Eglises d'Asie – Philippines
Deux ans après Haiyan, la reconstruction à l’épreuve du changement climatique
Publié le 13/11/2015
… le plus meurtrier de l’histoire de l’archipel, les responsables politiques se doivent d’agir sur les causes du changement climatique et qu’il ne suffit pas de venir en aide aux victimes des typhons et autres accidents climatiques.
Après être venue en aide à 1,8 million de victimes du typhon qui, le 8 novembre 2013, a ravagé toute une partie du centre de l’archipel philippin, l’Eglise doit « apporter un soutien plus large encore », estime Sœur Maureen Catabian, religieuse philippine des Sœurs du Bon Pasteur, dans une interview accordée à l’agence Ucanews.
Le 8 novembre 2013, Haiyan (connu sous le nom de Yolanda aux Philippines) touchait terre à Guiuan, sur l’île de Samar, et dévastait les Visayas, la région centrale du pays, avec des vents soufflant à plus de 315 km/h. Deux ans après, le bilan humain reste incertain : près de 7 000 morts selon les autorités, plus de 8 000 selon la Croix-Rouge. La ville portuaire de Tacloban, sur l’île de Leyte, est celle qui a payé le plus lourd tribut. A lui seul, le typhon a déplacé plus de quatre millions de personnes à travers le pays.
Aujourd’hui, « nous devons nous mettre en quête d’une justice climatique », affirme Sœur Catabian, qui collabore avec des associations spécialisées dans la lutte contre la pauvreté. Dans un pays où l’Eglise locale se définit comme « l’Eglise des pauvres », le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, a redit, à l’occasion des cérémonies de clôture de « l’Année des pauvres », le 7 novembre dernier : « Etre l’Eglise des pauvres est plus qu’un simple projet socio-économique. »
Dans le deuxième pays le plus exposé au changement climatique selon l’indice de l’université des Nations Unies, l’épiscopat prend régulièrement position pour la défense de l’environnement. Lors de la parution de l’encyclique du pape François Laudato Si’, la Conférence des évêques philippins avait ainsi salué un passage inspiré d’une de ses lettres pastorales datées de 1988 et, par là-même, une reconnaissance de ses efforts pastoraux pour placer le sujet au cœur des débats contemporains.
Le 11 novembre, alors que les responsables de 43 nations asiatiques et africaines réunis à Manille signaient « The Manila Communique », un texte pour souligner les dangers auxquels les changements climatiques exposent un milliard d’habitants des pays pauvres ou en développement, l’épiscopat philippin a déclaré son soutien aux objectifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone annoncés par le gouvernement philippin. Ce dernier a déclaré que les émissions des Philippines seraient réduites de 70 % d’ici à 2030. Mgr Socrates Villegas, président de la Conférence épiscopale, a déclaré que « l’urgence » climatique était « claire » et que les Philippins devaient faire leur part du travail, mais il a aussi questionné l’ambition affichée par le gouvernement, lui demandant « de clarifier comme cet admirable objectif pouvait réellement être atteint ».
« Il faut se pencher sur les causes profondes du changement climatique », affirme quant à elle Sœur Catabian, à quelques jours de la conférence des Nations Unies sur le climat à Paris et à la veille du sommet Asie-Pacifique de l’APEC à Manille. « Nous devrions considérer la responsabilité des pays émetteurs de dioxyde de carbone à l’origine du réchauffement climatique », avance-t-elle.
En prévision de ces deux événements internationaux, des membres de l’Eglise locale ont rejoint la « People’s Environmental Conference », à l’origine d’un appel à la communauté internationale. En douze points, le document exhorte à adopter un accord contraignant, prévoyant des réductions drastiques d’émissions de dioxyde de carbone, ainsi qu’un bouleversement des politiques jugées polluantes et destructrices. Dès le début de l’APEC (du 13 au 19 novembre) à Manille où sont attendus notamment les présidents américain Barack Obama et chinois Xi Jinping, des manifestations sont par ailleurs annoncées, y compris contre les Philippines, le pays hôte. « Notre gouvernement se rend complice des premiers pollueurs de la planète », affirme Clemente Bautista, coordinateur national du réseau Kalikasan People’s Network for the Environment. En tagalog, Kalikasan signifie ‘Mère Nature’.
A Tacloban, par ailleurs, des prêtres ont rejoint la mobilisation citoyenne de plus en plus critique à l’égard d’un projet de digue géante. Objectif affiché par le gouvernement philippin : mieux protéger les côtes et les populations contre le phénomène de l’onde de tempête, cette série de vagues meurtrières provoquées par les cyclones, réputés plus difficiles à prévoir à cause du dérèglement climatique. Il est question de construire un édifice haut de 4 mètres et long de presque 30 kilomètres, à 40 mètres du rivage, à l’intérieur du périmètre où toute nouvelle construction est en théorie désormais interdite. Les travaux pourraient démarrer d’ici la fin de l’année et s’achever en 2020.
A l’archidiocèse de Palo, commune voisine de Tacloban, le P. Virgilio Canete évoque une récente étude selon laquelle cette digue pourrait en fait projeter encore plus d’eau à l’intérieur des terres via les cours d’eau. De quoi craindre, en retour, les pires dommages. Une réunion a été convoquée le mois prochain afin d’arrêter une position officielle sur ce projet déjà validé par le gouvernement Aquino, pour un coût estimé à près de 160 millions d’euros.
« Ce projet onéreux n’a pas sa place étant donnée la situation présente des survivants de Haiyan », fustige Marissa Cabaljao, porte-parole de People Surge, un groupe de victimes. « Pourquoi donner la priorité à ce projet alors que tant de gens restent dans une situation misérable ? », demande-t-elle. Beaucoup de survivants attendent encore d’être relogés, sans forcément savoir quand leur tour viendra. A Tacloban, à peine 10 % des maisons en dur prévues par le gouvernement sont sorties de terre ; dans l’ensemble de la région affectée par le typhon, People Surge affirme que 534 maisons en dur seulement ont été bâties, là où l’objectif officiel annonçait 13 801 maisons à faire sortir de terre. « Beaucoup de familles ont été déplacées, avec une scolarité interrompue pour les enfants et un accès en pointillé aux soins », déplore également Marissa Cabaljao.
Pour Jun Castillo, président d’une association de pêcheurs de la ville, le mur, surnommé « la Grande Muraille » par ses détracteurs, risque de priver beaucoup de leur principal et unique moyen de subsistance. L’homme plaide pour une réhabilitation de l’environnement côtier, avec l’édification d’une barrière naturelle faite de plantations de mangroves.
(eda/md)