Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – La démocratie est-elle soluble dans le matérialisme ?

Publié le 23/09/2015




Il y a un peu plus d’un an, à l’occasion du 49ème anniversaire de l’indépendance de Singapour, l’archevêque catholique de la cité-Etat s’était interrogé, dans une Lettre pastorale adressée à ses concitoyens, aux raisons qui faisaient qu’en dépit de leur haut niveau de vie, les Singapouriens se …

… considéraient comme l’une des populations les moins heureuses de la planète. Il répondait à cette question en rappelant que « la prospérité matérielle ne suffit pas » et que seule la richesse intérieure et morale pouvait combler l’homme.

Un an plus tard, force est de constater que les électeurs singapouriens font massivement confiance au parti au pouvoir pour continuer à diriger Singapour et qu’ils se refusent à donner plus d’espace politique à la principale formation de l’opposition, le Workers’ Party (Parti des travailleurs, WP), qui prône l’extension des droits politiques dans un système de démocratie sous contrôle. En raflant pas moins de 83 des 89 sièges en jeu, le People’s Action Party (Parti d’action du peuple, PAP), la formation du Premier ministre Lee Hsien Loong (et fils du dirigeant historique de Singapour, Lee Kuan Yew, décédé en mars de cette année), a effacé le relatif déclin qu’il avait enregistré lors des élections de 2011.

Dans l’article ci-dessous, paru le 14 septembre 2015 sur le site The New Mandala, on lira une analyse de ce scrutin et des raisons de l’attachement des Singapouriens à une formation politique et une équipe dirigeante qui, à défaut d’élargir l’espace démocratique, maintiennent le cap sur la prospérité matérielle. La traduction française de ce texte est de Louise de Nève et a été publiée le 21 septembre par AlterAsia.

 

Living in Singapore’s material world
par Patrick Sagaram

Les résultats des élections montrent que pour les électeurs pragmatiques, le confort matériel passe avant les libertés individuelles et l’engagement politique.

Ce qui était annoncé comme le scrutin le plus disputé de ces dernières dizaines d’années a finalement renforcé la position du parti au pouvoir à Singapour. Vendredi 11 septembre, le Parti d’Action du Peuple (PAP) est sorti plus fort de ces élections, à la stupeur de ses supporters comme de ses opposants.

Bien sûr, le calendrier des élections avait été judicieusement choisi par le gouvernement. La date elle-même rappelait la vulnérabilité et les incertitudes auxquelles doit faire face Singapour. Les Singapouriens se sont rendus aux urnes en pleine tourmente financière mondiale ; en Grèce d’abord, et plus récemment en Chine. Plus proche, le spectre du terrorisme et de l’instabilité politique flotte au-dessus de la région, notamment en Thaïlande et en Malaisie. Cela a sans doute rappelé aux Singapouriens que seul un gouvernement fort, un PAP fort, était en mesure de mener la nation vers l’avant.

Le parti au pouvoir se présentait après n’avoir obtenu que 60,1 % des voix en 2011, en comparaison avec les 66,6% de 2006 et les 75,3 % de 2001. Ce vendredi 11 septembre, il est remonté à près de 70 % des voix. Cette année était aussi marquée par la démission surprise du ministre des Transports, Lui Tuck Yew. Un certain nombre d’hommes politique de premier plan comme Wong Kan Seng et Mah Bow Tan s’étaient également retirés de la politique.

C’était la première fois de l’ère post-Lee Kuan Yew que les électeurs se rendaient aux urnes. Et, dans ce contexte, il ne fait aucun doute que le sentiment national a agité les cœurs et les esprits du peuple, offrant au parti au pouvoir une victoire particulièrement significative. En un sens, au lieu de se montrer moins inquiet et plus audacieux, à travers ces élections, le peuple semble avoir rendu un dernier hommage à l’héritage de Lee Kuan Yew.

Mais plus important encore, le résultat de ces élections montre le pragmatisme de l’électorat singapourien. Beaucoup considèrent qu’un parti fort reste le modèle de gouvernance le plus efficace ; ce modèle est étayé par le « communautarisme », dans lequel les leaders et le peuple sont intégrés au sein d’un réseau complexe d’interdépendances, de liens, de loyautés et de responsabilités partagées. Aux citoyens qui font preuve de pragmatisme en leur offrant un soutien indéfectible, les leaders politiques répondent par un apport toujours accru de services et de biens matériels.

Bien que la forme d’un tel modèle ait évolué au fil des ans, sa fonction et son but demeurent fondamentalement inchangés. Cela a apporté beaucoup de réussite, c’est indiscutable. Singapour est devenu un centre mondial pour le transport maritime, l’aviation et la finance, surclassant les autres nations de la région que l’on pensait voir devenir les centres névralgiques de l’Asie du Sud-Est.

Mais récemment, il est devenu difficile de se maintenir à ce niveau, en particulier au vu des politiques d’immigration, et des problèmes de transport et de sécurité sociale ont surgi. Le pragmatisme de la société est d’autant plus révélateur que de nombreux Singapouriens sont aujourd’hui mieux éduqués, ont étudié et/ou travaillé à l’étranger, et ont accès aux informations et aux idées nouvelles.

Les résultats de ces élections montrent de façon à la fois convaincante et déconcertante que, bien qu’ils aient soulevé des questions délicates – libertés civiles, question LGBT, consultation et participation politique – et qu’ils aient eu la possibilité d’opter pour une opposition hyper motivée et qui proposait des candidats aux références impressionnantes, les Singapouriens ont préféré faire une croix sur cela pour sacrifier à l’autel du confort matériel et de la stabilité sociale.

Peut-être qu’à travers cette preuve de soutien, l’électorat témoigne de sa confiance envers le parti au pouvoir et attend de lui qu’il réponde à ses aspirations, en évaluant sérieusement le modèle de gouvernement actuel, afin de s’assurer que ce dernier ne demeure pas dans un modèle vaguement rigide mais opter pour un modèle transitoire qui continue d’évoluer vers plus d’ouverture, de flexibilité et de compassion.

Il reste cependant à voir si ce message sera entendu par les dirigeants au pouvoir, et si ce pouvoir autorisera des voix et des points de vue différents du sien.

(eda/ra)