Eglises d'Asie

L’archevêque de Djakarta contre la reprise prochaine des exécutions capitales

Publié le 30/12/2014




Le 25 décembre, jour de Noël, l’archevêque de Djakarta et président de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, Mgr Ignatius Suharyo, a dénoncé le projet du président Joko Widodo consistant en la reprise des exécutions capitales pour les trafiquants de drogue. « Personne n’a le droit …

… de prendre une vie, a déclaré l’évêque au site d’information en ligne Tempo. L’Eglise enseigne que la peine de mort n’est pas souhaitée. »

Elu en juillet 2014 et ayant pris ses fonctions en octobre dernier, Joko Widodo a souvent proclamé son désir d’en finir avec les divisions qui minent l’Indonésie et de réformer un pays encore marqué par de profondes inégalités. En mai dernier, lors de la campagne électorale, il annonçait que son programme de gouvernement équivaudrait à une « Revolusi Mental » (‘révolution mentale’), afin de sortir le pays, seize ans après la chute du président Suharto, d’une mentalité encore trop tournée vers le passé. Le 10 décembre dernier toutefois, dans un discours prononcé à l’université Gadjah Mada, à Yogyakarta, il a douché les espoirs de ceux qui attendaient de lui que l’Indonésie se range définitivement au nombre des pays ayant renoncé à la peine de mort.

Devant les étudiants de la prestigieuse université, il a expliqué qu’il ne gracierait pas les condamnés à mort pour trafic de drogue. « Je crois que nous sommes conscients que, face à l’importance du phénomène de la drogue, l’Indonésie est en état d’urgence », a-t-il déclaré, soulignant que de 40 à 50 jeunes Indonésiens mouraient chaque jour de la consommation de drogue et que le pays comptait environ 4,5 millions de toxicomanes. « Il n’y a pas de grâce à attendre pour ces cas-là », a-t-il affirmé, estimant que le pays avait besoin d’« une thérapie de choc » en ce domaine. Une semaine auparavant, il avait annoncé que cinq condamnés à mort pour trafic de drogue seraient exécutés avant la fin de l’année.

En Indonésie, le Code pénal prévoit la peine de mort, par fusillade devant un peloton d’exécution, pour les crimes de meurtre et de trafic de drogue. Depuis 1996, 26 personnes ont été exécutées, que ce soit pour des affaires liées à des meurtres (12), à des actes de terrorisme (7) ou au trafic de drogue (7). De novembre 2008 à mars 2013, les autorités indonésiennes ont observé un moratoire des exécutions capitales, avant de les reprendre au motif de lutter contre le trafic de drogue, et cinq condamnés ont été exécutés entre mars et novembre 2013. Depuis cette date, aucune exécution n’était intervenue. Le nombre des détenus dans les couloirs de la mort se monte aujourd’hui à 136 (dont 64 pour trafic de drogue, deux pour terrorisme et le reste pour crime de sang).

Selon le ministère de la Justice, sur les cinq condamnés à mort qui risquent d’être exécutés d’ici demain soir (ce qui feraient d’eux les premières exécutions de l’année 2014), trois ont été condamnés pour trafic de drogue et deux pour crime avec préméditation. Un porte-parole du ministère a ajouté, le 18 décembre, que « les autorités avaient préparé une liste de 20 condamnés » qui seraient exécutés en 2015. Tous ont épuisé l’ensemble des recours judiciaires possibles, a précisé le porte-parole.

La prise de position du président Jokowi en faveur de la peine capitale a soulevé de vives critiques dans les milieux des défenseurs des droits de l’homme. A la Commission nationale pour les droits de l’homme, un organisme indépendant du pouvoir, Natalius Pigai rappelle que la peine de mort viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Indonésie en 2005, ainsi que la loi de 1999 sur les Droits de l’homme et la Constitution de 1945. « Nous avons bien conscience que les drogues sont un ennemi du genre humain, mais condamner à mort les trafiquants de drogue ne constitue pas nécessairement la solution. Quel principe fondamental autorise la mise à mort d’un meurtrier ? », interroge Natalius Pigai.

Quant à la Commission pour les personnes disparues et les victimes de violence, elle a déclaré par l’intermédiaire de son responsable, Chrisbiantoro, au journal Kompas qu’elle s’apprêtait à déposer une plainte auprès du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en cas de reprise des exécutions capitales.

Dans une Indonésie où les musulmans constituent 85 % de la population et les chrétiens 10 %, les responsables religieux ne présentent pas un front uni sur cette question. Si l’engagement de l’Eglise catholique contre la peine de mort est ancien, celui des musulmans diffère. Ce 24 décembre, Said Aqil Siradj, président du bureau central de la Nahdlatul Ulama, la plus importante organisation musulmane de masse du pays, a apporté son soutien au président Jokowi. « Nous approuvons la peine de mort pour les producteurs et les trafiquants de drogue – mais pas pour les consommateurs », a-t-il déclaré.

(eda/ra)