Eglises d'Asie – Philippines
Mindanao : près de cinq mois après l’assassinat du P. Tentorio, missionnaire italien, l’enquête piétine
Publié le 12/03/2012
… d’un homme d’affaires suisse d’origine philippine qu’elle accuse d’avoir été impliqué dans l’assassinat du prêtre catholique.
Le 7 mars dernier, à Mindanao, deux hommes à moto ont fait feu, dans un marché de la ville de Kidapawan, localité du centre de l’île, sur Patrick Wineger, 48 ans, Philippin porteur d’un passeport suisse. Membre d’une famille de propriétaires terriens exploitant des plantations d’hévéas à Makilala (province de North Cotabato), Patrick Wineger est mort sur le coup. Deux jours plus tard, Rigoberto Sanchez, porte-parole de la New People’s Army (NPA), branche armée de la rébellion communiste aux Philippines, publiait un communiqué pour revendiquer le meurtre, affirmant que la victime était étroitement liée aux activités anti-terroristes des milices à la solde des forces armées de Manille qu’elle était impliquée dans l’assassinat du P. Tentorio. « La punition infligée à l’une des principales personnalités qui se cachent derrière le meurtre du P. Tentorio constitue une juste rétribution en réponse à la fausse justice dispensée par le régime Aquino manipulé par les Etats-Unis », a affirmé le porte-parole.
De son côté, un haut gradé de la région militaire de Mindanao-Est a au contraire affirmé que Patrick Wineger était engagé dans la campagne de paix en cours à North Cotabato et qu’il veillait personnellement à ce que d’ex-guérilleros communistes trouvent à s’embaucher sur les plantations de sa famille, favorisant ainsi leur réinsertion dans la société. Patrick Wineger aurait été assassiné car il refusait de payer l’‘impôt révolutionnaire’ prélevé par les rebelles communistes, a ajouté le militaire.
Selon le P. Peter Geremia, missionnaire américain PIME, l’action de la NPA tout comme l’incrimination de Patrick Wineger dans la mort du P. Tentorio ou encore les dénégations de l’armée n’apportent aucun élément tangible dans l’enquête ouverte après l’assassinat du missionnaire italien. A la fin du mois de décembre dernier, un homme, Jimmy Ato, et son frère ont cependant été arrêtés par la police. Celle-ci soupçonne Jimmy Ato d’avoir été l’homme qui a abattu de huit coups de feu le P. Tentorio et son frère d’avoir été le pilote de la moto qui a servi à leur fuite. Depuis son arrestation, Jimmy Ato clame son innocence ; il affirme n’avoir joué qu’un rôle mineur dans la mort du missionnaire, tout en désignant un politicien local, William Buenaflor, ainsi qu’un ancien chef de la police, comme commanditaires. Deux autres frères, Jose Sultan Sampulna et Dima Maligudan Sampulna, ont été arrêtés, en lien avec le meurtre, mais là aussi aucun élément concluant n’a été rendu public.
Pour le P. Geremia, à l’évidence, l’enquête piétine. Selon lui, les policiers chargés de l’investigation, devraient demander à l’armée comment des soldats postés à proximité immédiate du lieu où a été tué le P. Tentorio, ont pu ne rien voir, ne rien entendre et, surtout, ne pas agir. « Si la mission [des soldats] est de protéger les civils, ne devraient-ils pas expliquer pourquoi quelqu’un comme le P. Fausto a été éliminé juste sous leur nez ? », interrogeait le missionnaire américain il y a quelques jours.
Dans l’immédiat, l’assassinat de Patrick Wineger a amené le gouverneur de la province de North Cotabato, Emmylou Mendoza, à déclarer à l’évêque du diocèse de Kidapawan, Mgr Romulo de la Cruz, qu’une équipe du National Bureau of Investigation allait être sous peu dépêchée à Kidapawan afin de reprendre à zéro l’enquête sur la mort du P. Tentorio.
Engagé de longue date dans la défense du droit des peuples autochtones, notamment des Manobos, le P. Fausto Tentorio dérangeait par son apostolat, les intérêts de l’armée aussi bien que ceux des grands propriétaires terriens et des magnats de l’industrie minière. Il n’est pas exclu aussi qu’il ait pu être victime de règlements de compte entre clans rivaux au sein des peuples autochtones.
Ce 12 mars, à l’occasion de la tenue à Genève de la 19ème session du Conseil pour les droits de l’homme de l’ONU, une délégation de militants philippins des droits de l’homme est venue dénoncer la culture de l’impunité qui a cours dans leur pays. La stratégie en matière de ‘lutte anti-insurrectionnelle’ des autorités a été dénoncée, notamment du fait de « la militarisation des communautés » qui veut que des milices armées soient financées par l’armée et l’administration dans le but de contrer les rébellions communiste et islamiste. Quelles que soient les administrations, Arroyo hier, Aquino aujourd’hui, a dénoncé Cristina Palabay à Genève, « un continuum existe qui voit la perpétuation du même genre de terreur, même si celle-ci est désormais habillée de termes tels que ‘droits de l’homme’, ‘paix’, ‘développement’ ou encore ‘réforme de la sécurité’ ».