Eglises d'Asie

Ils ont prié au chevet d’une mourante : cinq chrétiens condamnés pour « exercice illégal de la médecine »

Publié le 20/02/2015




Les cinq chrétiens qui avaient été blanchis en août dernier des accusations de meurtre qui avaient été portées à leur encontre viennent d’être inculpés pour « exercice illégal de la médecine », écopant de neuf mois de prison ferme.Plusieurs ONG et mouvements de défense des droits de l’homme se mobilisent pour dénoncer une « atteinte aux droits les plus élémentaires ». 

Le 12 février dernier, le tribunal de la province de Savannakhet a rendu son verdict, statuant sur la base de l’article 82 du Code pénal laotien sur les « prestations médicales sans diplôme ». Quatre pasteurs protestants – MM. Kaithong, Puphet, Muk et Hasadee –, ainsi qu’un fidèle du nom de Tiang sont accusés d’avoir tué en voulant la soigner, une femme mourante au chevet de laquelle ils étaient venus prier pour la soutenir dans ses derniers instants.

Le 6 août dernier pourtant, le bureau du procureur de la province de Savannakhet avait acquitté les cinq chrétiens emprisonnés, déclarant qu’ils n’avaient « commis aucun acte criminel ». Ces derniers n’avaient pu cependant être libérés, dans l’attente de la décision des autorités du district d’Atsaphangthong.

« La décision du tribunal confond la prière pour les malades et l’exercice illégal de la médecine », a ironisé l’ONG Human Rights Watch for Lao Religious Freedom (HRWLRF), basée aux Etats-Unis, qui suit le dossier de ces cinq chrétiens depuis le début de l’affaire.

« Prier pour une guérison est un droit découlant de la liberté religieuse et de la croyance de chacun ; cela ne constitue en aucune façon une pratique médicale et il n’est nul besoin d’un diplôme quelconque ; cette décision du tribunal n’a aucun fondement juridique », a déclaré l’ONG qui a rappelé que la mourante avait expressément demandé aux cinq chrétiens de venir à son domicile pour y prier, ce qu’ils avaient fait, sans faire usage d’aucun médicament.

Les leaders protestants, dont le procès dure déjà depuis huit mois, ont été accusés d’être à l’origine de la mort de Mme Chan (Chansee), décédée le 22 juin des suites d’une longue et grave maladie, dans le village de Saisomboon, dans le district d’Atsaphangthong, à son retour de l’hôpital. Mère de huit enfants et bouddhiste, elle s’était convertie au christianisme en avril dernier, tout comme ses huit enfants ; une situation qui contrariait particulièrement les bouddhistes du village qui exerçaient des pressions constantes pour que les nouveaux convertis reviennent « à la religion de leurs ancêtres ».

Les cinq responsables chrétiens étaient venus assister Mme Chan dans ses derniers instants et prier pour elle, à sa demande. Le jour même du décès, le chef du village donnait à la famille de la défunte l’autorisation d’organiser une cérémonie chrétienne et d’inhumer Mme Chan sur leurs terres, Saisomboon faisant partie des villages où les chrétiens se voient refuser les droits funéraires.

Mais quelques instants avant les funérailles, le chef du village revenait sur son engagement et interdisait l’enterrement. Avec l’aide du secrétaire local du Parti communiste, il tentait ensuite d’intimider la famille de Mme Chan en demandant à ses membres de signer un acte d’abjuration de leur foi.

Suite à cet incident, Mme Kaithong, pasteur de l’église de Saisomboon, déposait une plainte auprès du responsable du district d’Atsaphangthong. Le lendemain 24 juin, elle était arrêtée par la police locale, ainsi que M. Puphet, pasteur de l’église du village de Donpalai, M. Muk, leader de la communauté chrétienne de Huey, M. Hasadee, chef de l’église de Bungthalay, et M. Tiang, l’un des fidèles présents sur place.

Peu après, le chef du village, accompagné des bonzes, forçait la famille de Mme Chan à faire inhumer leur mère selon les rites bouddhistes dans le cimetière du village. Quant aux cinq leaders chrétiens, accusés d’avoir empoisonné la victime lors de son trajet depuis l’hôpital et d’avoir « organisé des funérailles illégales », ils étaient conduits au poste et mis en cellule, les pieds et les mains entravés par des blocs de bois.

Dans une déclaration datée du 18 février, le HRWLRF a demandé au gouvernement du Laos et au tribunal de la province de Savannakhet de revoir le jugement du tribunal et de faire respecter la liberté de religion, dont le droit de prier pour les malades. « Le message que fait passer ce jugement aux chrétiens du Laos, c’est que les autorités peuvent désormais arrêter et sanctionner les chrétiens pour de simples rassemblements ou prières avec des malades ou des souffrants ; c’est l’essence même de la religion chrétienne qui est menacée », s’est indigné auprès de l’agence Ucanews le directeur de l’ONG basée aux Etats-Unis, Sirkoon Prasertsee.

Ce dernier souligne les irrégularités de la procédure, dont l’absence de véritable enquête sur les causes de la mort de Mme Chan et le fait que les accusés n’aient pas été autorisés à se faire représenter par un avocat. Ce dernier fait, qui constitue une violation du droit international, risque cependant de se reproduire si les cinq chrétiens interjettent appel de la sentence.

Depuis le 12 février, plusieurs ONG ont rejoint le HRWLRF dans son opposition à la décision de la Cour de Savannakhet. Parmi elles, l’ONG Human Rights Watch (HRW), qui avait déjà dénoncé en juin dernier, dans un rapport présenté aux Nations Unies, « l’augmentation inquiétante des violations des droits de l’homme », a averti le gouvernement du Laos « de reprendre ses esprits et de faire annuler immédiatement cette décision » au risque de devoir payer les conséquences d’un retentissement très négatif au sein de la communauté internationale.

« La liberté religieuse est particulièrement mise à mal [au Laos] où de nombreuses formes de harcèlement et de répression sont infligées par les autorités aux communautés religieuses qui ne bénéficient pas d’une reconnaissance officielle, explique à Ucanews Phil Robertson, directeur adjoint de la section Asie pour HRW. Par conséquent, les autorités locales peuvent décider de s’en prendre à n’importe quel groupe religieux minoritaire, en toute impunité. »

Quant à l’organisation Christian Solidarity Worldwide (CSW), elle a également appelé les autorités de la province à reconsidérer la sentence et à « faire lever toutes les accusations qui pesaient sur les cinq leaders chrétiens ».

(eda/msb)