Eglises d'Asie – Indonésie
Des responsables chrétiens appellent à la fin des exactions à l’encontre les Papous
Publié le 07/01/2016
… doit y mettre fin », a dénoncé le Rév. S. Sofyan Yoman, président de la Communion des Eglises baptistes de Papouasie, à l’agence Ucanews, le 2 janvier dernier.
Le 1er décembre 2015, quatre indépendantistes papous ont été torturés et tués par la police
indonésienne, sur l’île de Yapen. Le 20 décembre, près de la frontière avec la Papouasie-Nouvelle Guinée, dans le district de Keerom, un Papou a été abattu par la police. Un an auparavant, le 8 décembre 2014, des forces de sécurité avaient ouvert le feu sur de jeunes Papous qui manifestaient dans la rue, après qu’un enfant papou ait été battu par des militaires. La fusillade avait tué quatre étudiants et blessé de nombreux manifestants. « Tous ces assassinats font partie du plan des services secrets indonésiens qui veulent faire passer les Papous pour des criminels et des séparatistes », a déclaré le pasteur protestant.
Pour le P. Neles Tebay, prêtre catholique papou et coordinateur du Réseau pour la paix en Papouasie (Papua Peace Network) qui milite depuis de longues années pour un dialogue pacifié entre les Papous et l’Indonésie, ces assassinats sont la manifestation concrète du conflit qui existe entre le gouvernement indonésien et les aborigènes de Papouasie, notamment envers ceux qui soutiennent le mouvement indépendantiste Free Papua Movement (FPM). « La violence engendre la violence et les parties feraient mieux d’instaurer un dialogue afin de trouver des solutions au conflit », a-t-il précisé.
Le 26 décembre 2015, dans le district de Puncak, ce sont trois policiers indonésiens qui ont été tués par un groupe armé en train de dérober des armes et des munitions au commissariat de police de Sinak. Selon Andreas Harsono, de Human Rights Watch, l’assassinat a été revendiqué par le mouvement indépendantiste papou Free Papua Movement et son chef de région, Lekhaka Telenggen. Selon l’Inspecteur en chef de la police en Papouasie, le Gén. Paulus Waterpauw, tous ces assassinats font l’objet d’une enquête, et la police « recherche toujours les assassins des policiers », a-t-il précisé à l’agence Ucanews.
Depuis des décennies, les Papous subissent les conséquences de la toute-puissance de la police et de l’armée indonésienne sur leurs terres ancestrales, la Papouasie étant la région la plus militarisée du pays. Pour Djakarta, cette militarisation est justifiée par la menace que fait peser la branche armée du mouvement séparatiste sur la région.
Toute manifestation ou mouvement de protestation est donc réprimé, que ce soit en faveur de la défense des populations autochtones, de l’environnement durement affecté par l’exploitation minière, ou en faveur de l’indépendance du territoire. « Chaque semaine, je reçois des rapports sur les violations des droits de l’homme en Papouasie, que ce soit des discriminations, des passages à tabac, des violences sexuelles ou des meurtres », a ajouté Andreas Harsono.
Bien qu’aucune statistique officielle n’existe, on estime que, depuis les années 1960, des dizaines de milliers de Papous ont été tués en toute impunité par les forces de sécurité indonésiennes. Pourtant, selon Andreas Harsono, les rebelles indépendantistes sont peu nombreux et mal organisés. Ils ne représentent donc pas une menace réelle pour le gouvernement indonésien.
Par contre, la richesse de la terre papoue est cruciale pour l’Etat indonésien puisqu’elle lui fournit une part notable de ses recettes fiscales. Très riche en ressources naturelles, grâce aux gisements miniers d’Ertsberg (cuivre) et de l’énorme gisement du Grasberg, la province de Papouasie détient les 3ème plus importantes réserves de cuivre et les 2ème plus importantes réserves d’or au monde. Les revenus colossaux de ces exploitations sont partagés entre le gouvernement central et les multinationales minières, Freeport-McMoran (présente depuis 1967) et Rio Tinto.
Ainsi, selon l’Observatoire des multinationales, en 2014, Freeport a versé 1,5 milliard de dollars à l’Etat indonésien, faisant de la société le premier contributeur fiscal de l’Indonésie. « Pour assurer la sécurité de ses installations, Freeport a besoin de l’appui des pouvoirs publics », explique Andreas Harsono. La police nationale et l’armée sont donc chargées du « maintien de l’ordre », afin que les firmes multinationales puissent extraire, en toute tranquillité, les métaux précieux dans cette région très isolée où une grande partie du territoire n’est accessible que par voie aérienne.
Si la population papoue a vu ses terres confisquées, elle ne profite pas non plus des retombées économiques des mines ; elle est en effet la région la plus sous développée du pays en termes de niveau de vie, d’éducation et de santé.
L’arrivée au pouvoir, en 2014, du président Joko Widodo a semblé toutefois amorcer un virage dans la politique indonésienne vis-à-vis de la Papouasie-Occidentale. En mai dernier, lors de sa visite sur place, le président a gracié cinq prisonniers politiques papous, condamnés à vingt ans de réclusion ou à perpétuité pour avoir attaqué, en 2003, un entrepôt d’armements de l’armée indonésienne à Jayawijaya. Il a également promis que 90 prisonniers politiques papous encore détenus seraient eux aussi prochainement graciés, exceptés ceux demandant l’amnistie, requête qui demande l’accord du Parlement.
Parmi eux, Filep Karma, militant indépendantiste papou, maintenu en détention pendant plus de dix ans pour avoir simplement hissé le drapeau du mouvement indépendantiste lors d’une cérémonie politique en 2004. Il refusait d’être libéré sans être amnistié, et le 19 novembre 2015, il a retrouvé la liberté, une fois sa peine de prison entièrement purgée. Mais depuis, une dizaine d’autres militants au moins ont été arrêtés. Selon Human Rights Watch, soixante prisonniers politiques sont actuellement encore détenus en Papouasie.
Joko Widodo avait également promis d’ouvrir le territoire de la Papouasie aux médias en déclarant que les journalistes étrangers pourraient désormais travailler en Papouasie sans permis spécial, mettant ainsi fin à un blocus qui, pendant 40 ans, a empêché les médias et les organisations de défense des droits de l’homme de se rendre en Papouasie pour enquêter sur les réalités locales. Une promesse qui venait à point nommé alors qu’en août 2014, deux journalistes français travaillant pour la chaîne Arte et arrivés en Papouasie avec des visas de touriste avaient été arrêtés et condamnés à deux mois et demi de prison, avant d’être expulsés d’Indonésie le 29 octobre 2014.
En juin 2015, Joko Widodo avait également annoncé « l’arrêt du programme de transmigration vers la Papouasie ». Commencé en 1905, sous la période coloniale hollandaise, ce programme de migration volontaire d’individus des îles densément peuplées de Java, Madura et Bali visait à peupler des régions de faible densité de population, comme Sumatra, Kalimantan, Sulawesi (Célèbes) et la Nouvelle-Guinée occidentale. Il a ensuite été dirigé par une main de fer sous le général Suharto, pendant la période de l’« Ordre nouveau ». Pour les indépendantistes papous, ce programme n’était qu’une « politique de colonisation » et un « lent génocide » des Papous.
Dans les années 1970 – période où la Papouasie a « été cédée » à l’Indonésie (2) –, les Papous représentaient 96 % de la population du territoire de la Papouasie-Occidentale (West Papua). Aujourd’hui, ils sont devenus minoritaires. Selon certains chercheurs, en 2020, ils ne représenteront plus que 30 % de la population de la région, les habitants originaires d’autres îles de l’archipel indonésien dominant démographiquement et économiquement la région.
Contrairement à la majorité des nouveaux arrivants, qui sont musulmans, les Papous, d’origine animistes, se sont largement convertis au christianisme, et leur progression ne cesse d’augmenter. Aux côtés des ONG, les Eglises chrétiennes jouent un rôle majeur dans le soutien et le respect des droits des peuples aborigènes et dans la dénonciation des exactions commises par l’armée et l’administration indonésiennes à leur encontre.
(eda/nfb)