Eglises d'Asie

Visites de délégations de responsables religieux sud-coréens en Corée du Nord

Publié le 10/11/2015




Fruit de l’accord conclu fin août 2015 entre les deux Corée, les visites de délégations de responsables religieux en Corée du Nord se succèdent. Après une visite conduite fin octobre à Pyongyang par le Forum œcuménique pour la Corée et une autre emmenée par l’Association des prêtres catholiques pour la justice, la Corée du Nord a accueilli, ces 9 et 10 novembre, …

… 150 responsables religieux issus des sept principales religions présentes en Corée du Sud. Ces visites successives ne lèvent pas pour autant les questions sur le degré de liberté religieuse dont jouiraient les Nord-Coréens.

Les 9 et 10 novembre, c’est la Conférence coréenne des religions pour la paix (KCRP), organisme sud-coréen où sont représentées les sept plus importantes religions de Corée du Sud (1), qui a emmené quelque 150 religieux sud-coréens au Mont Kumgang. Haut-lieu de l’âme coréenne situé en territoire nord-coréen, à proximité de l’infranchissable frontière qui sépare les deux Corée, le Mont Kumgang abrite notamment le temple bouddhique de Singyesa, temple fondé en 519, détruit durant la guerre de Corée (1950-1953) par des bombardements américains et reconstruit en 2004 au sein d’un projet intercoréen. C’est donc dans ce lieu symbolique que des rencontres ont eu lieu entre religieux nord- et sud-coréens. Des temps de prière ont été organisés pour les représentants des différentes religions venus du Sud, notamment bouddhistes, catholiques et protestants. Les responsables de la KCRP soulignent que cette rencontre est la première du genre à être organisée en Corée du Nord depuis celle qui avait été montée à Pyongyang en septembre 2011 ; cette année comme en 2011, il s’ agissait, insiste la KCRP, « de prier ensemble pour la paix et la stabilité dans la péninsule coréenne ». L’événement est « particulièrement significatif », ajoute encore la KCRP, car c’est la première fois qu’autant de religieux des deux Corée sont réunis en même temps depuis l’arrivée au pouvoir à Séoul, en février 2013, de Mme Park Geun-hye.

Auparavant, Pyongyang avait vu, entre le 23 et le 30 octobre, la visite de deux délégations chrétiennes.

La première était formée de douze membres de l’Association des prêtres catholiques pour la justice (CPAJ). C’était la première fois depuis 2008 que cette association de prêtres sud-coréens, considérée comme « progressiste » et très critique envers le parti conservateur de Mme Park Geun-hye, revenait en Corée du Nord. Présents à Pyongyang du 23 au 27 octobre, les prêtres catholiques ont été reçus par des responsables de l’Association catholique de Corée (du Nord), organe officiel du régime nord-coréen. Les prêtres sud-coréens ont pu célébrer une messe dans l’église de Changchung, unique église catholique ouverte au culte à Pyongyang. Dans ce pays où aucun prêtre catholique ne vit ni n’exerce son ministère, le simple fait de célébrer l’eucharistie est considéré comme une marque d’attention particulière de la part des autorités nord-coréennes.

En 2009, le gouvernement nord-coréen avait rejeté une demande de la CPAJ de venir en Corée du Nord pour assister à une cérémonie avec un groupe de bouddhistes. De même, l’association n’avait pas été autorisée à venir en décembre 2011 pour une cérémonie commémorative à la gloire de l’ancien leader nord-coréen Kim Jong-il. Cette fois-ci, selon les propos d’un responsable du ministère sud-coréen de l’Unification, cité par le journal sud-coréen Korea Times, le gouvernement sud-coréen « a autorisé la visite des prêtres [de la CPAJ] car celle-ci n’avait pour seul objet que les échanges religieux entre les deux pays ». En Corée du Sud, où toute visite de citoyens sud-coréens au Nord est illégale sauf à avoir été expressément autorisée par le ministère de l’Unifcation, le fait que cette visite ait été autorisée est interprété comme le signe que l’administration Park Geun-hye est prête à ouvrir les échanges avec la Corée du Nord à des groupes qui ne lui sont pas nécessairement politiquement favorables.

La seconde délégation chrétienne était emmenée à Pyongyang par le Forum œcuménique pour la Corée, une co-initiative lancée en 2006 par le Conseil œcuménique des Eglises et la Conférence des chrétiens d’Asie. La délégation a passé une semaine en Corée du Nord, du 23 au 30 octobre ; à Pyongyang, elle a d’ailleurs croisé la délégation de la CPAJ, les deux groupes étant logés dans le même hôtel. Réunissant des chrétiens protestants et orthodoxes, venus de Corée du Sud et d’autres pays étrangers, elle a notamment visité dans la capitale nord-coréenne les trois seuls lieux de culte chrétiens qui s’y trouvent (l’église catholique de Changchung et les temples protestants de Pongsu et de Chilgol) ainsi que des fabriques de produits alimentaires. A l’issue de ses contacts avec les Nord-Coréens, la délégation a rédigé un « Appel de Pyongyang » pour appeler toutes les Eglises et les personnes de bonne volonté à œuvrer à la réunification pacifique de la péninsule coréenne.

Selon Peter Prove, directeur des affaires internationales du Conseil œcuménique des Eglises, membre de la délégation présente à Pyongyang, les responsables nord-coréens ont expliqué que quelque 200 Nord-Coréens se réunissaient chaque dimanche dans l’église catholique pour un service religieux sans célébration de l’eucharistie.

Concernant l’existence d’une communauté catholique en Corée du Nord, l’Association catholique de Corée a, il y a plusieurs années de cela, avancé le chiffre de 3 000 fidèles, sans aucun élément pour étayer ce chiffre. Selon des membres d’ONG étrangères intervenant dans le pays, chaque dimanche, l’église de Changchung réunit effectivement des Nord-Coréens qui viennent y prier, mais dans un pays où le seul culte autorisé est celui de la dynastie des Kim au pouvoir, il n’existe aucune évidence d’une quelconque liberté de religion.

A l’archevêché de Séoul, dont l’archevêque assume le titre d’administrateur apostolique du diocèse de Pyongyang, on estime que les personnes réunies dans l’église de Changchung à l’occasion du passage de visiteurs étrangers ne sont que des figurants dont le rôle est de démentir l’absence de liberté religieuse en Corée du Nord. En mai 2014, rappelle Stephany Sun, porte-parole de l’archidiocèse, le cardinal Andrew Yeom Soo-jung, s’est rendu en visite à Kaesong, parc industriel nord-coréen où sont implantées des entreprises sud-coréennes. En dépit du fait que c’était la première visite d’un cardinal de l’Eglise catholique en Corée du Nord, Mgr Yeom n’a pas pu rencontrer ne serait-ce qu’un seul catholique.

Jang Jin-sung vit en Corée du Sud depuis 2005, année où il a fait défection et quitté le régime nord-coréen où il occupait un poste important au sein de l’appareil de propagande. Selon lui, tout geste du gouvernement nord-coréen en ce qui concerne les religions n’est entrepris que pour obtenir des gains en matière d’image sur la scène internationale. « Ce qui tient lieu d’Eglise catholique est directement mis en œuvre par le Bureau du Front uni et les ‘fidèles’ que l’on peut apercevoir ne sont que des agents des services du contre-espionnage », explique à l’agence Ucanews celui qui vit désormais sous pseudonyme en Corée du Sud.

A cette actualité contrastée s’ajoute ces jours-ci une controverse qui monte dans les médias anglophones. Selon le site d’investigation journalistique The Intercept, l’armée américaine a mené de 2004 à 2012 une opération ultrasecrète visant à obtenir des renseignements en Corée du Nord ; le Pentagon aurait pour cela utilisé les services d’une ONG, Humanitarian International Services Group (HSIG), et de son fondateur et dirigeant Kay Hiramine afin d’introduire en contrebande, en Corée du Nord, des bibles, dans un premier temps, puis du matériel militaire d’écoute et de transmission, dans un second temps. Le petit milieu des ONG étrangères actives en Corée du Nord s’insurge contre une telle utilisation, par les Etats-Unis, d’une couverture humanitaire afin de mener des actions clandestines ; certains d’entre eux émettent toutefois des doutes sur l’enquête de The Intercept, mise en ligne le 26 octobre, et affirment n’avoir jamais croisé Kay Hiramine ni son ONG-paravent HSIG.

(eda/ra)