Eglises d'Asie

In Memoriam : décès du P. Guillaume Arotçarena, MEP, ancien directeur d’Eglises d’Asie

Publié le 04/09/2015




Le P. Georges Colomb, supérieur général des MEP, et le P. Bernard Jacquel, directeur de la publication d’Eglises d’Asie, vous font part du décès, le 3 septembre 2015, du P. Guillaume Arotçarena, MEP, et vous invitent à vous associer à la prière pour le repos de l’âme de leur confrère.

De 1987 à 2006, le P. Arotçarena avait dirigé et considérablement développé l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris, Eglises d’Asie, en faisant un média connu pour la pertinence et la fiabilité de ses informations et une agence respectée par tous, dans et au-delà de l’Eglise catholique.

Le P. Arotçarena est mort à l’âge de 71 ans à Saint-Girons, dans l’Ariège, où il vivait depuis plusieurs années et luttait depuis trois ans contre un cancer. Conformément à son désir, ses obsèques seront célébrées à la chapelle de la maison de retraite des Pères MEP à Montbeton, dans le Tarn-et-Garonne ; la cérémonie aura lieu le 7 septembre à 14h30 et le P. Arotçarena sera inhumé au cimetière où reposent ses confrères décédés. A Paris, une messe de requiem sera célébrée le mardi 15 septembre, à 18h., en la chapelle des Missions Etrangères, rue du Bac.

Né le 18 mai 1944 à Hasparren, au Pays basque, le P. Guillaume Arotçarena avait coutume de dire qu’il était « né sur une frontière » – la frontière franco-espagnole en l’occurrence – et que sa vie avait été placée sous le signe du franchissement des frontières. « Paradoxalement, je tiens que les frontières comme les montagnes ne sont pas faites pour séparer mais pour être franchies sans pour autant oublier d’où l’on vient », écrivait-il dans son dernier ouvrage, intitulé Singapour vu d’en bas, chronique d’un Basque d’Asie paru en 2011.

Ordonné prêtre en 1971, intégré à la Société des Missions Etrangères, il est envoyé l’année suivante à Singapour où les premières frontières à franchir sont linguistiques : il commence par parfaire son anglais avant de séjourner quelques temps à Taiwan pour y apprendre le mandarin. De retour dans la cité-Etat, il est nommé vicaire dans des paroisses établies, avant de demander à être nommé aumônier de prison et d’être envoyé à Geylang, périphérie industrielle de Singapour. Franchissement des frontières toujours, c’est là qu’il fonde le « Geylang Catholic Center » où, secondé par un groupe de laïcs, il s’occupe très activement des prisonniers et des drogués et soutient la promotion des employées de maison étrangères, présentes en nombre dans les familles singapouriennes mais dénuées alors de tout droit et protection. Cette action est considérée d’un mauvais œil par les autorités en place, qui font procéder à la fermeture du centre, emprisonnent certains des proches du missionnaire avant de lui signifier qu’il n’est plus le bienvenu dans l’île. Le P. Arotçarena doit quitter Singapour en 1987.

De retour en France, il est chargé de l’agence d’information Eglises d’Asie, qu’il développe avec le succès que l’on sait. Il contribue au rayonnement de la Société des MEP en ouvrant, en 2000, la « Librairie de l’Asie culturelle et religieuse », sise rue du Bac, et, en 2002, le Centre François-Pallu, pour la formation des cadres chrétiens.

Nous publions ci-dessous un des derniers textes écrits par le P. Arotçarena. Mis en ligne sur le site du Réseau Asie en mai 2014, il est consacré à Singapour.

(eda/ra)

 

Singapour : des lézardes dans la façade

par Guillaume Arotçarena, MEP

Ces derniers mois, un certain nombre d’incidents ont mis à mal l’image impeccable entretenue à grands frais par les autorités gouvernementales depuis de longues années: celle d’un Singapour modèle de perfection du capitalisme international, une cité prospère, bien gérée, avec espaces verts, shopping de première qualité, capitale internationale du bien-manger comme des dernières technologies, bref, un havre de paix propice au business mondialisé dans une région réputée instable mais riche en promesses et en matières premières.

En outre, sa position géographique, à la sortie du détroit de Malacca, en fait un lieu stratégique central entre la Chine, l’Inde et l’Indonésie, les trois mastodontes asiatiques, si l’on excepte le Japon plus excentré et davantage tourné vers le grand large de l’océan Pacifique. Cerise sur le gâteau, la cité-Etat est dotée d’institutions politiques et judiciaires ayant toute l’apparence, si l’on ne gratte pas trop la surface, d’une démocratie moderne et apaisée. De quoi déchaîner l’enthousiasme de certains correspondants de médias étrangers, comme celui de l’agence Reuters, qui publie, en février 2014, un dithyrambique compte rendu de la vie quotidienne à Singapour qu’on pourrait croire directement sorti des officines d’information gouvernementales: musées, restaurants, casinos, bars, vie nocturne, y compris les lieux « gay-friendly », tout y passe. On oublie simplement que tout cela ne concerne qu’une population d’expatriés prospères ou de riches locaux vivant hors-sol en quelque sorte. La très grande majorité des Singapouriens ne se reconnaît guère dans ce genre de description.
La réalité est en effet beaucoup plus contrastée.

Depuis le début des années 2000, les grands débats initiés par le gouvernement au cours des années 80 et 90 autour de l’identité nationale, des « valeurs asiatiques », « valeurs religieuses communes » ou « valeurs partagées » suivant les moments, ont complètement disparu de la circulation. Les valeurs boursières et financières ont tout emporté. On pourra dire que ces débats étaient viciés à la base par la volonté gouvernementale de conserver à tout prix une définition de la société singapourienne comme étant fondée sur des communautés ethnico-linguistiques différenciées (Chinois (75%), Malais (15%), Indiens (8%), Autres (2%) et potentiellement en concurrence ou en conflit. Il n’est pas sûr que ces critères soient encore valides aujourd’hui, s’ils l’ont jamais été, alors que la langue anglaise est, de très loin, la langue la plus parlée de Singapour. Mais enfin, quoi qu’il en soit, ces débats avaient au moins le mérite d’exister. Depuis une dizaine d’années, les gouvernants singapouriens sont devenus de purs technocrates, managers ultra-libéraux d’une place financière internationale. Les intérêts de la population locale en ont pâti et les inégalités économiques, par exemple, se sont envolées à la grande irritation de beaucoup de Singapouriens.

Ces trois dernières années ont démontré qu’un certain nombre de paramètres étaient en voie de changement rapide. Pour la première fois depuis l’indépendance en 1965, la population singapourienne a manifesté ouvertement son mécontentement sur la gestion gouvernementale de plusieurs dossiers sensibles et a décidé qu’elle devait se faire entendre. Les transports publics, le métro en particulier, ont connu divers problèmes de fonctionnement dus à leur saturation. Des grèves de conducteurs de bus, pour la plupart des travailleurs étrangers chinois, ont eu lieu. L’immobilier a atteint des prix rendant impossible au jeune Singapourien moyen de se loger. Contrairement à tous ses principes, le gouvernement a dû intervenir sur le marché pour atténuer le choc, de même qu’il a dû intervenir pour augmenter les aides sociales afin de calmer la grogne populaire qui se manifestait sur les réseaux sociaux de manière virulente. Les plus anciens se souviennent que l’accès facile pour tous au logement était l’un des piliers de la construction singapourienne dans les premières décennies après l’indépendance.

En 2013, la publication d’un Livre blanc sur les projections démographiques du gouvernement pour les années à venir a suscité la colère d’une majorité de Singapouriens. Prenant acte d’un taux de natalité largement inférieur au taux de remplacement (le plus faible d’Asie avec le Japon), le gouvernement y proposait d’augmenter sensiblement la proportion des travailleurs immigrés au sein de la main d’œuvre locale pour arriver à une population totale de 6 millions (5millions aujourd’hui). Il faut dire que, depuis quelques années, la nature de cette immigration a profondément changé. Jusque dans les années 2000, cette immigration était essentiellement constituée de travailleurs du bâtiment et d’employées de maison employés dans des conditions souvent très contraignantes, pour les ouvriers comme pour les employeurs. Depuis quelques années, elle a concerné aussi les cadres moyens et supérieurs, provoquant ainsi une concurrence directe d’étrangers diplômés avec une main d’œuvre locale pourtant bien formée et expérimentée. Les classes moyennes singapouriennes se sont senties fragilisées. Une manifestation populaire rassemblant plusieurs milliers de personnes, du jamais vu depuis l’indépendance, a protesté contre les conclusions du Livre blanc. On a ainsi appris qu’un certain nombre de firmes étrangères installées à Singapour ne mettaient même plus leurs postes vacants en publicité à Singapour, mais uniquement dans le pays d’origine de la compagnie. Cette affaire a provoqué une montée sensible de la xénophobie antioccidentale qui s’est manifestée sur les réseaux sociaux en prenant prétexte de quelques incidents mineurs tels que les propos déplacés d’un Australien sur la population locale ou le geste d’énervement d’un conducteur britannique sur la route. Certains blogueurs en sont même venus à vouloir empêcher les Philippins, en l’occurrence, de célébrer leur fête nationale sur la voie publique.

Tout cela a provoqué une relativement forte érosion du soutien populaire dont a longtemps joui le parti au pouvoir depuis l’indépendance (PAP, People’s Action Party). Les élections législatives de 2012 ont vu le nombre de députés d’opposition tripler (de deux à six sur quatre-vingt), et la défaite de l’un des plus importants ministres du gouvernement, George Yeo. Le parti gouvernemental reste majoritaire mais les partis d’opposition, et particulièrement le WP (Workers’ Party) se sont nettement renforcés en attirant à eux beaucoup de cadres moyens et supérieurs jusqu’ici peu enclins à s’engager dans de simples candidatures de témoignage.

En même temps les Singapouriens se sont aussi mobilisés dans des combats pour davantage de libertés individuelles. C’est ainsi que, en 2013, près de vingt-mille manifestants se sont rassemblés à l’appel d’un blogueur pour exiger l’amélioration des droits des gays. Il faut dire que l’homosexualité active, à Singapour, reste en principe un délit passible de poursuites pénales. La loi n’a cependant pas été appliquée depuis longtemps. De la même manière, une tentative gouvernementale de contrôler davantage les réseaux sociaux sur internet s’est heurtée à de virulentes critiques de la part des utilisateurs.

L’incident le plus traumatisant a eu lieu en 2013 avec une violente émeute impliquant plusieurs centaines d’ouvriers immigrés indiens à la suite de la mort de l’un d’entre eux heurté par un petit bus dans le quartier indien de Singapour. Il a fallu plusieurs heures aux forces de police pour ramener l’ordre dans le quartier. Semblable incident ne s’était pas produit à Singapour depuis un demi-siècle. Il a eu l’avantage de jeter une lumière crue sur les conditions déplorables qui sont le quotidien des ouvriers immigrés dans la cité-Etat. Le gouvernement a dû promettre de construire des centres de récréation pour travailleurs étrangers dans divers quartiers de la ville. Mais il n’a pas remis en cause les conditions draconiennes de leur vie de travail et leurs conditions de logement.

En 2015, Singapour célébrera le cinquantenaire de son indépendance. Ces cinquante années ont été largement positives pour les citoyens de Singapour. Reste qu’il est peut-être temps de mettre le moteur du véhicule par terre pour en vérifier les pièces une à une et remplacer celles qui posent problème. Il n’y a pas encore péril en la demeure, mais des lézardes apparaissent sur la façade qui pourraient s’élargir si elles ne sont pas réparées et mettre tout le bâtiment en danger. Le premier ministre, Lee Hsien Loong, fils de Lee Kuan Yew, l’un des pères fondateurs de la République, semble en avoir pris conscience et a déclaré à plusieurs reprises vouloir se mettre à l’écoute de la population. L’avenir dira ce qu’il en est.