la croissance démographique dans l’Etat, il est ainsi envisagé d’imposer une amende de 10 000 roupies (150 euros) ou une peine de trois mois de prison aux parents qui décideraient de mettre au monde un troisième enfant. Les personnes enfreignant cette norme de deux enfants par famille se verraient également privés des aides sociales publiques et n’auraient pas le droit de se présenter aux élections locales (panchayat, etc.).

Dans la longue histoire de la politique démographique de l’Inde, les mesures envisagées par le gouvernement du Kerala apparaissent inédites. Si, au cours des cinquante dernières années, cette politique, qui peut être caractérisée par son caractère à la fois brutal et incohérent, n’a pas manqué d’épisodes dramatiques (notamment au milieu des années 1970 avec les campagnes massives de stérilisation forcée), elle est restée globalement axée sur la responsabilisation individuelle des personnes, avec notamment un important réseau de centres d’information sur la contraception. En sanctionnant sur un plan pénal les familles de trois enfants ou plus, le Kerala innove et va plus loin qu’aucun autre Etat de l’Union indienne.

Au regard des données démographiques du Kerala, la nécessité d’une politique anti-nataliste ne saute pourtant pas aux yeux. Avec 31 millions d’habitants, un taux de natalité de 17,2 pour mille (la moyenne nationale étant de 25,4 pour mille) et un taux de mortalité infantile relativement faible, le Kerala a largement accompli sa transition démographique lui permettant ainsi de limiter la croissance de sa population. Il est aussi à noter que dans un pays où le déséquilibre des naissances au détriment des filles atteint des proportions alarmantes, le Kerala est le seul Etat de l’Union dans lequel le sex ratio est favorable aux femmes.

Pour les responsables de l’Eglise catholique au Kerala, dans les trois rites qui la composent (latin, syro-malabar et syro-malankar), cette loi, si elle était votée en l’état, ne peut qu’avoir des effets néfastes. Selon eux, en effet, le Kerala, s’il figure bien parmi les Etats les plus densément peuplés du pays, n’est pas menacé par une croissance démographique incontrôlée mais au contraire voit poindre à l’horizon un risque de dénatalité certain.

Depuis plusieurs années, les responsables chrétiens s’inquiètent en effet de la diminution de la taille des familles chrétiennes. Ils pointent un déclin relatif de la place des chrétiens dans la population de l’Etat, leur part étant passé en dix ans de 19,5 % à 19,0 % des Keralais. Le P. Alathara précise que l’Eglise « a mis en place des campagnes pour dissuader les gens de recourir à l’avortement et les encourager à avoir des familles nombreuses ». Certaines paroisses ont été jusqu’à mettre en place des mesures natalistes : elles versent un capital de 10 000 roupies aux familles qui mettent au monde un cinquième enfant ; l’argent est versé sur un compte bloqué portant intérêt ouvert au nom de l’enfant qui pourra être utilisé pour ses études (1).

Les responsables de l’Eglise syro-malabare, qui ont publié l’an dernier une Lettre pastorale appelant leurs fidèles à ne pas craindre d’avoir davantage d’enfants, ont qualifié le projet gouvernemental de « extrême » et « dirigé contre l’Eglise ». Les Eglises orthodoxe et jacobite présentes au Kerala ont également condamné le texte à l’étude. Basé à Kottayam, le catholicos de l’Eglise orthodoxe, Baselios Mar Thoma Paulose II, a mis en garde le pouvoir en place, une coalition menée par le Parti du Congrès, sur les conséquences politiques de ses choix démographiques.

Du côté des musulmans, qui représentent 25 % de la population au Kerala, l’opposition au projet gouvernemental a été tout aussi vive. Abdul Samad Pukkottur, de la Fédération de la jeunesse sunnite, a décrit le texte comme une « tentative visant à limiter la liberté religieuse ». « Nous nous y opposerons », a-t-il promis.

Selon les observateurs, en ciblant les familles de plus de deux enfants, le gouvernement du Kerala touche en réalité aux équilibres communautaires existant dans l’Etat. En effet, si le Kerala a été très largement épargné par les extrémismes religieux tels qu’ils ont pu être constatés dans d’autres Etats de l’Union, ces dernières années, des affrontements se produisent entre hindous et musulmans et il n’a pas échappé à l’attention de l’opinion publique qu’un groupe terroriste islamique basé hors du pays, le Lashkar-e-Taiba, a promis des attentats si un Etat musulman indépendant n’était pas créé dans la partie nord du Kerala, région où vit la plus grande partie de la minorité musulmane. Avec 25 % des 31 millions de Keralais, la minorité musulmane inquiète les autres composantes de la population par le dynamisme démographique dont elle fait preuve. L’indice synthétique de fécondité s’établit en effet pour les musulmanes du Kerala à 2,97 enfants par femme, là où il est 1,66 pour les femmes hindoues et à 1,78 pour les femmes chrétiennes.

Face à l’opposition soulevée par son projet de loi, le ministre-président du Kerala, Oommen Chandy, s’est voulu rassurant : « Le gouvernement ne prendra sa décision qu’après avoir consulté tous les groupes. Nous avons pris note des protestations émises. »