Eglises d'Asie

Cardinal Tagle, 55 ans, ‘papabile’ des Eglises du Sud ?

Publié le 22/02/2013




Présenté par nombre de vaticanistes comme l’un des seuls, voire l’unique ‘papabile’, issus des Eglises ‘du Sud’, le cardinal Luis Antonio Tagle se borne à répondre que devenu archevêque de Manille depuis à peine plus d’un an, il n’avait pas encore pris la pleine mesure de sa charge pastorale quand il lui avait été demandé d’assumer le cardinalat. « Je ne suis cardinal que depuis deux mois…

et je m’apprête à exercer l’un des devoirs les plus importants du cardinalat, devoir dont j’admets volontiers que je ne sais encore rien », a-t-il déclaré le 17 février dernier, depuis Quezon City, en réponse à une question qui lui était posée au sujet du prochain conclave.

A 55 ans, quasi benjamin du collège cardinalice (seul le cardinal Thottunkal, 54 ans, de l’Eglise syro-malankare, est plus jeune que lui), Mgr Tagle suscite à l’évidence beaucoup d’intérêt : il est jeune, communicatif, disponible ; il ne cache pas ses émotions, ni les larmes qu’elles peuvent éventuellement provoquer – par exemple lors de la remise de la barrette cardinalice des mains de Benoît XVI ; il est intellectuellement brillant, docteur en théologie et a été membre de la Commission théologique internationale de 1997 à 2002 ; enjoué, il est à l’image de l’Eglise dont il est issue, l’Eglise des Philippines, une Eglise jeune qui, dans l’esprit des autres cardinaux et des responsables de la Curie romaine, est presque toujours présentée comme étant « une grande Eglise, une Eglise magnifique ».

De fait, après la génération des grandes figures telles les cardinaux Sin et Vidal, Mgr Tagle incarne une nouvelle génération d’évêques philippins, responsables d’une Eglise toujours aussi présente sur la scène politique mais qui n’est plus nécessairement considérée par le personnel politique local comme tenant le rôle d’arbitre en dernier recours. Face aux défis de la modernisation politique, d’une transition démocratique imparfaite, d’une croissance économique très inégalitaire et destructrice de l’environnement, les évêques philippins s’attachent à rendre plus « crédible » le message évangélique porté par l’Eglise.

Né le 21 juin 1957 dans une famille de la classe moyenne de Manille, d’origine chinoise par sa mère, Antonio Tagle commence ses études supérieures à la prestigieuse université jésuite de l’Ateneo de Manila. Diplômé en philosophie, il entre au séminaire San Jose, tenu par les jésuites, à Quezon City, tout en poursuivant ses études à la Loyola School of Theology de l’Ateneo. Ordonné prêtre en 1982, il parachève sa formation à Rome, à la Grégorienne, puis à l’Université catholique d’Amérique, aux Etats-Unis. Dès 1997, il est appelé à siéger à la Commission théologique internationale, alors présidée par le cardinal Ratzinger.

Selon le jésuite philippin Catalino Arevalo, personnalité de la scène théologique aux Philippines, « ’Chito’ Tagle ne doit pas être analysé selon des critères le qualifiant de ‘conservateur’ ou de ‘libéral’. Il est avant tout un pasteur et les controverses théologiques ne l’intéressent pas pour elles-mêmes. Ce qui lui importe, ce sont les développements pastoraux induits par les arguments théologiques ». Quant à la proximité du cardinal Tagle avec le pape Benoît XVI, le jésuite souligne que ce dernier ne l’aurait pas nommé évêque d’Imus en 2001 puis transféré sur le siège de Manille en 2011 s’il n’avait pas été certain de pouvoir compter sur lui. Confiance que son élévation au cardinalat le 24 novembre dernier n’a fait que confirmer.

Depuis son ordination épiscopale, Mgr Tagle, à de nombreuses reprises, a mis en avant sa volonté d’exercer son autorité « avec humilité ». Lors du récent Synode pour la nouvelle évangélisation, où il figurait parmi les délégués choisis par le pape, Mgr Tagle avait fait forte impression en appelant l’Eglise à plus de « simplicité évangélique ». Reprenant un thème qu’il avait déjà développé aux Philippines, notamment en 2010 à l’occasion d’un congrès du clergé philippin, Mgr Tagle avait insisté sur la nécessaire humilité que devrait revêtir le sacerdoce ministériel. « Je réalise que les souffrances auxquelles font face les gens et les questions difficiles qu’ils posent sont une invitation à être d’abord solidaire avec eux, pas à leur dire que nous avons la réponse à toutes les questions », avait-t-il expliqué sur les ondes de Radio Vatican.

Dans un livre publié en 2005 intitulé Easter People: Living Community, il écrivait : « Apprenez du peuple, des laissés-pour-compte, de vos voisins. Rappelez-vous que notre manière de ‘dire Dieu’ n’est pas la seule. Apprenez d’eux. Apprenez des victimes de la violence et de la souffrance qui n’ont pas de sens. Apprenez à ‘dire Dieu’ comme eux, dans l’espérance. Apprenez de ceux qui sont poussés aux limites des possibilités de l’homme à ‘dire Dieu’, de ceux qui parfois ne le disent pas mais ne l’ont pas pour autant oublié. Apprenez d’eux. Nous devons continuer à ‘dire Dieu’ avec toutes les joies, les douleurs et les risques que cela comporte. Continuez à ‘dire Dieu’ par le silence que le mystère crée et évoque. Continuez à ‘dire Dieu’. »

A propos de l’évangélisation en Asie, région du monde où les Philippines, très majoritairement catholiques, font exception tant la présence chrétienne y est minoritaire, celui qui était encore évêque d’Imus avait une vision très claire. En 2006, à l’occasion du premier Congrès missionnaire asiatique, il avait tenu les propos suivants : « Certains en Europe s’inquiètent de la direction prise par la mission en Asie. Ils disent : « Tout ce que vous faites, c’est dialoguer. » Je leur dis : un jour, vous étudierez nos travaux parce c’est ce qui se passe en Europe aujourd’hui. L’Eglise devient plus petite (…).[Autrefois] pratiquement toute l’Europe était chrétienne. Aujourd’hui, les chrétiens, petit à petit, deviennent moins nombreux et d’autres religions grandissent. A un moment, la communauté chrétienne ne sera plus qu’« un petit troupeau » et, à ce moment-là, ils vivront ce que nous vivons en Asie. Peut-être alors, regarderont-ils comment nous vivons la mission en Asie. La dynamique sera sans doute différente car ils ont commencé grand et, ici en Asie, nous avons commencé petit. Mais, aujourd’hui en Europe, ils deviennent petits à mesure que leur société devient de plus en plus pluri-religieuse, multiculturelle, du fait des migrations, et la pauvreté y est grandissante. »

En 2001, ordonné évêque d’Imus, Mgr Tagle avait choisi comme devise épiscopale Dominus Est ! (‘C’est le Seigneur !’), de l’évangile selon saint Jean : « Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Simon-Pierre, ayant entendu que c’était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu, et se jeta dans la mer. » (Jn, 21,7)