Eglises d'Asie – Philippines
Avancée dans les négociations de paix entre le gouvernement et le MILF
Publié le 28/01/2013
Les négociations qui se sont déroulées en Malaisie la semaine dernière s’inscrivaient dans le cadre des « pourparlers exploratoires » menés depuis la signature, il y a trois mois, d’un accord de paix entre Manille et le MILF. Trente-cinquième du genre, ces pourparlers avaient notamment pour but de préciser les quatre annexes accompagnant le Framework Agreement on Bangsamoro (FAB), l’accord-cadre, signé le 15 octobre 2012.
Pour le gouvernement malaisien, médiateur dans ce conflit, la réussite des négociations n’était pas évidente. Le médiateur en chef malaisien, Tengku Dato’ Ab Ghafar Tengku Mohammed, n’a d’ailleurs pas caché à la presse qu’« étant donné la lenteur des progrès enregistrés dans les groupes de travail préparatoires, nous [le gouvernement malaisien] étions quelque peu pessimistes quant à une issue positive ».
Selon la responsable de la délégation gouvernementale philippine, Miriam Coronel-Ferrer, les négociations ont « de fait représenté un vrai défi », mais des « avancées concrètes » ont été obtenues, notamment en ce qui concerne la mise en place prochaine d’une équipe d’observateurs internationaux (Third Party Monitoring Team), dont la mission sera d’observer sur le terrain la mise en place du FAB jusqu’à la signature d’un accord de paix final. Choisis par les deux parties, ces observateurs seront notamment issus d’ONG locales et internationales.
Selon Mohagher Iqbal, négociateur en chef pour le MILF, les pourparlers « vont dans la bonne direction (…). Nous apercevons la lumière au bout du tunnel et je pense, si Dieu le veut, que nous sommes en mesure d’aller au terme de ce processus [de paix] ».
Les deux négociateurs en chef n’ont toutefois pas caché que beaucoup de travail restait à faire, les annexes du FAB concernant le partage du pouvoir et le partage des richesses n’ayant pas été encore abordées. Or, concernant ces deux aspects, l’actualité de ces derniers mois a montré que les choses ne seront pas simples. Ainsi, le MILF a prévenu le président Aquino que le contrôle des eaux du lac Lanao, large étendue d’eau douce au sein de la province de Lanao del Sur, ne pouvait être accaparé par le gouvernement central sous prétexte de garantir l’approvisionnement en eau d’un barrage hydroélectrique vital pour l’approvisionnement de la région en électricité. Il y a quelques semaines, le MILF a lancé un autre avertissement au président Aquino, le pressant de ne pas signer de contrat avec des compagnies étrangères pour la prospection du pétrole et du gaz sur des blocs territoriaux situés à Mindanao et en mer de Jolo (Sulu Sea). Selon le groupe armé rebelle, la signature de tels contrats doit attendre la finalisation de l’accord de paix entre les deux parties.
Dans ce contexte, où les négociateurs affichent leur optimisme sans toutefois masquer le chemin qui reste à parcourir avant une paix définitive – annoncée pour octobre 2016, date de l’expiration du mandat présidentiel de Benigno Aquino –, les responsables religieux catholiques restent prudents. En octobre dernier, lors de la signature du FAB, Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato, ville située au cœur de l’actuelle ARMM (Autonomous Region in Muslim Mindanao), avait fait part de son regret que les responsables religieux n’aient pas été impliqués dans l’établissement de l’accord-cadre.
Dans une région (le sud philippin) qui réunit une vingtaine de millions d’habitants, la revendication à l’autonomie des quatre à six millions de musulmans de Mindanao inquiète les chrétiens. L’Eglise catholique, si elle soutient l’initiative de paix, voudrait voir les intérêts des non-musulmans mieux pris en compte dans le futur Bangsamoro (‘Territoire des Moros’). Au sein de ce territoire qui sera contrôlé par les musulmans de Mindanao (Manille se réservant seulement les pouvoirs régaliens), la place des lumads (les habitants indigènes de Mindanao) et des chrétiens doit encore être précisée. Il a déjà été annoncé que la charia y serait appliquée et bien qu’il ait été précisé que celle-ci ne concernerait que les seuls musulmans (au civil, pas au pénal), de telles annonces inquiètent considérablement les chrétiens.
Consciente de ces inquiétudes, la négociatrice en chef de Manille a tenu à rencontrer les évêques catholiques de Mindanao. Au cours d’une rencontre en janvier dernier, elle les a assurés qu’au sein du futur Bangsamoro, les droits des personnes et des communautés seraient préservés et définis dans le cadre d’une « loi fondamentale » intégrée à la Constitution des Philippines et votée par le Congrès philippin. Elle a notamment appelé les évêques à utiliser le réseau de stations de radio locale dont ils disposent à Mindanao pour « toucher la population la plus large possible (…) et répondre aux questions que les gens se posent ».
Souhaitant désamorcer les craintes des chrétiens concernant le fait que les négociations actuelles pourraient aggraver leurs problèmes déjà existants dans les domaines de « l’insécurité, de la propriété foncière et de l’accès à la représentation politique », Miriam Coronel-Ferrer a explicitement demandé l’aide de l’Eglise. « Nous avons besoin du soutien de l’Eglise pour atteindre cet objectif [la paix à Mindanao] », a-t-elle affirmé devant les évêques catholiques. Ce à quoi Mgr Jose Colin Bagaforo, évêque auxiliaire de Cotabato, a répondu que les non-musulmans dans la région s’inquiétaient de ne pas être en mesure de « participer de manière significative aux décisions politiques » de la future entité Bangsamoro.