Eglises d'Asie – Corée du Nord
Des programmes radio pour rejoindre les chrétiens au-delà de la DMZ
Publié le 05/11/2015
Hwang Jang-yop était l’un des plus hauts dirigeants nord-coréens. Fondateur du Parti des travailleurs de Corée en 1946, il était considéré comme l’inspirateur du « Juche », l’idéologie propre au régime de Pyongyang. Président de l’Assemblée populaire suprême de 1972 à 1983, il avait été très proche de Kim Jong-il, le fils de Kim Il-sung au pouvoir de 1994 à 2011. Mais Hwang Jang-yop est aussi connu pour avoir été le plus important apparatchik du régime nord-coréen à avoir fait défection en Corée du Sud, en 1997 ; à Séoul, il avait échappé à plusieurs tentatives d’assassinat, pilotées très certainement par la Corée du Nord, avant de mourir à l’âge de 87 ans, le 10 octobre 2010. Ce qui est moins connu est que Hwang Jang-yop s’était converti au christianisme. « J’ai rencontré Dieu, le créateur de toutes choses », disait-il, des propos repris à l’antenne par la radio chrétienne de Séoul.
Cette émission, avec un peu de chance, sera entendue au-delà de la DMZ, le rideau de fer qui sépare les deux Corée, par des Nord-Coréens. Depuis plusieurs années en effet, des chrétiens sud-coréens déploient d’importants efforts pour les programmes des radios chrétiennes soient accessibles en Corée du Nord, malgré l’extrême censure exercée par le régime nord-coréen.
Free North Korea Radio diffuse principalement des programmes non confessionnels d’actualités, tout en offrant des créneaux horaires spécifiques pour des émissions chrétiennes. Une messe catholique est ainsi diffusée tous les mois et, lors du week-end de Pâques, les différents offices sont retransmis sur les ondes.
Une autre radio chrétienne, Voice of The Martyrs Korea, créée par un pasteur américain, Eric Foley et sa femme Hyun Sook, sud-coréenne, diffuse quotidiennement, aux quatre coins de la Corée du Nord, un programme de 90 minutes composé de catéchèses ou de conseils plus pratiques, telle une émission intitulée : « Comment être un leader chrétien dans un pays où la religion est interdite ? »
Ces émissions visent à aider les chrétiens de Corée du Nord (dont le nombre est inconnu mais que certaines estimations chiffrent à quelque 300 000) à vivre leur foi dans un pays où le seul culte autorisé est le culte obligatoire rendu à la dynastie régnante des Kim. « Les Nord-Coréens souffrent beaucoup et souvent, ils croient qu’ils souffrent car Dieu est en colère contre eux ; nous essayons donc de leur apporter des réponses, grâce à des temps d’enseignement biblique », explique à l’agence Ucanews, Tim Dillmuth, pasteur américain et porte-parole de la radio Voice of the Martyrs Korea.
Toutefois, les postes radio vendus en Corée du Nord ne permettent pas de capter les « radios pirates ». Ils sont cachetés d’un sceau infalsifiable attestant du réglage obligatoire sur les ondes des radios exclusivement gouvernementales. Malgré tout, ces dernières années, avec l’apparition des marchés privés et l’arrivée de produits en provenance de Chine, de nouvelles possibilités d’approvisionnement sont apparues.
En Corée du Sud, depuis le versant sud de la zone démilitarisée séparant les deux Corée, des militants sud-coréens envoient même, par l’intermédiaire de ballons gonflés à l’hélium, des radios, des tracts et des DVD, afin de fournir du matériel aux Nord-Coréens, si bien qu’aujourd’hui, on compterait près de deux millions d’appareils radio à ondes courtes en Corée du Nord.
Pour augmenter la portée de diffusion, certaines radios chrétiennes utilisent les ondes courtes, bien que celles-ci soient sensibles au brouillage mis en œuvre par le régime nord-coréen, « un bruit d’avion à réaction » qui vient recouvrir le son de « ces émissions pirates ». En 2011, Pyongyang aurait ainsi augmenté la capacité de ses dispositifs de brouillage, mais les coupures d’électricité régulières ont minoré les résultats escomptés. « Voice of the Martyrs Korea est de toute façon capable de changer de fréquences et de délocaliser ses antennes », précise encore Tim Dillmuth, en ajoutant, non sans une pointe d’ironie, que « le meilleur témoignage de l’efficacité de nos émissions est l’énergie déployée par le gouvernement nord-coréen pour les bloquer ! »
Une chose est de diffuser des émissions, mais sont-elles réellement écoutées de l’autre côté du rideau de fer coréen ? Comment évaluer leur audience ? Permettent-elles d’évangéliser ? Difficile d’apporter des réponses précises tant le pays est replié sur lui-même. D’après Jung Jin-Heon, chercheur pour l’étude de la diversité ethnique et religieuse au Max Planck Institute, qui a interviewé des dizaines de réfugiés nord-coréens, l’influence de ces émissions à l’intérieur du pays reste minime.
Pour autant, certains réfugiés actuellement en Corée du Sud ont pu témoigner avoir écouté ces émissions lorsqu’ils vivaient encore au Nord, comme cette femme, qui lorsqu’elle était enfermée derrière les barreaux d’une prison nord-coréenne, a écouté, grâce à ses codétenus, une émission chrétienne. Ou ce couple âgé, réfugié en Corée du Sud depuis 1997, qui, sous couvert d’anonymat, témoigne de sa vie lorsqu’ils étaient en Corée du Nord : « Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, un jour, qu’un de mes meilleurs amis, que je connaissais depuis plusieurs dizaines d’années, partageait la même foi que moi. Il captait des programmes radio émis par des chrétiens en Corée du Sud, prenait des notes, les cachait dans son chapeau et venait discrètement chez moi. Nous devions, bien entendu, tenir tout cela dans le plus grand secret… »
D’après l’ONG Portes Ouvertes (2), sur les 300 000 chrétiens nord-coréens, 60 000 seraient derrière les barreaux ou en camps de travail en raison de leur foi. Des chiffres impossibles à recouper de manière indépendante. Selon les statistiques de Pyongyang, 3 000 catholiques « pratiquent librement leur foi », sous la tutelle de l’Association catholique coréenne, entièrement contrôlée par le régime, et en l’absence de tout clergé. Pour les Nations Unies, ils ne seraient que 800. En 1945, 13,5 % de la population de Pyongyang était chrétienne.
(eda/nfb)