Eglises d'Asie – Indonésie
En dépit d’une injection massive d’aide économique, les provinces de Papouasie ne sortent pas du sous-développement
Publié le 24/04/2013
… dans les deux provinces papoues. En dépit d’investissements conséquents, cette région du pays ne parvient pas à s’extraire du sous-développement, un état de fait dont les causes sont dues à des facteurs politiques, dénoncent des acteurs locaux du développement économique.
Depuis la décentralisation administrative consécutive à la démocratisation du pays après la chute, en 1998, de Suharto, les plans d’aide au développement pour la Papouasie occidentale n’ont pas manqué. Depuis 2001 et le vote de la loi sur l’autonomie spéciale, l’ancienne province d’Irian Jaya a été divisée en deux provinces distinctes, la Papouasie et la Papouasie occidentale, division effective depuis 2003. Afin de contrer le sous-développement de cet immense ensemble peu densément peuplé, le gouvernement central a débloqué des fonds importants pour la construction d’infrastructures routières, de ports ainsi que d’écoles et d’hôpitaux. Djakarta annonce qu’entre 2001 et 2012, 46,7 trillions de roupies (4,9 milliards de dollars US) ont été investi dans les deux provinces. L’effort d’investissement ne se relâche pas et même accélère, le gouvernement annonçant pour la seule année 2013 un effort budgétaire de plus de 40 trillions de roupies (4,16 milliards de dollars), faisant de ces deux provinces parmi les mieux dotées budgétairement du pays. Et l’agence présidentielle pour le développement en Papouasie et en Papouasie occidentale a annoncé, fin mars 2013, la construction de 1 520 km de routes en moins de deux ans, plan dont la réalisation a été confiée à l’armée. « Si nous comptions uniquement sur le ministère des Travaux publics et les agences publiques locales, la construction de ces 1 520 kilomètres de route prendrait 60 ans », a précisé le directeur de l’agence présidentielle.
Dans cette région pourtant riche en ressources naturelles (or, cuivre, charbon, bois et gaz naturel), les habitants ne perçoivent que très peu les bienfaits du développement économique. Une étude d’une ONG locale dans une ville de Papouasie occidentale a montré qu’un nombre conséquent de décès aurait pu être évité ces dernières si seulement les dispensaires de base avaient été maintenus ouverts au lieu d’être fermés en 2010, faute de personnel compétent. Dorus Wakum, coordinateur de Kampak (acronyme de ‘Communauté des Papous contre la corruption’), affirme de son côté que les enquêtes menées par ses soins indiquent que la moitié de l’aide au développement et des investissements publics disparaissent dans les sables de la corruption. En 2010, 43 parlementaires de l’Assemblée législative de Papouasie occidentale et 23 de l’Assemblée de Papouasie ont été soupçonnés d’avoir détourné des fonds liés au budget prévu pour accompagner la décentralisation. Ils n’ont toutefois pas été inquiétés par la justice et ce sont les militants des ONG qui ont publié leurs noms qui ont été inquiétés et, dans certains cas, interrogés par la police. « Les policiers voulaient les noms des organisations qui travaillent en Papouasie contre le gouvernement indonésien », a témoigné l’un de ces militants.
Selon le P. John Djonga, prêtre du diocèse de Jayapura, capitale de la province de Papouasie, le sous-développement dans lequel sont cantonnés les Papous est tel que non seulement les infrastructures sanitaires ne suffisent pas à maintenir en bonne santé la population, mais la malnutrition menace. Très nombreux sont les Papous qui ne survivent qu’en consommant ce qu’ils font pousser, des patates douces, des bananes et des noix de cocos ; or, la malnutrition explique en partie les taux élevés de mortalité qui sont constatés en Papouasie. « Cette surmortalité est le reflet de l’échec du gouvernement [à développer cette partie du pays] », explique le prêtre.
L’accélération des plans gouvernementaux visant à faire décoller l’économie en Papouasie inquiète d’ailleurs plus qu’elle ne rassure. Ainsi, à l’annonce de la mobilisation d’un millier de soldats pendant les deux prochaines années pour construire 1 500 kilomètres de route, l’ONG Survival International, qui s’attache à défendre les droits des peuples autochtones, écrit : « Le gouvernement prétend que l’agitation qui règne dans la région résulte du manque de développement tandis que pour les Papous cette agitation est plutôt due aux violations de leurs droits politiques et humains. » Et l’ONG de citer un pasteur protestant – les chrétiens sont majoritaires chez les Papous –, le Rév. Socratez Yomana : « Les Papous n’ont pas besoin de grandes routes, mais d’une vie meilleure, sur leurs propres terres, sans intimidation, terreur, violations de leurs droits et assassinats. »
Un autre leader papou, Markus Haluk, met quant à lui en garde sur le fait que les routes ne feront qu’accélérer le déboisement illégal des forêts qui sera en grande partie effectué par les militaires. Dans les milieux papous, on met ainsi en avant le fait que le développement économique prôné par Djakarta n’apporte rien aux populations locales. Les redevances payées par l’anglo-américain Freeport pour l’exploitation de l’immense mine d’or et de cuivre de Grasberg, située dans le district de Timika, tombent pour l’essentiel dans le budget national et marginalement dans le budget provincial. Aux atteintes à l’environnement qu’entraînent l’exploitation de la mine dans des conditions qui ne seraient pas permises aux Etats-Unis s’ajoutent les atteintes aux droits des personnes et des peuples. Les Papous soulignent ainsi que le taux de prévalence du virus du sida atteint des sommets dans les zones qui ont « bénéficié » du développement économique, comme par exemple dans le voisinage de la mine de Grasberg, et, qu’à grand renfort d’alcool et de prostituées infectées du sida, les militaires visent à faire disparaître les peuples papous.
Pour le P. Neles Tebay, prêtre catholique papou et militant de longue date d’un dialogue pacifié entre les Papous et le reste des Indonésiens, la méfiance qui sépare les uns des autres n’est pas près de disparaître. Aux yeux des Papous, les soldats et les policiers indonésiens sont ni plus ni moins que des colonisateurs et des envahisseurs qui ont fait main basse sur leurs terres à la faveur du référendum tronqué de 1969. Quant aux représentants de Djakarta sur place, derrière chaque Papou se cache un indépendantiste et les assassinats, y compris de civils innocents, font partie du combat contre les ennemis de l’Etat. Le réseau qu’anime le P. Tebay, le Jaringan Damai Papua (Réseau pour la paix en Papouasie) travaille néanmoins à faire se rencontrer les séparatistes papous et le gouvernement. Récemment, il a proposé que des représentants des forces de sécurité, du gouvernement local, du gouvernement central rencontrent des délégués de l’Organisation pour la Papouasie libre (OPM) et des Soldats pour la Papouasie libre. « La décision est désormais entre les mains du président [Susilo Bambang] Yudhoyono. Tout ce qu’il a faire, c’est de réunir une équipe de personnalités respectées aussi bien au plan national qu’international », expliquait fin mars le P. Tebay.