Eglises d'Asie – Philippines
UNE EXPERIENCE DE DIALOGUE ISLAMO-CHRETIEN AUX PHILIPPINES : LA CONFERENCE DES EVEQUES ET DES OULEMAS (1)
Publié le 18/03/2010
L’histoire des Philippines est une histoire très mouvementée. Ce n’est pas seulement la terre qui tremble et explose, ni non plus seulement la mer qui s’écrase en vagues gigantesques sur les côtes ni enfin le ciel qui s’abat en trombes diluviennes, toutes choses qui sont sources de catastrophes naturelles incessantes, mais ce sont aussi les convulsions de l’Histoire. Celles-ci sont dues à deux raisons principales : d’abord la configuration géographiques des Philippines, archipel de plus de 7 000 îles comprenant plus de trois cents groupes ethniques, d’où les continuelles escarmouches inter-îles et inter-ethnies, plus ou moins graves et durables, qui ponctuent l’histoire du pays ; mais aussi et surtout les arrivées successives de peuples étrangers cherchant à s’établir aux Philippines pour en tirer le profit maximal : les Chinois, les Arabes, les Espagnols, les Américains et les Japonais, pour ne mentionner que les plus importants.
Le conflit le plus sérieux, cependant, par sa violence comme par sa durée, puisqu’il a commencé il y a quatre cents ans et n’est pas encore fini aujourd’hui, c’est le conflit qui oppose la majorité chrétienne et les musulmans. Même s’il est vrai que ce conflit se concentre essentiellement sur l’île de Mindanao et dans l’archipel des Sulu, il a bien sûr des répercussions à l’échelle de tout le pays.
Ici, un peu d’histoire est nécessaire.
Il ne faut jamais oublier que quand les Espagnols arrivèrent aux Philippines avec Magellan en 1512 et, surtout, avec Miguel Lopez de Legazpi en 1565, ils venaient juste de se débarrasser des musulmans de leur propre pays après quelque sept cents années de présence. Le dernier bastion musulman de l’Espagne, Grenade, s’était rendu en effet en 1492. Quelle ne fut pas leur surprise et leur déconvenue de constater que les musulmans les avaient précédés aux Philippines. Ces derniers y étaient en effet arrivés par petits groupes dès le XIIIe siècle de notre ère et, quand les Espagnols arrivèrent à leur tour, ils avaient déjà établi quelques comptoirs le long des côtes ouest de l’archipel, principalement autour de Manille, Cebu, Zamboanga et Jolo. Aussi, dès le début, les relations entre les Espagnols catholiques et les musulmans se sont situées au niveau de la confrontation.
Pendant les trois cents années que dura leur présence, les Espagnols s’efforcèrent de contenir les musulmans, voire même de les éliminer, soit par la force soit par la conversion. Les musulmans résistèrent farouchement et se retirèrent petit à petit dans la grande île du sud, Mindanao, ainsi que dans l’archipel des Sulu. Ils en firent une zone que les Espagnols n’ont jamais réussi ni à détruire ni à occuper, à l’exception de quelques places fortes comme Zamboanga.
Quand les Américains remplacèrent les Espagnols après le traité de Paris en 1898, ils continuèrent la même politique et les combats se firent de plus en plus violents laissant derrière eux des milliers de morts du côté des musulmans. Mais vite, la politique changea du tout au tout. Comme l’approche militaire ne réussissait pas, les Américains d’abord puis le gouvernement philippin, une fois l’indépendance des Philippines acquise le 4 juillet 1946, envoyèrent par vagues successives des paysans des îles du nord surpeuplées s’installer à Mindanao. Et les musulmans, de majoritaires qu’ils étaient à Mindanao, devinrent minoritaires tout en perdant les meilleures terres au profit des chrétiens.
1913 : – musulmans : 60 % – aborigènes : 30 % – chrétiens : 10 %
1918 :- musulmans : 50 %- aborigènes : 28 %- chrétiens : 22 %
1939 :- musulmans : 32 %- aborigènes : 15 %- chrétiens : 53 %
1960 :- musulmans : 28 %- aborigènes : 8 %- chrétiens : 64 %
D’où une immense frustration et colère des musulmans qui provoquèrent des escarmouches de plus en violentes entre eux et les chrétiens. Le président Ferdinand Marcos en prit excuse pour décréter la loi martiale le 21 septembre 1972 alors qu’il était en fin de mandat non renouvelable. Les conséquences de cette loi martiale furent désastreuses pour l’ensemble des Philippines sur tous les plans, y compris celui qui nous intéresse ici. Elle ne fit que durcir la révolte des musulmans. Elle donna naissance au Front Moro de libération nationale (FMLN), créé par Nur Misuari la même année 1972. Commencèrent alors des combats farouches entre l’armée des Philippines et les rebelles musulmans. Il y eut bien les Accords de Tripoli le 23 décembre 1976 qui prévoyaient l’autonomie de treize provinces et s’accompagnaient d’un cessez-le-feu. Mais, quelques mois plus tard, les hostilités reprirent de plus belle jusqu’à la levée de la loi martiale le 17 janvier 1981. Les combats ne cessèrent pas pour autant mais diminuèrent d’intensité.
Quand Cory Aquino prit le pouvoir le 26 février 1986, elle essaya de résoudre ce problème mais échoua elle aussi, d’autant plus qu’en 1984, le FMLN s’était scindé en deux avec la création du Front Moro de libération islamique (FMLI), sous la houlette de Hashim Salamat. Et déjà aussi pointaient les Abu Sayyaf dont on reparlera plus tard. Le 2 septembre 1996, un véritable accord de paix fut enfin signé entre le président Fidel Ramos et le FMLN, avec l’accord tacite du FMLI. Une région autonome était créée sous la présidence de Misuari qui rejoignait donc le gouvernement. La guerre avait duré 24 ans et laissé derrière elle quelque 120 000 morts, causé des dégâts matériels inchiffrables, ruiné l’économie des Philippines et, surtout, pour le problème qui nous intéresse, accumulé dans le cour à la fois des musulmans et des chrétiens une souffrance immense et une haine à peine contrôlée. Et pourtant, au milieu de toute cette horreur, et peut-être à cause d’elle, il y eut toujours des deux côtés des hommes et des femmes de bonne volonté et de grand courage qui s’efforcèrent de rester en contact et de travailler ensemble à la réconciliation des deux communautés. (2)
C’est dans ce contexte-là qu’est née une des plus grandes initiatives de paix qu’ait connue l’auteur de ce dossier et à laquelle il a eu la joie et l’honneur de participer depuis son début et jusqu’à ce qu’il quitte les Philippines en mai 2001, à savoir ce qui au début s’appela le « Forum des évêques et des oulémas » et s’appelle désormais la « Conférence des évêques et des oulémas
Mgr Capalla, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis l’archevêque du diocèse de Davao, à Mindanao. Je suis le président de la Conférence épiscopale des Philippines. Dans cette conférence, je suis le président de la Commission pour le dialogue interreligieux. Je suis aussi consultant du Conseil pontifical à Rome pour ce dialogue.
Pouvez-vous nous dire comment tout a commencé ?
En juin 1996, le P. Intengan, supérieur de la province jésuite des Philippines, m’approcha après avoir rencontré M. Mahid Mutilan qui, à cette époque, était gouverneur de la province de Lanao Sud. Il me dit sa conviction du besoin d’organiser les évêques et les oulémas de Mindanao dans une structure qui leur permette de se rencontrer. Je connaissais bien M. Mutilan : nous étions déjà engagés tous les deux à Marawi et à Iligan dans des rencontres de dialogue islamo-chrétien où nous cherchions des moyens de favoriser la paix. J’ai donc accepté volontiers.
Il y eut ainsi une première réunion informelle en juillet 1996 à Manille où se rencontrèrent quelques évêques, oulémas et membres du gouvernement. On se mit très vite d’accord qu’il serait en effet très utile de s’organiser formellement dans le but d’ouvrer pour la paix. On fit un constat commun : une des principales raisons pour lesquelles il n’y avait pas de paix et de développement à Mindanao était que les chrétiens et les musulmans n’étaient pas fidèles à l’enseignement de leur religion respective, d’où la grande violence et la grande corruption qui règnent à Mindanao. On se dit alors que si nous, les chefs religieux des deux communautés, nous étions plus unis, nous pourrions mieux enseigner à nos gens l’islam et le christianisme authentiques.
Cet appel intervint au moment même où le groupe de prêtres et de responsables musulmans où nous étions tous les deux et qui se réunissait depuis deux ans déjà avait lancé le même souhait.
Oui, c’est vrai et c’est pourquoi tout démarra très vite. Quand on proposa une première réunion officielle, vingt-et-un évêques catholiques et vingt-six oulémas se déclarèrent intéressés. Cela m’apparut tout de suite comme une grande force et une source d’espoir inattendue étant donné la situation de Mindanao à cette époque.
Les évêques protestants ne furent pas partie prenante dès le départ ?
Non. Il y eut trois premières réunions sans eux. Ils nous rejoignirent à la quatrième et sont restés avec nous depuis (3).
C’est ainsi que se tint la première réunion officielle du Forum des évêques et oulémas. Elle eut lieu à Cebu le 29 novembre 1996. Dix-neuf évêques catholiques avec à leur tête Mgr Fernando Capalla et dix-neuf oulémas avec à leur tête M. Mahid Mutilan se retrouvèrent ensemble pour deux journées. Il y régna une atmosphère de spontanéité, d’attention mutuelle, d’ouverture et de compréhension tout à fait remarquables pour une première rencontre. Tous les participants sentaient bien qu’ils vivaient un moment très important qui pourrait ouvrir la voie à une ère nouvelle dans les relations entre les chrétiens et les musulmans aux Philippines. Après avoir rappelé comment était née cette initiative et l’importance de faire quelque chose de nouveau pour la paix, Mgr Capalla et M. Mutilan dévoilèrent leur vision. S’il était vrai que le gouvernement s’efforçait de faire quelque chose pour la paix, dirent-ils, son approche ne pouvait être que, au pire, militaire et, au mieux, politique et socio-économique. Les chefs religieux devraient contribuer à quelque chose de nouveau et qui leur est propre, à savoir une approche spirituelle du problème de la paix. Au plus profond, les réponses aux menaces contre la paix se situent au plan des valeurs, des attitudes de vie et de la foi en Dieu.
Tous les évêques et les oulémas présents furent invités à réagir et il se fit très vite un consensus sur la nécessité d’agir à ce niveau-là. Le communiqué final, signé par Mgr Capalla et M. Mutilan, donne vraiment le ton de cette rencontre et forme la base de ce que seront les prochaines rencontres. Il est cité ici en son entier :
« Nous, les évêques catholiques de Mindanao et la Ligue des oulémas des Philippines, nous nous sommes rencontrés à Cebu en ce 29e jour du mois de novembre 1996 pour un premier dialogue. Nous affirmons notre engagement commun pour la paix et notre désir d’une compréhension mutuelle entre les communautés religieuses de Mindanao. Nous avons relevé plusieurs sujets de réel souci que nous voulons partager avec nos communautés dans un esprit de recherche commune pour une paix durable fondée sur la vérité et la justice.
Voici les points les plus cruciaux sur lesquels il faut nous pencher :
1.) Que devons-nous faire ensemble pour assurer la sécurité de nos frères musulmans qui vivent dans des régions à majorité chrétienne et de nos frères chrétiens qui vivent dans des régions à majorité musulmane ?
2.) Comment pouvons-nous réduire la criminalité et autres maux sociaux comme le trafic de drogue, les vols et les exploitations forestières illégales ? Comment pouvons-nous supprimer les plantations de marijuana ?
3.) Quelles sont les principales clauses du SPCPD (Southern Philippines Council for Peace and Development – Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippines) (4) ? Et comment pouvons-nous faire pour que nos frères musulmans qui ne seront pas réintégrés dans l’armée régulière des Philippines puissent retrouver une vie normale et décente ?
4.) Comment pouvons-nous maintenir l’élan de la paix et promouvoir une culture de la paix ? Comment pouvons-nous changer les préjugés ancrés si profondément dans le cour de tant de gens de nos deux communautés ? Comment aider à la création de valeurs nouvelles et utiliser au maximum nos écoles dans ce but ?
5.) Comment nous relier avec le MILF (ou Front islamique de libération nationale) qui n’a pas été partie prenante de l’Accord de paix ? Que pouvons-nous faire pour que tous les secteurs de la société à Mindanao connaissent une vraie justice, une véritable paix et un réel développement ?
6.) Comment pouvons-nous concrètement partager nos croyances communes, nos valeurs, nos pratiques, nos doctrines et nos traditions ? Comment pouvons-nous aider les gens à distinguer entre ce qui se fait dans la pratique et l’enseignement officiel de nos religions ?
7.) Que pouvons-nous faire enfin pour que les médias soient plus objectifs et cessent de présenter une image essentiellement négative des musulmans ?
Nous nous engageons à traiter de ces problèmes dans nos prochaines rencontres. Mais nous voulons affirmer déjà notre profonde conviction que la réponse ultime à toutes ces questions se situe au plan des valeurs et des attitudes, de notre foi commune en Dieu et de notre engagement commun pour la paix et le développement de la population toute entière de Mindanao. »
Ce qui est tout à fait extraordinaire, surtout dans le contexte culturel des Philippines, où on s’enthousiasme facilement pour toutes sortes de causes mais où rien ne dure vraiment longtemps, c’est que l’engagement des évêques et des oulémas à faire quelque chose ensemble se révéla d’une solidité à toute épreuve. A l’étonnement de tous, ils ont montré une fidélité inébranlable (5) : quand ils se rencontrèrent à Cagayan de Oro en décembre 2003, ils en étaient déjà à leur 22e rencontre. Vingt-deux rencontres en sept ans, cela fait une rencontre tous les trois mois et demi. Et quand on sait que leurs rencontres durent deux jours complets, cela est tout à fait exceptionnel. Mais venons-en aux structures.
C’est au cours de la troisième rencontre, à Marawi, le 6 mai 1997, que ces structures furent mises en place. C’est à cette rencontre où il y avait des évêques protestants comme observateurs qu’il fut décidé que ces derniers seraient invités comme membres à part entière à partir de la rencontre suivante.
Trois présidents furent désignés : Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, M. Mahid Mutilan, président de la Ligue des oulémas, Mgr Hilario Gomez, évêque émérite de l’Eglise réformée des Philippines. Les trois occupent encore aujourd’hui les mêmes fonctions. Leur rôle est de convoquer les assemblées, de les présider à tour de rôle et de signer tous les communiqués officiels. Une Commission tripartite fut formée. Elle est composée de trois membres de chacune des trois communautés. Son rôle est d’assurer le suivi des décisions prises à chaque assemblée et de préparer les assemblées suivantes. Enfin un secrétariat fut établi dont le siège est à Iligan. Il fut aussi décidé que le rythme des assemblées serait une fois tous les trois mois, à chaque fois dans des villes différentes de l’île de Mindanao, et que la durée de chacune des assemblées serait de deux jours pleins pour qu’il y ait vraiment le temps de se rencontrer et que les délibérations puissent se faire sans précipitation.
Ce qui fut dit fut fait et, d’assemblée en assemblée, les membres participants ont appris à se connaître et à s’apprécier, et se sont efforcés de concrétiser le plus possible leur rêve de paix pour Mindanao.
En résumé, voici quelques points saillants que l’on peut relever en relisant le compte-rendu de toutes ces assemblées et les communiqués officiels publiés à l’issue de chacune d’entre elles.
Juste avant la 4ème assemblée qui eut lieu à Cagayan de Oro en août 1997, de violents combats avaient opposé les forces gouvernementales et les forces du MILF et cela avait provoqué la fuite de milliers de civils. La Conférence des évêques et oulémas (CEU) décida d’envoyer des représentants sur place pour se rendre mieux compte de l’ampleur du problème et de voir comment alléger la souffrance des réfugiés. A l’occasion de cette assemblée, la CEU rencontra aussi le président des Philippines, Fidel Ramos, en visite à Cagayan de Oro, et fit part à ce dernier de la préoccupation des responsables religieux quant à la situation extrêmement instable de Mindanao. Le président assura la CEU de son soutien pour tous les projets qu’elle mettrait en place pour favoriser la paix et lui promit aussi un soutien financier.
Un peu plus d’une semaine avant la 5ème assemblée à Zamboanga, le 8 novembre 1997, un des membres de la CEU, Mgr Des Hartford, avait été kidnappé. Mgr Capalla et M. Mutilan s’étaient très impliqués pour qu’il soit libéré – ce qui fut fait le jour même de l’ouverture de l’assemblée. Cela provoqua une très forte tension parmi les participants. C’est pourquoi l’assemblée décida d’organiser un séminaire de trois jours sur la résolution des conflits, avec l’aide d’un expert international. C’est ainsi que, pour la première fois, la 6ème assemblée qui se tenait à General Santos dura trois jours complets, du 11 au 13 février 1998. Sous la conduite de M. Ron Kraybill, de l’université mennonite de l’Est aux Etats-Unis, les participants apprirent l’art de résoudre les conflits. Le succès du séminaire sur la résolution des conflits fut tel que quatre membres de la CEU, deux évêques et deux oulémas, décidèrent sur le champ d’aller aux Etats-Unis pour suivre un cours d’été à la même université, du 14 mai au 4 juin 1998. A cette même assemblée, le logo de la CEU fut adopté.
Logo initial
du Forum des évêques et des oulémas
Logo actuel
de la Conférence des évêques et des oulémas
Enfin, une commission de trois évêques et de trois oulémas fut créée pour étudier la possibilité d’offrir l’aide de la CEU dans les pourparlers de paix entre le gouvernement et le MILF.
La 7ème assemblée eut lieu à Iligan du 17 au 19 août 1998. Le premier jour fut consacré à une présentation des fondations coraniques de la paix par M. Mutilan et des fondations bibliques de la paix par le P. de Gigord. Au même P. de Gigord, l’assemblée avait demandé de l’aider à créer des liens plus forts entre les participants qui jusque-là ne se connaissaient pas vraiment, l’essentiel des réunions se passant à écouter des discours. Ainsi, pendant un jour et demi, tous les participants furent invités à travers questionnaires, jeux et ateliers à vraiment se mélanger, entre chrétiens et musulmans, et à se découvrir au niveau de leur famille, de leur occupation professionnelle, de leur loisir préféré et de leur vision de la vie. Cette assemblée fut déterminante pour créer un vrai lien de confiance et d’amitié entre les évêques et les oulémas. C’est à la 10ème assemblée, à Zamboanga, du 10 au 12 mai 1999, que l’idée de lancer une Semaine de la Paix pour Mindanao fut lancée.
En fait, cette initiative avait déjà été prise à Zamboanga où, du 26 novembre au 2 décembre 1998, des chrétiens et des musulmans de cette ville et de cette région avaient organisé des activités de tout genre étalées sur une semaine dans le but de faire se rencontrer les deux communautés en essayant de toucher toutes les tranches d’âge et toutes les couches de la société. Devant le succès de cette initiative locale, la CEU décida d’en faire une expérience à l’échelle de toute l’île de Mindanao. La première Semaine de la Paix, pour l’ensemble de Mindanao et de l’archipel des Sulu, eut lieu la semaine chevauchant la fin de novembre et le début de décembre 1999. L’idée était que toutes les régions de Mindanao et Sulu organiseraient de façon autonome leurs propres activités mais qu’il y aurait deux activités qui se feraient simultanément par tous : le premier jour de la semaine, il y aurait un défilé rassemblant le plus de gens possible dans les rues des chef-lieu de provinces et qui se terminerait sur les places centrales de ces villes avec des discours de personnalités politiques et religieuses de tout bord incitant à la paix ; et le dernier jour de la semaine, il y aurait un rassemblement interreligieux où chaque communauté religieuse ferait monter vers Dieu des prières pour la paix et où des signes concrets de réconciliation seraient à inventer.
L’auteur de cet article a eu la joie d’être l’initiateur de l’un de ces signes. Il proposa à un groupe de chrétiens et de musulmans dont il était le co-fondateur et qui se réunissait déjà régulièrement depuis 1994, d’organiser un échange de visites entre les chefs respectifs des communautés chrétiennes et musulmanes : les prêtres catholiques et les pasteurs protestants d’Iligan, ville à majorité chrétienne, iraient le vendredi observer la prière des musulmans dans plusieurs mosquées de Marawi, ville à majorité musulmane, et le dimanche, ce serait au tour des oulémas et des imams de Marawi d’observer le culte des protestants et la célébration de l’eucharistie à Iligan. Au début, il y eut beaucoup de résistance à ce projet mais peu à peu l’idée fit son chemin et finalement le miracle eut lieu. L’auteur de cet article eut aussi l’idée de proposer à la CEU qu’au cours de cette Semaine de la Paix, il y ait un camp de jeunes de trois jours complets où se rassembleraient des jeunes de toutes les provinces de Mindanao et de l’archipel des Sulu et surtout de celles de l’ouest et du sud-ouest où il y a une très grande tension et des incidents constants entre les forces gouvernementales et les rebelles du MILF. La CEU accepta immédiatement et se porta garante du financement de ce projet.
Et c’est ainsi que pour la première fois aux Philippines se réunirent quelque deux cents jeunes musulmans, catholiques, protestants et membres de religions traditionnelles qui pendant trois jours réfléchirent ensemble sur la paix, prièrent ensemble pour la paix et apprirent à se mêler à travers jeux, chants et compétitions sportives.
Cette première Semaine de la Paix eut un tel succès que le gouvernement décida de l’officialiser (6). C’est pourquoi depuis 1999 cette Semaine est célébrée chaque année à Mindanao, du dernier dimanche de novembre au premier dimanche de décembre. Quant au camp des jeunes, du fait du coût énorme d’un tel projet et à la difficulté de son organisation, il n’a lieu que tous les deux ans.
Il n’y a pas de doute que cette Semaine de la Paix à Mindanao a été un des projets majeurs de la CEU et que, même s’il est vrai qu’elle n’est pas suivie partout, loin de là, elle a fait se mettre en branle des milliers de chrétiens et de musulmans qui au-delà des seuls discours ont appris à travailler ensemble, à se mouiller et, ce faisant, à mieux se connaître et s’apprécier.
Au cours de la 12ème assemblée qui eut lieu le 2 février 2000, à Davao, les évêques et les oulémas étudièrent ensemble la nouvelle loi promulguée par le gouvernement, connue sous le nom de Loi organique, qui posait les fondements de la Nouvelle Région autonome dans les parties à majorité musulmane de Mindanao. Ils le firent dans le but de mettre en place un programme d’information pour éviter ce qui s’était passé avec le SPCPD dont on a parlé plus haut.
La 14ème assemblée, qui eut lieu du 7 au 10 septembre 2000, à Davao, eut cette particularité qu’un jour entier fut consacré à la visite d’une très belle île juste en face de Davao, l’île de Samal. Et là, sur une très belle plage, les participants se délassèrent. Spectacle unique que de voir des évêques et des oulémas en short et en T-shirt jouant ensemble au foot ou au volley-ball pour les plus énergiques ou à des jeux de société pour les plus âgés, nageant et pique-niquant dans une atmosphère incroyablement amicale qui ne manqua pas d’attirer l’attention de tous les vacanciers qui étaient là !
A la 15ème assemblée, qui eut lieu de nouveau à Davao, du 21 au 23 février 2001, la CEU rencontra la présidente des Philippines, Gloria Macapagal Arroyo, qui était accompagnée de son ministre de la Défense, le général Edouardo Ermita, et du chef d’état major des armées, le général Angelo Reyes. La présidente et le ministre informèrent les évêques et les oulémas des nouveaux plans du gouvernement pour le rétablissement de la paix à Mindanao : un cessez-le-feu unilatéral, le retour aux négociations pour la paix, le retour des réfugiés et une aide substantielle pour qu’ils puissent se réinstaller chez eux et, enfin, la nomination d’un chef tribal dans la Commission des négociations pour la paix, demande qui avait été faite par plusieurs groupes de Mindanao dont la CEU. Les aborigènes (7), qui représentent entre 5 % et 10 % de la population à Mindanao, sont en effet directement ou indirectement les victimes de la guerre et personne ne s’occupe de leur sort. Que la présidente ait voulu s’adresser directement à la CEU montre l’importance que cette organisation a prise aux yeux du gouvernement.
La 16ème assemblée qui eut lieu à Cagayan de Oro le 29 août 2001 fut très spéciale. C’était la première fois que les évêques et les oulémas consacraient une assemblée à traiter d’un problème spécifiquement théologique. La journée entière fut, en effet, une journée de réflexion sur Marie dans la Bible et le Coran. Une religieuse, docteur en théologie biblique, parla de la place de Marie dans l’histoire du salut et de sa place dans la culture contemporaine des Philippines. Le professeur Hamid Barra, expert en droit islamique, expliqua comment les musulmans comprenaient Marie à partir d’une analyse des passages du Coran qui parlent d’elle. Après les deux exposés et la discussion qui s’ensuivit, l’assemblée déclara d’un commun accord que Marie était un modèle pour tous et qu’en tant que telle elle pouvait être une aide pour tous ceux et celles qui se dévouaient à la tâche de la paix et du développement.
Cette assemblée avait été précédée de deux incidents très graves : le lancement d’une grenade contre la cathédrale de Jolo, le 30 juillet, et l’assassinat d’un prêtre irlandais, le P. Rufus Haley, la veille même de l’assemblée. Celle-ci se termina donc par un communiqué condamnant ces actes et appelant tous les chrétiens et les musulmans à quitter le chemin de la violence.
La 17ème assemblée, qui eut lieu à Cotabato le 5 décembre 2001, se voulait très symbolique. Elle eut lieu en effet le dernier jour de la troisième Semaine de la Paix à Mindanao. Mais c’est surtout le lieu choisi qui était symbolique, à savoir Cotabato. Car Cotabato est vraiment l’épicentre du problème islamo-chrétien de Mindanao. Chef-lieu de la province où se trouvent tous les camps retranchés du MILF, la ville était considérée comme dangereuse. Il y avait eu en effet de très nombreux kidnappings, elle avait accueilli des milliers de réfugiés et on y voyait toutes sortes d’hommes armés dont on ne savait jamais très bien à quel groupe ils appartenaient. En choisissant d’y avoir leur assemblée, les évêques et les oulémas voulaient montrer qu’ils n’entendaient pas tomber dans la spirale de la peur et de la violence. Pour bien marquer leur désir de dépasser toutes sortes de barrières, le premier jour fut consacré à la visite par tous les participants de la cathédrale de Cotabato, de la grande mosquée et d’une église épiscopalienne.
Comme cette assemblée avait lieu deux mois après les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis, le communiqué final y fut consacré :
« Les destructions brutales et délibérées par des avions des deux tours du World Trade Center de New York et du Pentagone à Washington et la perte de tant de vies humaines qu’elles ont provoquée est horrible et inhumaine. Ce ne peut être que le travail de gens pervertis.
Nous, les co-présidents de la Conférence des évêques et oulémas, nous nous joignons à tous les peuples de la terre, mais surtout aux musulmans des Etats-Unis qui sont pour la paix mais doivent affronter la réprobation de leurs concitoyens, pour déplorer des actes odieux et les condamner avec force comme un péché terrible et ignoble et comme crime contre Dieu et contre l’enseignement de l’islam et du christianisme.
Nous nous joignons aussi au gouvernement et aux autres chefs d’Etat du monde entier pour que tout soit fait pour que soient jugés les auteurs de ce crime qui crie vers le ciel pour que justice soit faite. Nous prions le Dieu tout puissant pour qu’il réconforte et fortifie les familles des victimes auxquelles nous transmettons notre profonde et sincère sympathie.
Au nom de tous les responsables religieux musulmans et chrétiens de Mindanao »
signé M. Mahid Mutilan, Mgr Hilarion Gomez et Mgr Fernando Capalla
La 19ème assemblée qui s’est tenue à Davao du 1er au 3 août 2002 avait pour thème : « Paix et famille : une priorité pour la CEU ». Pour concrétiser cette réflexion, les femmes et les enfants des pasteurs protestants ainsi que les femmes et les enfants des oulémas musulmans furent invités à cette assemblée. Pour ne pas être laissés de côté, les évêques catholiques invitèrent quelques religieuses. De l’avis de tous les participants, ce fut une assemblée tout à fait unique. Comme le dit l’un d’entre eux : « Avec cette expérience, la CEU ne sera plus jamais la même. » C’est au cours de la 20ème assemblée, qui eut lieu à Davao du 8 au 10 janvier 2003, que le nom de l’organisation fut changé de « Forum des évêques et des oulémas » à « Conférence des évêques et des oulémas ».
Mgr Capalla rappelle ici les raisons de ce changement de dénomination, de « Forum » à « Conférence » : « C’est un évêque catholique, Mgr Guttierez, qui en fit la proposition. Nous avions noté que la plupart des oulémas sont pauvres et aussi qu’ils sont en contact avec les secteurs les plus pauvres du pays. Les mosquées ne peuvent pas faire grand-chose pour eux. Mgr Guttierez proposa que, bien qu’étant principalement concernés par les problèmes spirituels de la paix et travaillant essentiellement au niveau des valeurs comme celle du pardon, la CEU devait s’engager aussi au niveau socio-économique et ainsi aider à l’éradication de la pauvreté, surtout dans les régions musulmanes. Cela nécessite beaucoup d’argent mais le gouvernement serait tout à fait favorable à ce que cet argent passe par nos mains car, dans le passé, des sommes d’argent énormes sont passées par d’autres mains et ne sont jamais arrivées à ceux et celles à qui elles étaient destinées. Le gouvernement est prêt à faire confiance à la CEU. Mais, pour cela, il faut changer de nom. Si nous ne sommes qu’un Forum, à savoir un rassemblement informel de personnes, nous n’avons pas le droit de gérer légalement des fonds. Le mot « Conférence » signifie que nous sommes un groupe organisé et reconnu et auquel, donc, des fonds peuvent être confiés. »
La 21e assemblée se transforma en une assemblée internationale. Elle eut lieu à Manille du 19 au 21 août 2003. Cent vingt-et-un évêques et oulémas y participent provenant de treize pays asiatiques : Bangladesh, Birmanie, Hongkong, Japon, Inde, Indonésie, Malaisie, Sri Lanka, Singapour, Taiwan, Thaïlande, Ouzbékistan et, bien sûr, les Philippines. Les deux plus grosses délégations étaient celles des Philippines et de l’Indonésie.
Les moments forts de cette assemblée furent d’abord les deux exposés que firent M. Mohammad Al-Sharief, secrétaire général de la Société missionnaire islamique mondiale, sur « Islam, religion de la paix » et l’archevêque Michael Fitzgerald, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, sur « Christianisme, religion de la paix Un débat passionnant s’ensuivit.
Mais, encore plus importants peut-être, furent les trois ateliers qui s’étalèrent sur un jour et demi et dont les thèmes étaient les suivants : 1.) Expériences de conflits. Les questions posées étaient : quels types de conflits ? Quelles en sont les causes ? Quelle fréquence ? 2.) Initiatives nationales. Les questions posées étaient : étant donné ces conflits, qu’est-ce qui est fait dans votre pays pour y répondre ? Que devrait-il être fait d’autre ? 3.) Suggestions pour un communiqué final.
C’est dans ces ateliers qu’il y eu un vrai dialogue à la fois interreligieux et interculturel puisque les membres y étaient mélangés, à la fois selon leur religion et selon leur pays d’origine.
Voici le texte complet de ce communiqué signé par les 121 membres participants.
« Un temps pour la paix, un temps pour construire » :
Déclaration commune de la Première assemblée des oulémas musulmans
et des évêques chrétiens d’Asie
« Le fruit de la justice, c’est la paix », Isaïe 32,17
« Entre dans la paix complètement (sincèrement) », Al-Quran
Préambule
Nous, les participants de la Première assemblée des oulémas musulmans et des évêques chrétiens de l’Asie, rassemblés à Manille du 18 au 21 août 2003 dans un esprit de dialogue interreligieux, de solidarité profonde et de prière, tout en invoquant l’aide de Dieu Tout-Puissant, nous reconnaissons et nous affirmons que :
Situation
Nous sommes en Asie dans une situation de profonds conflits internes dans nos pays, conflits qui sont souvent attribués à la religion et qui sont des luttes intenses, prolongées et violentes affectant à la fois les belligérants et les civils. Les causes de ces conflits sont tout à la fois l’incompréhension de la religion de l’autre, de son histoire, de sa culture et de son identité, nos systèmes sociaux, politiques et économiques, le manque d’harmonie entre les « majorités » et les « minorités » ainsi qu’entre le gouvernement et le peuple. Une raison additionnelle des conflits est souvent la représentation tendancieuse que font les médias des religions.
Notre responsabilité
Nous avons souvent commodément et erronément associé ce manque d’harmonie avec nos affiliations religieuses personnelles, nos croyances et nos convictions les plus profondes. Nous devons reconnaître avec humilité notre incapacité à identifier et à rectifier nos préjugés qui directement et indirectement contribuent à la prolongation et à l’amplification de nos discordes.
Nous reconnaissons aussi que nos religions ont été utilisées et souvent abusées par des gens aux motivations égoïstes et même immorales. Pendant plusieurs siècles des religions et des idéologies ont été utilisées pour justifier des actes de violence. Nous devons rectifier cela par une affirmation forte et constante de nos valeurs religieuses chrétiennes et musulmanes.
En tant qu’artisans de paix, notre responsabilité est de promouvoir et de développer une culture de la paix, de résoudre les conflits et de créer des conditions de vie qui permettent une vraie transformation sociale.
Religion de paix
Nous considérons donc que cette assemblée d’oulémas musulmans et d’évêques chrétiens, étant tous enfants d’Abraham, est un moment historique et privilégié pour affirmer notre conviction commune que nos fois, musulmane et chrétienne, sont des religions de paix qui adorent et servent le Dieu Un, miséricordieux et puissant.
L’unité de notre foi dans le Dieu tout-puissant et nos valeurs religieuses communes telles qu’elles ont été vécues par les prophètes de Dieu nous poussent à reconnaître l’ouvre créatrice de Dieu source de notre dignité humaine fondamentale. Nous savons que dans cette dignité commune nous faisons aussi l’expérience de souffrances communes. C’est de cette souffrance de nos peuples que jaillit notre appel pour la paix.
Condamnation de la violence
Nous, membres croyants de religions de paix, appelés à proclamer, à vivre et à travailler pour la paix, nous condamnons toutes formes d’extrémisme, d’oppression et de terrorisme. Nous croyons que toutes ces choses sont des actes qui agressent notre dignité commune.
Les piliers de la vie
Nous voulons manifester notre foi en Dieu tout-puissant et notre désir de coopérer avec tous nos frères et sours en réaffirmant notre engagement à vivre :
La Vérité qui reconnaît la dignité et la fragilité de toute personne humaine.
La Justice, basée sur la rectitude de Dieu et le respect des droits et des devoirs de tous sans discrimination.
La Sincérité, dans nos relations avec Dieu et entre nous.
L’Amour, qui requiert compassion et pardon pour nos fautes mutuelles, et désir de réconciliation.
La Liberté, qui est le don même de Dieu exercé dans l’esprit d’amour et de responsabilité inhérent à notre nature d’êtres humains ; et, la Prière, qui nous guide et nous fortifie pour que nous puissions faire la volonté de Dieu et devenir des instruments de paix.
Les Portes ouvertes du dialogue
Nous prenons l’engagement de maintenir toujours plus ouvertes les portes du dialogue et de ne jamais cesser de vivre dans un authentique dialogue de vie entre chrétien et musulmans ici en Asie.
La dernière assemblée de l’année 2003, la 22ème assemblée, eut lieu à Cagayan de Oro, du 1er au 3 décembre. Elle se développa autour de trois pôles : 1.) Une présentation de la Commission nationale anti-pauvreté et de son travail, par la sous-secrétaire d’Etat Veronica Villavicencio, suivie d’un long débat. 2.) Un exposé sur la notion de pardon en islam et les pratiques musulmanes de réconciliation par un alim, le professeur Elias Macarandas, et 3.) Un exposé sur ce que l’on entend par « développement humain total par un évêque, Mgr Antonio Ledesma.
Après ce rapide aperçu sur le déroulement des assemblées de la CEU, on se rend compte que l’intérêt des évêques et des oulémas dépasse largement le seul aspect spirituel comme ils l’avaient annoncé au départ. Ou, sans doute, se sont-ils vite rendu compte que le spirituel est intimement lié à tous les autres aspects de la vie et qu’il ne peut avoir un impact sur ces aspects que justement s’il leur est profondément lié. En tout cas, tout y est passé : le politique, le social, le philosophique, l’économique, le théologique, le psychologique, les valeurs, la famille et même le ludique !
Il est temps maintenant de faire une évaluation de cette CEU. Après sept ans d’existence, quels en ont été les fruits ? Est-ce qu’elle a vraiment eu un impact sur la situation à Mindanao ? L’auteur de cet article a, pour cela, interviewé les principaux acteurs de la CEU au cours du mois de février 2004. On pourra objecter à cela que c’est bien difficile pour les parties prenantes d’un projet d’être vraiment objectifs quant à la valeur ou non de ce projet. C’est vrai mais il est quand même intéressant de connaître leur point de vue et il aurait fallu beaucoup plus de temps pour élargir l’étude par l’interview d’autres personnalités.
Interview de Mgr Capalla, archevêque de Davao :
Mgr Capalla, après sept ans d’activité, que pensez-vous être les aspects les plus positifs de la CEU ?
Le plus positif de tout, c’est que le conflit qui oppose les chrétiens et les musulmans ou, plutôt, le gouvernement et les rebelles, a perdu sa connotation religieuse. Il n’est plus vu comme une guerre de religion puisque les chefs religieux des deux religions concernées se rencontrent régulièrement. En effet, les réunions régulières qu’ont entre eux les évêques et les oulémas ont ouvert les yeux des gens. Ils ont découvert que les différences de croyances et de traditions ne sont pas un obstacle à l’amitié. Nous sommes vus en public comme les chefs de gens qui autrefois s’entretuaient et aujourd’hui encore connaissent une relation très tendue et qui pourtant encore maintenant se rencontrent tous les trois mois et sont devenus amis. Le simple fait que l’on a formé ensemble cette CEU est déjà quelque chose de très important étant donné que pendant quatre cents ans il y a eu tant de haine et de préjugés entre nous.
Comme notre réseau d’églises et de mosquées est très largement étendu sur tout le territoire de Mindanao, on a été reconnu par un peu tout le monde, du gouvernement jusqu’aux gens les plus ordinaires, comme un des groupes les plus marquants et les plus actifs de l’île.
Selon vous, quels sont les points faibles de la CEU ?
Le premier, c’est que la plupart des oulémas, à part 2 à 3 %, sont professionnellement très peu représentatifs. Ils ne sont pas du tout à notre niveau, sans qu’il y ait là rien de péjoratif, ni socialement ni intellectuellement. Quand il y a des discussions, il n’y en a que très peu parmi eux qui peuvent y prendre part, ne serait-ce que pour une question de langue, la plupart d’entre eux ne maîtrisant que leur propre langue, à savoir le maranao, le tausug ou le maguindanao. Il n’y a donc que très peu d’interaction. Et quand M. Mutilan ou l’un ou l’autre des ténors oulémas ont parlé, plus personne n’ose dire quoi que ce soit. Il y a une trop grande différence de formation entre eux et nous, et une trop grande soumission chez eux vis-à-vis de leurs leaders.
Le deuxième, c’est que les évêques catholiques ne sont pas suffisamment convaincus de l’importance de la CEU. Il y a toujours moins de la moitié des évêques catholiques de Mindanao qui participent aux assemblées. Les autres envoient leurs vicaires généraux ou le prêtre qui, dans leur diocèse, est responsable des relations avec les musulmans. La raison principale de ce manque d’intérêt est que beaucoup de ces évêques ont grandi dans des régions hors de Mindanao où le sentiment anti-musulman est très fort ou dans des régions de Mindanao où le conflit entre le gouvernement et les rebelles est particulièrement violent avec toutes les séquelles que cela comporte : destruction matérielle, exode des populations, mort d’hommes, de femmes et d’enfants, et les blessures profondes qui s’ensuivent. Et leur blessure n’a pas été encore guérie. Or la paix à Mindanao ne sera jamais rétablie tant que ces blessures d’un côté et de l’autre n’auront pas été guéries. Aucun cessez-le-feu, aucun projet de paix et de développement ne guériront ces blessures. Elles ne pourront être guéries que par le pardon et le repentir des deux côtés. Il n’y a pas d’autre voie. C’est d’ailleurs ce que nous enseignent nos religions respectives. Le pardon, c’est la voie de l’islam. « Sans pardon il n’y a pas de récompense dit le Coran. C’est aussi, bien sûr, la voie du christianisme. Le Notre Père nous le rappelle tous les jours.
Pensez-vous qu’à ce niveau la CEU peut jouer un rôle important ?
Oui, j’en suis convaincu. On voudrait traiter de ce problème d’une façon systématique. Nous cherchons en ce moment comment introduire une sorte d’éducation formelle au pardon et, à la guérison par le pardon, dans les écoles, les églises et les mosquées. Je sais que cela sera très difficile mais, une fois de plus, il n’y a pas d’autre voie pour une paix durable à Mindanao.
J’ai entendu plusieurs personnes exprimant pas mal de réticences par rapport à la CEU parce que, disent-elles, la CEU est manipulée par le gouvernement du fait qu’elle en reçoit une aide financière substantielle. Etes-vous d’accord ?
Non, pas du tout. Car même s’il est vrai que nous sommes aidés généreusement par le gouvernement, celui-ci ne nous a jamais dicté une voie à suivre. Je le sais bien car c’est moi qui assure le relais entre la CEU et le gouvernement. La seule interférence du gouvernement que je connaisse, c’est son insistance pour que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour favoriser la paix à Mindanao. A cet égard, il nous a invité à servir de conseillers dans les négociations de paix entre le gouvernement et le MILF ainsi qu’à faire partie du groupe chargé de vérifier si le cessez-le-feu entre les troupes du MILF et celles du gouvernement était bien respecté. Ce sont, bien sûr, des engagements politiques mais c’est pour le bien de la paix, ce n’est pas de la manipulation politique.
Plusieurs voix se sont fait entendre pour que la CEU, qui rassemble les chefs religieux des catholiques, des musulmans et des protestants, inclue aussi les chefs des Lumads. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Cela a été débattu pendant trois assemblées mais un des principaux oulémas, Alim Elias Macarandas, s’y est toujours opposé. Pour lui, les lumads n’ont pas de religion car ce ne sont pas des gens du Livre. Du côté des chrétiens, nous ne sommes pas d’accord mais, pour éviter de créer une possible source de conflit entre nous, nous avons proposé qu’ils soient accueillis au moins comme observateurs et cela fut accepté par tout le monde. Depuis nous avons de temps en temps quelques observateurs lumads avec nous. Il faut dire qu’il y a un réel problème avec eux. Ils sont divisés en une multitude de tous petits groupes et, en réalité, très peu d’entre eux sont restés vraiment fidèles à leurs traditions. Beaucoup sont quasiment assimilés soit aux chrétiens soit aux musulmans. Quant au reste, aux « vrais », ils ne se manifestent pas par timidité peut-être mais, surtout, par peur de perdre leur identité, de se faire manger par plus gros qu’eux.
Pour conclure, pouvez-vous me dire ce vous espérez le plus pour la CEU ?
Mon rêve, c’est que la CEU puisse aider les jeunes à entrer dans cette dynamique du dialogue. A cet égard les camps de jeunes sont très importants. Ils sont organisés au niveau de tout Mindanao et de l’archipel de Sulu une fois tous les deux ans mais, maintenant, entre ces deux camps, il y en a d’autres qui sont organisés au niveau des régions. Ce qui est formidable avec les jeunes, c’est qu’ils ne sont pas encore profondément blessés. Ils sont donc ouverts à toutes sortes d’initiatives et il y a là une source de très grande espérance. J’ai un autre rêve. On parle toujours des communautés ecclésiales de base. Je crois qu’il y a un besoin urgent de créer des communautés humaines de base, petites communautés au niveau local où se rencontreraient le plus souvent possible des catholiques, des musulmans, des protestants et des lumads. J’ai déjà vu des exemples de rencontres magnifiques comme, par exemple, lorsque la maison de l’alim Adilao a brûlé à Davao et que lui et toute sa famille ont été accueillis pendant trois mois par la famille du P. Paul Cunalan. Voilà mon rêve. C’est à ce niveau là, avant tout autre niveau, que la CEU peut jouer un très grand rôle. A ce niveau là, le niveau humain, nous avons tant de choses en commun.
2.) Interview avec Alim Elias Macarandas, ouléma :
Quelle est votre position au sein de la communauté musulmane ?
Je suis l’ancien secrétaire général de la Ligue des oulémas aux Philippines. Je suis le président d’un collège islamique à Marawi. J’ai été un conseiller dans les pourparlers de paix entre le gouvernement et le MILF.
Et dans la CEU ?
J’ai toujours été très impliqué dans le dialogue islamo-chrétien. Je suis dans la CEU depuis son début et suis membre de la Commission tripartite.
Quelle est votre relation avec M. Mahid Mutilan, président de la Ligue des oulémas ?
Nous sommes tous les deux des oulémas et nous avons été tous deux formés au sein de la même université, Al Azhar, au Caire. Nous sommes co-fondateurs de la Ligue des oulémas. Nous appartenons au même parti politique, l’Umpiah (8). Il en est le président et je suis membre du Conseil central.
Puis-je considérer que ce que vous allez dire maintenant reflète la pensée de M. Mutilan que je n’aurai malheureusement pas la chance de rencontrer ?
Oui, je le crois.
Selon vous, quels sont les points positifs de la CEU ?
Tout d’abord l’existence même de la CEU est la preuve qu’il peut y avoir de bonnes relations entre les chrétiens et les musulmans de ce pays. Compte tenu que dans le passé et d’ailleurs encore maintenant les relations entre les chrétiens et les musulmans ont été et sont encore très fragiles, pour ne pas dire plus, à savoir pleines de méfiance et de préjugés, la CEU est une bonne nouvelle et un signe d’espoir. Elle envoie un message clair : il peut y avoir de meilleures relations. On peut vivre ensemble dans la paix et la coopération. Mais il y a plus. La CEU a une influence sur le gouvernement parce que, dans toutes nos réunions, nous discutons de problèmes qui affectent la vie des chrétiens comme des musulmans et, étant donné qu’il y a toujours des représentants du gouvernement avec nous qui sont les directeurs de l’agence gouvernementale qui aide financièrement la CEU, toutes nos recommandations remontent directement au gouvernement. Les responsables des autorités publiques trouvent là une aide pour formuler des programmes qui correspondent aux besoins réels des gens de Mindanao. Ces responsables vivent dans la lointaine Manille et ne connaissent par conséquent pas vraiment ces besoins. La CEU est un lieu privilégié pour une réflexion profonde sur la situation prévalant à Mindanao.
Selon vous, quels sont les points faibles de la CEU ?
Le premier concerne les structures de l’organisation. Ce que nous disons entre nous, nous avons beaucoup de peine à le faire connaître, encore plus à le faire descendre au niveau de nos communautés. C’est laissé à l’initiative de chacun des participants. Il faudrait que cela soit fait systématiquement, par une meilleure utilisation des médias et de notre réseau d’églises et de mosquées. Il faudrait aussi qu’il y ait des CEU à l’échelle de chacune des régions de Mindanao.
Le deuxième regarde le financement. Pour le moment, nous dépendons pour la plus grande part des fonds qui nous proviennent du gouvernement. Mais si, pour une raison ou une autre, ces fonds étaient suspendus, nous serions dans une situation très difficile.
Puisque la CEU dépend tellement du gouvernement pour son financement, n’y a-t-il pas un danger pour elle sinon d’être manipulée par le gouvernement, en tout cas de perdre sa liberté d’expression et de décision ?
Ceci dit, il n’y a jamais eu aucune pression de la part du gouvernement. En beaucoup d’occasions, j’ai moi-même attaqué ouvertement certaines décisions du gouvernement. J’ai toujours dit ce que je pensais être la vérité.
Un des projets de la CEU a été le lancement de la Semaine de la Paix pour Mindanao. Quel a été l’impact réel de cette semaine ?
Très important. C’est le seul lieu où tous ceux et celles qui le veulent ont la possibilité, sous une forme ou une autre, d’exprimer leur désir pour la paix. Elle nous a permis de réaliser que beaucoup plus de gens que nous le pensions veulent la paix, prient pour la paix et sont prêts à agir pour la paix. Cela est vrai même au sein des forces rebelles et gouvernementales. Dans tous les secteurs de la société de Mindanao, on a vu des gens sortir de l’anonymat et proclamer haut et fort leur ras-le-bol de la violence. Cette semaine a permis de faire ressortir le fait que, malgré leur diversité de cultures et de religions, les habitants de Mindanao se considèrent comme appartenant à un même peuple, fondamen-talement de la même race et tous profondément croyants même si leur foi s’exprime de façon diverse.
Pensez-vous que la CEU doive continuer et, si oui, quelle doit être son action principale ?
Nous avons une vision et une mission : que la paix devienne une réalité à Mindanao. Cela ne peut pas se faire vite. Il faut donc que la CEU continue. Ses trois buts principaux sont :
– de faire des chrétiens de bons chrétiens ;
– de faire des musulmans de bons musulmans ;
– de transformer des hommes au pouvoir en éradiquant toute corruption et toute monopolisation du pouvoir par des clans.
Ainsi le rôle majeur de la CEU est de l’ordre de l’éducation : éducation religieuse, éducation à la démocratie et éducation à l’esprit d’entreprise et de créativité. Cela signifie aussi que la CEU ne doit pas avoir peur de s’engager dans le domaine économique.
3.) Interview avec Mgr Hilario Gomez, évêque émérite de l’Eglise réformée des Philippines
Pouvez-vous vous présenter ?
Evêque de l’Eglise réformée des Philippines, j’ai été le président du Conseil de cette Eglise de 1994 à 1998 et le président du Conseil national des Eglises protestantes des Philippines de 1995 à 1996. Je suis maintenant co-président de la CEU depuis 1997.
Quels sont, selon vous, les points positifs de la CEU ?
C’est un très bon lieu de dialogue interreligieux. La régularité de nos réunions a contribué à créer entre nous un esprit fraternel et les liens entre les chrétiens et les musulmans sont aujourd’hui beaucoup plus forts qu’ils ne l’étaient au début. La CEU a aussi été un instrument efficace de paix et de développement à Mindanao aussi bien au niveau local qu’au niveau régional. Dans les provinces de Lanao Nord, Lanao Sud, Maguindanao et Cotabato Nord, des gens, encouragés par la CEU, ont été très actifs pour promouvoir la paix par le moyen de projets très concrets. Le gouvernement enfin a fait appel à la CEU pour qu’elle l’aide dans ses projets d’éradication de la pauvreté.
Avez-vous des critiques à faire sur la CEU ?
C’est un groupe qui est trop limité et je souhaite qu’il s’élargisse à des régions qui n’ont pas encore été impliquées comme Sulu, Tawi-Tawi et Palawan. Il faudrait aussi qu’elle s’ouvre aux groupes de protestants évangéliques.
Quel a été l’impact de la CEU sur la situation à Mindanao ?
Sur un plan socio-politique, l’impact est limité. Pour ce qui est de la paix, l’impact est beaucoup plus fort et il va grandissant. Pour ce qui est des relations entre les chrétiens et les musulmans, l’impact est réel aussi mais il pourrait aller beaucoup plus loin. J’aimerais que l’engagement des évêques catholiques et protestants dans des projets de développement économique dans les régions à majorité musulmane soit beaucoup plus fort car je suis persuadé que le facteur économique joue un rôle prédominant pour qu’il y ait ou non la paix à Mindanao.
Pensez-vous que la CEU doive continuer ?
Oui, elle doit continuer avec fidélité et tout faire pour que le dialogue entre les chrétiens et les musulmans s’approfondisse. Elle doit aussi continuer dans le domaine socio-économique car c’est là que se fait le dialogue de vie, où chrétiens et musulmans se rencontrent en voisins pour accomplir quelque chose ensemble.
4.) Interview avec Alim Amilusin Jumaani, secrétaire général de la Ligue des oulémas des Philippines
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis le secrétaire général de la Ligue des oulémas des Philippines et je suis un membre actif de la CEU depuis sa création.
Quels sont, selon vous, les aspects positifs de la CEU ?
C’est un effort historique des chrétiens et des musulmans pour mieux se connaître. La société aux Philippines est encore très féodale. Quand les gens voient leurs dirigeants s’assoirent à la même table, se parler et devenir amis, ils ont envie de faire la même chose. C’est l’aspect le plus positif que je voie dans la CEU.
Des aspects négatifs ?
Même si ce que je viens de dire est vrai, il ne faut pas s’en contenter. C’est très bien que les gens soient encouragés par notre exemple mais, si on ne fait rien de plus, cet encouragement ne débouchera sur rien de concret. Les gens sont étonnés de nous voir se rencontrer ; ils parlent de nous : il faut sauter sur cette occasion pour que non seulement ils parlent de nous mais nous imitent aussi.
Vous dites que la CEU fonctionne encore surtout au niveau des élites que sont les évêques et les oulémas. Est-ce que à ce niveau-là au moins, il y a déjà une véritable amélioration des relations, un vrai climat de confiance et d’amitié ?
C’est très difficile de mesurer ce genre de chose. Il n’y a pas de baromètre pour calculer le degré de sincérité des uns et des autres. Il y a cependant un critère assez sûr de notre sincérité et c’est le fait que nous nous rencontrons tous les trois mois. Je crois que pour plusieurs d’entre nous c’est le signe de quelque chose de très fort entre nous.
Est-ce que la CEU a eu un impact significatif sur la situation de paix à Mindanao ?
La contribution la plus importante de la CEU à ce niveau-là a été son rôle de conseiller moral dans les négociations de paix entre le MILF et le gouvernement. Nous avons souvent émis des opinions fortes, surtout dans le domaine des droits de l’homme, et elles ont été prises en compte. Nous n’avons jamais aussi cessé d’encourager les deux parties à ne pas rompre les négociations de paix et à chercher par tous les moyens des solutions qui puissent satisfaire les deux côtés.
Est-ce que la CEU a un avenir ? Doit-elle continuer ?
Je suis sûr que la CEU doit rester en place jusqu’à ce que cesse la violence à Mindanao et que tous les croyants trouvent en Dieu la force et la sagesse de vivre ensemble harmonieusement.
Parmi les autres entretiens réalisés pour la rédaction de ce dossier, un autre alim, Shariff M. Julabbi, ajoute : « N’est-il pas extraordinaire que des oulémas musulmans et des évêques chrétiens se rencontrent régulièrement et aiment se rencontrer ? Ce n’était pas gagné d’avance. Nous sommes devenus des frères en humanité malgré nos différences religieuses. »
Quant au P. Sebastiano d’Ambra, des Missions Etrangères de Milan, homme de très longue expérience dans le dialogue islamo-chrétien aux Philippines et membre actif de la CEU, son commentaire est sobre : « Il ne faut pas se faire d’illusion. Rien de décisif n’a encore été vraiment fait. Le chemin est long devant nous. »
Depuis février 2004, la CEU s’est encore réunie deux fois. A Koronadal du 9 au 11 mars 2004 (9) et du 26 au 28 juillet 2004 (10). Et au moment même où sort cet article les préparatifs sont en cours pour la 6ème Semaine de la paix à Mindanao et le 3ème Camp de jeunes pour la paix.
On ne peut que rêver et souhaiter pour les Philippines que la paix s’établisse une fois pour toute à Mindanao et, si cela arrive, il est indéniable que la CEU y aura été pour une grande part.
Notes
(1)Oulémas : pluriel du mot arabe « alim Un alim est, dans la communauté musulmane, un érudit, reconnu comme tel, en matières religieuses. Il a, de ce fait, un rôle de leadership dans la communauté où il réside.
(2)EDA 355 (Dossier : « Chrétiens et musulmans à Mindanao
(3)Interview faite par l’auteur de ce dossier lors de son dernier passage aux Philippines en février 2004. Il en est de même pour toutes les autres personnes citées dans cet article.
(4)Le SPCPD (Southern Philippines Council for Peace and Development), ou Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippines, faisait partie de l’accord signé entre le gouvernement et le MNLF (ou Front moro de libération nationale) le 2 septembre 1996. Il devait coordonner toutes les actions de paix et tous les projets économiques de Mindanao et devait être placé sous la présidence d’un musulman. Nur Misuari en fut le premier président. Ce conseil fut l’objet de critique virulentes de la part de la majorité chrétienne de Mindanao et suscita une très grande peur, plus ou moins orchestrée d’ailleurs par des hommes politiques peu scrupuleux, de voir les musulmans profiter de ce conseil pour écraser, sinon, chasser les chrétiens de Mindanao. En fait, comme cela se passe si souvent dans des situations semblables, l’immense majorité des gens n’avaient jamais pris la peine d’étudier sérieusement le texte qui mettait en place le SPCPD.
(5)Et ceci malgré deux évènements tragiques qui auraient pu faire tout capoter dès le départ : l’assassinat de Mgr Benjamin de Jésus, évêque de Jolo, le 4 février 1997 et le kidnapping de Mgr Desmond Hartford, préfet apostolique de Marawi, le 27 octobre 1997.
(6)Voir texte en annexe
(7)Les 18 groupes ethniques non musulmans de Mindanao sont désignés sous l’appellation commune « Lumads » ou « gens de la terre ».
(8)Mot maranao qui veut dire « nettoyage », en référence au désir de ce parti d’éradiquer toute corruption de la vie politique.
(9)Voir EDA 395
(10)Voir EDA 401
Annexe
Malacanang, Palais présidentiel
Manille
Par le président des Philippines
Proclamation N° 127
Déclarant le dernier jeudi du mois de novembre jusqu’au premier mercredi du mois de décembre de chaque année à dater d’aujourd’hui, Séminaire de la Paix à Mindanao.
Considérant que, le gouvernement reconnaît l’aspiration commune de tous les habitants de Mindanao à vivre dans la paix, l’unité et l’harmonie sans considération de statut social, de religion et de culture ;
Considérant que, pour augmenter la conscience du besoin d’une culture de la paix chez tous les habitants de Mindanao, il faut un lieu et un temps pour que puisse s’exprimer l’aspiration à la paix sous formes diverses ;
Maintenant, donc, moi, Gloria Macapagal-Arroyo, présidente des Philippines, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi, je déclare que du dernier jeudi de novembre jusqu’au premier mercredi de décembre, il y aura chaque année une Semaine de la Paix à Mindanao.
Toutes les agences du gouvernement concernées, y compris les sociétés sous le contrôle de l’Etat, les membres du secteur privé ainsi que les membres de mouvements associatifs basés à Mindanao sont de ce fait invités et encouragés à s’engager en toute sorte d’activités au cours de la célébration de la Semaine de la Paix, en lien avec la Conférence des évêque et des oulémas.
Le Bureau du conseiller présidentiel pour les négociations de paix, en lien avec la Conférence des évêques et oulémas assurera toute l’aide nécessaire pour permettre une coordination fructueuse de toutes les initiatives qui seront prises pendant la dite Semaine.
Cette proclamation remplace la proclamation n° 408, datée du 3 novembre 2000.