Eglises d'Asie – Singapour
Les « méga-churches » veulent exporter leur modèle en dehors de la cité-Etat
Publié le 13/03/2014
… en exportant leur modèle à partir de la cité-Etat comme plaque-tournante d’une opération qui s’annonce très lucrative.
A la City Harvest Church, qui passe pour être la plus riche mais aussi la plus controversée de ces méga-churches, les inculpations récentes de son fondateur et leader Kong Hee pour malversations financières, ne semblent pas avoir eu de conséquences sur l’affluence des fidèles à ses shows qui continent de rassembler quelque 10 000 personnes.
Aujourd’hui, la City Harvest a gagné de nombreux nouveaux adeptes grâce à ses missions d’évangélisation effectuées en Asie et aux Etats-Unis. L’Eglise évangélique a ainsi essaimé 49 filiales à Taiwan, en Malaisie, en Indonésie, au Japon et en Inde. Elle forme également dans son centre de formation biblique de futurs pasteurs venus de pays aussi différents que la Norvège, le Kazakhstan ou le Zimbabwe.
« Nous voulons porter l’Evangile jusqu’aux confins de la terre ! », explique ainsi à l’agence Reuters, le 6 mars dernier, le pasteur Bobby Chaw, chargé des missions à l’étranger mais aussi vice-président du service de management de la City Harvest Church. « Quelle que soit la méthode la plus efficace pour transmettre [notre] message aux nouvelles générations, nous l’utiliserons », ajoute-t-il.
L’année dernière, le fondateur de la New Creation Church, une autre Eglise évangélique de Singapour, Joseph Prince, s’est rendu aux Etats-Unis où il a prêché ‘à guichets fermés’ dans le gigantesque Long Beach Arena de Los Angeles (d’une capacité de près de 15 000 spectateurs), et a rempli la plus grande église du pays, la Lakewood Church au Texas. Parallèlement, le livre du Rév. Prince, The Power of Right Believing, a été classé en seconde place des best-sellers de 2013 dans la liste établie par le New York Times.
Bien que le concept de méga-church soit venu des Etats-Unis, c’est en Asie que celui-ci semble s’épanouir le plus largement. La Corée du Sud vient en tête de ces pays où prospèrent ces Eglises évangéliques, avec notamment la Yoido Full Gospel Church qui revendique plus d’un million de fidèles. Comme le leader de la City Harvest Church, le fondateur de l’Eglise Yoido du Plein Evangile, David Yong-gi Cho, fait actuellement l’objet d’un procès pour détournement de fonds et corruption.
Selon les comptes étudiés par le délégué aux Associations de la cité-Etat, la New Creation Church aurait récolté auprès de ses 30 000 fidèles plus de 74 millions de SGD (dollars de Singapour) en 2012, tandis que la City Harvest aurait amassé en 2009 environ 38,6 millions de SGD.
Cette dernière, qui assure rassembler plus de 20 000 membres, célibataires à 62 %, a commencé à investir dans l’industrie du spectacle après avoir vu se déchaîner les jeunes de langue chinoise lors des concerts de musique pop de Taiwan. Ses rassemblements sont à l’image de ces shows, avec chorégraphies, éclairages et mises en scènes signés par des professionnels de Singapour et de Taïwan.
Le Church’s Crossover Project de la City Harvest, qui fête cette année ses dix ans d’existence, a permis de faire participer aux objectifs de l’Eglise des stars du show-business. La femme du leader de l’Eglise, la Rév. Ho Yeow Sun, star de la pop qui enchaîne les succès sous le nom de Sun, joue un rôle essentiel dans ce programme d’association avec des célébrités, qu’il s’agisse de Jay Chou, chanteur et acteur taïwanais célèbre, ou de producteurs comme David Foster et Wyclef Jean qui ont permis à la chanteuse de pénétrer sur le marché américain.
Cette déferlante évangélique inquiète aujourd’hui les religions traditionnelles de Singapour, comme le bouddhisme dont le nombre d’adeptes serait passé de 42 % en 2000 à 33 % seulement en 2010, tandis que la proportion de chrétiens (essentiellement protestants) aurait augmenté pour la même période de 14 % à 18 %.
Rolland Teo, âgé de 25 ans et issu d’une famille bouddhiste, explique ce qui l’a séduit à la City Harvest : « Tout était plus dynamique, plus relationnel ; c’était quelque chose que je ne pouvais pas trouver en suivant les croyances de mes parents. »
Mais le succès du City Harvest’s Crossover Project a été rapidement suivi d’accusations de malversations financières, parmi lesquelles l’utilisation des dons des fidèles pour financer la carrière de chanteuse de Sun. Kong Hee, avec cinq autres membres de l’Eglise évangélique, doit actuellement faire face à une enquête pour abus de confiance et détournement de fonds à hauteur de 40 millions de dollars.
Selon la doctrine professée par les méga-churches, « la prospérité matérielle est la manifestation et la conséquence de l’obéissance aux commandements de Dieu ». Un concept qui semble rencontrer les attentes d’un nombre croissant de jeunes de Singapour. « C’est extrêmement séduisant pour de nombreux Singapouriens, mobiles socialement et qui sont à la recherche de certaines valeurs morales alors qu’ils tentent de monter dans l’échelle sociale », analyse Terence Chong, chercheur à l’Institut d’Etudes du Sud-Est asiatique.
En 2012, le rédacteur du blog Think free and fair à Singapour s’interrogeait déjà sur la séduction du concept de « l’Evangile rentable », alors que venait d’éclater le scandale financier autour de la City Harvest Church : « Le pasteur prêche que Dieu vous rendra 30, 60 ou 100 fois ce que vous donnez à la quête. Mais il faut vous montrer généreux dans vos offrandes pour pouvoir récolter (harvest) ce que vous avez investi (…). Et c’est là le génie de la City Harvest ; si la qualité du service offert [le retour sur investissement] n’est pas au rendez-vous, cette ‘entreprise’ peut dire à ses clients que c’est de leur faute parce qu’ils n’ont pas donné assez (…). Avez-vous donné jusqu’à vous en briser le cœur, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux ? Si la réponse est non, alors n’attendez pas que Dieu vous rende la moisson telle que peuvent l’espérer ceux qui suivent l’Evangile de la Prospérité. Y a t-il business plus merveilleux ? … ».
(eda/msb)