Eglises d'Asie

Le bain de sang qui s’est produit à Mindanao ne doit pas faire dérailler le processus de paix, affirme l’épiscopat philippin

Publié le 27/01/2015




Ce 27 janvier, Mgr Socrates Villegas, président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, a déclaré que la violence qui vient, une nouvelle fois, d’endeuiller le Sud philippin devait « être condamnée avec force », tout en ajoutant que l’Eglise continuait à pleinement soutenir le processus de paix en cours …

… avec la rébellion musulmane. « Nous ne pouvons nous associer aux appels de ceux qui demandent la remise en cause des négociations de paix. Si ce triste incident doit nous dire quelque chose, c’est bien la nécessité et l’urgence de parvenir à une solution réfléchie, respectueuse des principes et juste pour tous », a souligné l’archevêque de Lingayen-Dagupan.

Le message du président de l’épiscopat philippin intervient après qu’une opération de police anti-terroriste a mal tourné, dimanche 25 janvier, à Mindanao, provoquant la mort d’au moins une cinquantaine de personnes. L’incident s’est produit à Mamasapano, localité isolée de la province de Maguindanao et contrôlée par les hommes du MILF (Front moro de libération islamique).

Selon les informations fournies par les agences de presse, les heurts, qui ont duré onze heures, sont survenus lorsque les policiers – une force de près de 400 hommes issus des unités d’élite de la police nationale – sont entrés dans la ville sans s’être mis d’accord au préalable avec la rébellion, comme le veut l’accord signé en mars 2014 entre le MILF et le gouvernement philippin.

D’après le négociateur en chef du MILF, Mohagher Iqbal, les commandos de la police recherchaient Zulkifli bin Hir, alias Marwan, un Malaisien, artificier et membre de la Jemaah Islamiyah, groupe terroriste en lien avec Al-Qaida. Sa tête a été mise à prix par les Etats-Unis pour cinq millions de dollars. Selon le ministre philippin de l’Intérieur, Zulkifli bin Hir aurait été tué dans cet assaut. Un autre suspect, Abdul Basit Usman, dont la tête a été mise à prix un million de dollars, serait parvenu à prendre la fuite. Les commandos entendaient aussi capturer un commandant des BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), mouvement rebelle qui ne participe pas au processus de paix, rassemble plusieurs centaines de combattants et fait l’objet d’une traque intensive des forces armées philippines depuis mars 2014.

En pénétrant sur le territoire du MILF, les commandos de police auraient été pris en embuscade par les rebelles musulmans. Cherchant à se replier, ils auraient pénétré sur une portion de territoire contrôlé par le BIFF. Le bilan est très lourd : entre 44 et 64 policiers ont été tués, ainsi que cinq hommes du MILF.

Si ce n’est pas le premier accroc au cessez-le-feu conclu en mars 2014 entre Manille et le MILF (en avril dernier, deux soldats et dix-huit rebelles ont été tués lors d’affrontements sur l’île de Basilan), c’est assurément le plus grave. Pour autant, si certaines voix s’élèvent pour demander une interruption des négociations de paix, l’ensemble des acteurs engagés dans ces négociations affichent leur volonté d’aller de l’avant.

Cette sanglante opération policière ressemble en effet à une terrible bavure – le président Benigno Aquino vient de relever de ses fonctions le chef des forces spéciales de la police nationale. Elle intervient au moment où le Congrès passait en revue la Loi fondamentale pour le Bangsamoro (Bangsamoro Basic Law), le texte de loi qui doit préciser les termes de l’accord conclu le 27 mars dernier.

Cet « Accord global de paix sur le Bangsamoro » (Comprehensive Peace Agreement on Bangsamoro, CAB) a été signé le 27 mars dernier, à l’issue de longues tractations entre le gouvernement philippin et le MILF. Il prévoit la création d’une entité politique semi-autonome, administrée par la minorité musulmane très implantée dans cette partie sud de l’archipel. Le Bangsamoro devrait couvrir un peu plus du territoire de l’actuelle Région autonome musulmane de Mindanao et fonctionner selon un système juridique et judiciaire particulier, défini par cette Loi fondamentale aujourd’hui en discussion au Congrès.

Pour le sénateur Joseph Victor Ejercito, l’un des rédacteurs de la Loi fondamentale pour le Bangsamoro, ce qui vient de se passer à Mamasapano – « un acte d’une telle lâcheté » – interdit d’aller plus loin dans les négociations de paix. Hier lundi, le Sénat a suspendu les discussions en cours sur ce projet de Loi fondamentale.

Mais, pour les négociateurs du traité de paix, l’incident doit demeurer « un revers passager » et ne doit pas empêcher l’examen et le vote de la Loi fondamentale pour le Bangsamoro. Miriam Coronel-Ferrer, négociatrice en chef pour le gouvernement de l’accord de paix, est sortie d’une audition au Sénat ce 27 janvier en déclarant à la presse locale que tant Manille que le MILF « étaient profondément engagés (l’un envers l’autre) » et que le « terrible » incident de dimanche ne devait pas détourner l’attention « des objectifs plus grands et des causes plus hautes » qui sont poursuivis dans ces négociations de paix. Elle a aussi affirmé sa confiance dans la capacité du MILF à « restaurer le cessez-le-feu ».

De son côté, Mohagher Iqbal a affirmé que les autorités philippines avaient manqué à leur engagement d’avertir le comité de cessez-le-feu avant d’engager cette action de police. « Il est très dommageable que des gens aient trouvé la mort, mais nous ne pouvons les ramener à la vie. Ce qui est important est de renforcer notre coordination afin d’éviter la répétition de tels incidents », a-t-il déclaré, ajoutant que « le processus de paix [était] important ».

Après des décennies de révolte armée qui a fait des dizaines de milliers de morts, la paix négociée entre le gouvernement et le MILF est un des objectifs politiques majeurs du président Aquino. Il a promis de régler la question avant la fin de son mandat, en 2016. Selon le calendrier parlementaire, il est prévu que la Loi fondamentale pour le Bangsamoro soit votée puis ratifiée en octobre prochain ; des élections locales pour mettre en place la nouvelle entité semi-autonome sont prévues en mai 2016. La minorité musulmane des Philippines, qui compte environ cinq millions de personnes (sur 100 millions d’habitants au total), est principalement concentrée à Mindanao et les îles alentours.

(eda/ra)