Eglises d'Asie

Un missionnaire français honoré pour sa contribution à la préservation de la langue des Amis

Publié le 09/12/2015




Le P. Maurice Poinsot, 84 ans, prêtre de la Société des Missions Etrangères de Paris (MEP), fait partie des lauréats 2016 des prix décernés par le ministère taïwanais de l’Education à ceux dont la contribution à la promotion des langues locales est exceptionnelle, annonce Taiwan Info, site officiel …

… de la République de Chine (Taiwan), ce mercredi 9 décembre.

Arrivé à Yuli, dans le district de Hualien, sur la côte Est de Taiwan, lorsqu’il avait 27 ans, le P. Poinsot s’est d’abord attaché à apprendre les langues de ses différents paroissiens – le chinois, le taïwanais, le hakka et l’amis – afin de mieux communiquer avec eux. Par la suite, afin d’aider d’autres prêtres à apprendre la langue amis, il a entrepris, avec un autre missionnaire, le P. Louis Pourrias (1930-2012), envoyé lui aussi dans la région de Hualien par les Missions étrangères de Paris, la réalisation d’un dictionnaire amis-français en s’appuyant sur le vocabulaire collecté auprès des anciens. Ce dictionnaire, qui recense les mots de la langue des Amis telle qu’elle est parlée à Hualien et le long de la côte Est, reste un ouvrage de référence important pour l’étude de la langue amis.

Ce n’est pas la première fois que les autorités taïwanaises distinguent ainsi le travail des prêtres des MEP dans l’île. En 2001, la Fondation culturelle franco-chinoise, créée en 1996 par le Conseil national des Affaires culturelles de Taiwan et l’Académie française des Sciences morales et politiques, avait décerné son prix aux prêtres des Missions Etrangères de Paris installés à Hualien, sur la côte Est de l’île de Taiwan, pour leur « œuvre humanitaire et sociale » en milieu aborigène. Le gouvernement taïwanais souhaitait ainsi témoigner « sa reconnaissance » pour le travail accompli auprès des aborigènes, en particulier dans le domaine des langues et des œuvres sociales.

Taiwan compte environ 23 millions d’habitants et, aux côtés des 98 % de Chinois Hans (eux-mêmes divisés en Minnans – 74 % –, Continentaux – 14 % – et Hakkas – 10 %), la population taïwanaise compte un peu moins de 2 % d’aborigènes. Répartis en neuf ethnies principales (Amis, Atayal, Bunum, Paiwan, Puyuma, Rukai, Saisiyat, Tsou, Yami), les aborigènes se sont retrouvés, depuis ces soixante dernières années, être les laissés pour compte du développement économique. Au nombre de 390 000 personnes selon les statistiques officielles mais sans doute 450 000 dans la réalité, ils sont encore en partie adeptes de pratiques animistes ou chamanistes ; plusieurs ethnies toutefois se sont converties au christianisme. Depuis de longues années, les prêtres des MEP se consacrent à leur évangélisation et ont travaillé auprès d’eux, contribuant à leur bien-être, que ce soit par un travail de conservation de leurs langues ou par des œuvres sociales et éducatives. Au départ surtout concentré dans la région de Hualien, où vit une grande partie des aborigènes, leur apostolat a évolué au fil du développement économique de l’île.

Dans le cas des Amis auprès desquels le P. Poinsot a passé la plus grande partie de sa vie de missionnaire, leur population est estimée à quelque 150 000 personnes. Contacté par Eglises d’Asie, le P. Poinsot se souvient d’avoir appris leur langue « sur le tas », tout en travaillant à la mise par écrit de cette langue, à sa romanisation, en partant du travail de traduction de la Bible déjà effectué par les missionnaires presbytériens. Aujourd’hui, environ 80 % des Amis sont chrétiens, estime le missionnaire âgé qui est déchargé de toute charge curiale mais « continue à rendre service ici et là » ; la moitié des Amis baptisés sont des catholiques et l’autre moitié des protestants, presbytériens pour la plupart.

Selon l’Atlas des langues en danger publié par l’UNESCO, la langue Amis figure au nombre des idiomes « vulnérables » à Taiwan, soit le premier degré d’une échelle relative à la vitalité d’une langue. Cela signifie que la plupart des enfants parlent la langue en question, mais que son usage peut être restreint à certains domaines (par exemple : la maison). Une réalité que le P. Poinsot confirme. Il explique en effet que, du fait de l’exode rural et du départ des jeunes des villages de montagne où vivent les Amis pour les grandes villes de la côte Ouest de l’île, « les jeunes abandonnent leur langue et leurs coutumes ». Parce qu’ils adoptent le taïwanais et/ou le mandarin dans les villes où ils s’installent, le missionnaire estime que « dans vingt ans, la langue des Amis sera en danger d’extinction ».

La reconnaissance qu’affiche désormais le gouvernement taïwanais envers les langues des aborigènes n’a pas toujours eu cours. Durant les premières décennies après 1949, date de l’arrivée des nationalistes du Kouomintang, les autorités n’ont eu de cesse d’uniformiser le paysage linguistique en obligeant les enfants dans les écoles à apprendre le mandarin. A l’époque, on comptait environ 40 groupes linguistiques aborigènes. « Parler notre langue maternelle à l’école était comme commettre un péché », se rappelait en 2009 Mgr Tseng King-zi (Tseng Chien-tsi), évêque auxiliaire de Hualien et président de la Commission pour l’apostolat des aborigènes de la Conférence des évêques catholiques de Taiwan. Dans un tel climat, ce sont les missionnaires étrangers qui ont le plus contribué à sauver les langues aborigènes. Ce sont eux qui, en utilisant l’alphabet romain, ont mis par écrit des langues qui, jusque là, n’étaient qu’orales ; ce sont eux qui ont rédigé dictionnaires, grammaires et manuels d’apprentissage pour ces langues. Un travail réalisé notamment par le P. Maurice Poinsot, originaire d’Heuilley-le-Grand, en Haute-Marne, et aujourd’hui salué par le gouvernement de Taipeh.

Sur les 450 000 aborigènes, on compte 90 % de chrétiens, en majorité protestants. Environ 100 000 d’entre eux sont catholiques ; ils représentent un tiers de l’Eglise catholique à Taiwan.

(eda/ra)