Eglises d'Asie

Elections 2016 : des prêtres tentés par la politique

Publié le 03/12/2015




Trois prêtres catholiques ont annoncé leur intention de se présenter devant les électeurs lors des élections politiques nationales l’an prochain, et ce malgré la désapprobation de leur hiérarchie. Dans le principal pays catholique d’Asie, ce n’est pas une première et les principaux intéressés se défendent …

… d’utiliser la religion comme un marchepied pour assouvir une ambition personnelle.

Les trois prêtres à briguer un mandat électif pour le scrutin du 9 mai prochain sont les PP. Jeemar Lucero Vera Cruz, Walter Cerbito et Jack Sasu, rapporte l’agence Ucanews.

Vicaire général du diocèse d’Iligan, le P. Jeemar Lucero Vera Cruz se présente au poste de vice-maire de cette ville du nord de Mindanao, la deuxième plus grande île du pays. « Je quitterai mon rôle de prêtre, temporairement, en réponse à l’appel de Dieu pour venir en aide aux électeurs d’Iligan », s’est-il justifié, évoquant l’arrestation du maire sortant, accusé de fomenter l’assassinat d’un membre du Congrès. « En aucun cas, je n’instrumentalise l’Eglise ou ma fonction pour servir mes propres aspirations politiques », rétorque à l’adresse de ses détracteurs le candidat novice. Il dénonce en particulier le sort de centaines de familles toujours sans abri presque six ans après le passage du typhon Washi, dans le sud des Philippines. « Les pauvres ont tant perdu. C’est notre devoir de les aider à reconstruire leur vie », poursuit P. Vera Cruz. Et d’arguer : « Cela exige un certain sens de la justice, de la charité et de l’équité. »

A Catarman, dans le centre du pays, le P. Walter Cerbito souhaite prendre la tête de la province de Samar-Nord, en tant que gouverneur. « Il est temps pour Samar-Nord de se redresser et, pour cela, quelqu’un doit se lever afin de faire advenir un changement véritable », affirme-t-il. Au sein du même diocèse de Catarman, le P. Jack Sasu, prêtre à la retraite, a lui déposé sa candidature pour briguer le poste de conseiller de la capitale provinciale.

L’alinéa 3 de l’article 285 du Code de droit canon interdit pourtant aux clercs de « participer à l’exercice du pouvoir » (1). « La règle est claire, puisque la mission de l’Eglise est par essence non partisane », rappelle Mgr Honesto Ongtioco à Cubao, dans la banlieue de la capitale. Pour le cardinal Gaudencio Rosales, archevêque émérite de Manille, « les prêtres doivent servir l’Eglise avant tout. Il existe bel et bien une manière d’aider le peuple en tant que prêtre ». Contactée par Eglises d’Asie, la Commission épiscopale pour le clergé n’a pas souhaité commenter le sujet.

Aux Philippines, ces candidatures politiques au sein du clergé ne sont pas une première. L’exemple le plus célèbre est « l’affaire Panlilio » en 2010. Déjà élu gouverneur de la province de Pampanga malgré la réprobation de ses supérieurs, le P. Eddie Panlilio avait fait à l’époque part de ses ambitions présidentielles, avant de finalement se rétracter. Entretemps, l’homme controversé avait demandé à être réduit à l’état laïc pour pouvoir se présenter à nouveau à la tête de sa province sur un programme anticorruption. Désigné vainqueur de l’élection dans un premier temps, le P. Eddie Panlilio avait dû néanmoins céder sa place à sa rivale, après un nouveau décompte des votes en faveur de celle-ci, avant d’être suspendu de son ministère sacerdotal.

Dans le principal pays catholique d’Asie (85 % des cent millions de Philippins se réclament du catholicisme), le lien entre politique et religion reste, de fait, très fort. Au moment de la chute de la dictature, l’Eglise avait appuyé les opposants au dictateur Ferdinand Marcos (au pouvoir de 1965 à 1986). Aujourd’hui, la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP) fustige régulièrement les écarts de la classe politique, en particulier les scandales de corruption à répétition, dans un pays aux fortes inégalités économiques et sociales.

« Soyons vigilants, engageons-nous et prions pour le succès des élections », exhorte ainsi Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, sur l’île de Mindanao, dans une lettre ouverte publiée début novembre, avant d’appeler à des élections « propres, honnêtes, responsables, constructives et sans violence ». Car la saison électorale est réputée mouvementée dans l’archipel. Le 23 novembre 2009, dans le sud de Mindanao, 58 personnes avaient été tuées dans une embuscade, alors qu’elles accompagnaient un candidat au poste de gouverneur. « Le massacre de Maguindanao » est l’attentat le plus sanglant de l’histoire récente des Philippines.

Par ailleurs, le début de la campagne pour ces élections 2016 a été entaché, sur le plan verbal, par une controverse sur fond d’accusations d’abus sexuels de la part de membres du clergé et de blasphème. L’un des favoris pour la présidence, Rodrigo Duterte, maire de la tentaculaire ville de Davao, à Mindanao, a maudit dans un discours télévisé le pape François, qu’il a alors jugé responsable des embouteillages monstres lors de sa visite dans le pays en janvier dernier, également souvent le lot quotidien de nombreux habitants de la capitale.

Connu pour ses multiples provocations, l’homme politique souhaite employer la manière forte pour mettre fin à la corruption, souvent cité comme l’un des freins au développement des Philippines. Mais des organismes de défense des droits de l’homme accusent l’édile d’être derrière un escadron de la mort, responsable de l’exécution d’un millier de personnes, y compris des enfants des rues. Les propos de Rodrigo Duterte, « poussé » à se présenter par une pétition signée par des millions de personnes, ont été immédiatement condamnés par la Conférence des évêques catholiques des Philippines. « La vulgarité est une forme de corruption. Quand des personnes s’amusent de la vulgarité, c’est qu’elles ont atteint un haut degré de dégoût et de barbarie », tempête dans un communiqué le président de la Conférence épiscopale, Mgr Socrates Villegas.

Peu après, Rodrigo Duterte a également accusé, sans les nommer, des prêtres d’abus sexuels à son encontre durant sa scolarité à l’Ateneo de Davao, établissement tenu par les jésuites. Mgr Oscar Cruz, archevêque émérite de Lingayen-Dagupan et canoniste réputé, ainsi que l’évêque auxiliaire de Manille, Mgr Broderick Pabillo, l’ont aussitôt enjoint à déposer plainte officiellement. « Cela nous permettra de faire le ménage chez nous aussi », a déclaré ce dernier.

(eda/md)