Eglises d'Asie – Népal
Chrétiens, musulmans, bouddhistes et baha’is se mobilisent contre un projet de loi anti-conversion
Publié le 22/08/2011
… « par quelque moyen que ce soit ». S’il est adopté, quiconque sera surpris à prêcher une autre religion que l’hindouisme ou encore à distribuer des documents religieux non hindous, pourra être condamné à une amende de 50 000 roupies (soit 485 euros) et à cinq ans de prison. La même sanction sera appliquée à tout individu ayant abattu un bovin pour en utiliser ou en consommer la viande, une pratique interdite par l’hindouisme. Si le contrevenant n’est pas citoyen népalais, il sera immédiatement expulsé.
Ces mesures, comme le soulignent certaines ONG, telle Christian Solidarity Worldwide, d’obédience protestante, sont encore plus restrictives que les lois anti-conversion qui sévissent actuellement dans certains Etats de l’Inde. Pour les chrétiens, qui se savent particulièrement visés par le dispositif, ainsi que pour les partisans de la laïcité au Népal, elles représentent un retour en arrière de plus d’un demi-siècle, avant « l’ouverture au monde extérieur » d’un Etat monarchique où l’hindouisme était seule religion reconnue et autorisée.
Au lendemain de la séance du Parlement du 14 août dernier, où le projet a suscité une nouvelle fois des débats houleux, les minorités religieuses au Népal ont annoncé le lancement d’une grande campagne contre l’article 160, craignant que celui-ci ne soit voté dans l’urgence de l’achèvement de la Constitution et à la faveur du chaos politique engendré par la démission du Premier ministre népalais Jhala Nath Khanal il y a quelques jours.
Cette opération de sensibilisation avait été décidée lors d’une réunion qui s’était tenue à Katmandou la semaine précédente, à l’initiative de l’Eglise catholique et sous l’égide de l’Interreligious Secularism Protection Movement (IRSPM). Rassemblant des responsables chrétiens, musulmans, bouddhistes et baha’is(2), des représentants des principales communautés aborigènes ainsi que de différents partis politiques, cette assemblée interconfessionnelle représentait une grande première au Népal.
Les participants avaient lancé un appel au gouvernement, lui rappelant qu’il s’apprêtait à violer les fondements sur lesquels s’appuyaient la nouvelle république népalaise et sa Constitution provisoire, laquelle avait proclamé dès 2006 la liberté religieuse et la laïcité de l’Etat (3). “[Cette proposition de loi] est contre la laïcité de l’Etat déjà inscrite dans la constitution provisoire”, s’insurge Nazrul Hussain Falahi, leader musulman et coordinateur adjoint de l’IRSPM.
« Bien que le Népal se soit proclamé un pays laïc, il continue d’exclure les minorités religieuses », renchérit Palsang Vajra Lama, moine bouddhiste et coordinateur de la campagne de l’IRSPM. Se joignant aux autres minorités religieuses du pays, il dénonce le fait que seules les institutions hindoues reçoivent des aides de l’Etat, les monastères bouddhistes, églises, temples et mosquées n’étant pas toujours pas reconnus comme des institutions religieuses faute d’un statut juridique clair.
Les leaders religieux et politiques ont également exhorté le gouvernement à faire figurer, comme cela avait été prévu par la Constituante, les libertés religieuse, d’expression et d’opinion dans la future Constitution népalaise, et à créer une Commission aux affaires religieuses, afin de représenter les minorités non hindoues du pays, les faire reconnaître juridiquement et les protéger de toute discrimination.
A la veille de la promulgation de la Constitution népalaise, la transformation récente de la situation politico-religieuse a de quoi alimenter les craintes des minorités. Après l’euphorie qui avait suivi la chute de la monarchie et la rapide croissance des religions non hindoues sous l’effet de la laïcisation de l’Etat – tout particulièrement des communautés chrétiennes (surtout évangéliques et pentecôtistes) -, la montée de l’extrémisme hindou, proportionnelle à l’avancée du christianisme, a très vite sonné la fin de la tolérance religieuse encore balbutiante au Népal. La manifestation la plus visible de ces violences anti-religieuses a été l’attentat meurtrier perpétrée en mai 2009 dans l’église catholique de l’Assomption à Katmandou par la Nepal Defence Army (NDA), un groupe nationaliste prônant le retour à la monarchie et à la religion hindoues (4).
Le projet de l’article 160 s’appuie sur la conviction martelée par les hindouistes que les chrétiens pratiquent des conversions forcées. Une affirmation fermement réfutée par toutes les communautés chrétiennes. « C’est une théorie sans fondement, et il est scandaleux que le gouvernement l’appuie », s’indigne Isu Jang Karki, qui est à la tête de la Nepal Christian Society, la plus importante fédération d’Eglises protestantes du pays.
« La loi n’est pas contre les chrétiens qui rendent de grands services à notre pays », a voulu plaider auprès de l’agence AsiaNews le ministre de la Justice, Prabhu Sah, « mais plutôt contre l’hégémonie grandissante du christianisme ». Il rapporte qu’hindous et bouddhistes se plaignent des pratiques de conversions agressives de certaines communautés protestantes. « Ces griefs ne s’appliquent pas aux catholiques », précise-t-il.
N’étant pas représentés au Parlement (le « Comité chrétien pour la nouvelle Constitution » n’a qu’un pouvoir consultatif), les chrétiens et autres minorités religieuses craignent que l’amendement soit adopté sous la pression des extrémistes hindous dont le nombre et l’influence ont grandi récemment au sein des institutions d’Etat.
Bien que la loi anti-conversion n’ait pas encore été approuvée, certains commencent déjà l’appliquer, comme le raconte Dhoj Tamang, vice-president du Tamsaling Party, à l’agence Ucanews. Il y a quelques jours, des membres de son ethnie ont récemment été arrêtés à Katmandou pour avoir abattu une vache afin de consommer sa viande. « Les Tamangs mangent de la viande depuis des siècles. Consommer ce que nous voulons est notre droit le plus absolu, mais aujourd’hui nous n’osons plus regarder une vache de peur d’être arrêtés. » (5).