Eglises d'Asie

Noël auprès des étrangers au centre de détention de Ushiku

Publié le 13/01/2016




En 2015, la population du Japon s’est réduite de 350 000 personnes et le solde migratoire a été nul. Depuis des années, le Japon connaît une dénatalité profonde, sans pour autant que le pays n’ouvre ses portes à l’immigration. L’accueil des réfugiés politiques est tout aussi étroitement …

… verrouillé : onze réfugiés syriens seulement ont été admis au Japon l’an dernier, ils étaient tous japonophones.

Pour autant, les immigrants, c’est-à-dire les étrangers présents sur le territoire japonais pour un séjour dépassant les trois mois autorisés sans visa pour le « tourisme », forment une population représentant environ 1,5 % d’une population totale de près de 127 millions de Japonais. Parmi eux, certains sont arrêtés parce que leurs papiers ne sont plus en règle ou parce qu’ils sont soupçonnés de vouloir s’installer dans le pays ; ils sont alors placés dans des centres de rétention administrative, appelés « Centre de détention de l’immigration », avant d’être éventuellement expulsés de l’archipel.

Dans le témoignage ci-dessous, on lira le compte-rendu d’une messe de Noël exceptionnellement célébrée dans un de ces centres, le centre de Ushiku. Son auteur est le P. Rémi Aude *.

Noël au centre de détention de Ushiku

Cette année à Noël, pour la première fois, la messe a pu être célébrée dans le centre de rétention de Ushiku. Trois choses ont permis ce « miracle » : le premier, c’est la détermination de quelques détenus sud-américains qui ont eu la persévérance de discuter avec les autorités du centre ; le second élément, c’est la compréhension de plusieurs jeunes employés du centre qui ont plaidé la cause des détenus auprès de leurs supérieurs ; enfin, il y a eu l’accueil bienveillant de cette demande inédite par les autorités du centre.

A cause de leur crainte qu’il y ait des troubles, la messe a dû être célébrée trois fois, pour que seuls des petits groupes soient réunis autour du prêtre à chaque fois. En tout, 49 personnes s’étaient inscrites.

Actuellement, les détenus sont de quatre sortes :

– Les Sud-Américains, des jeunes qui ont fait toute leur scolarité au Japon. Ils sont venus avec leurs parents du Brésil ou du Pérou. Ce sont des descendants de Japonais. Mais souvent ils ont eu des difficultés d’intégration et sont entrés dans la délinquance et la drogue. Ceux qui sont à Ushiku ont pour la plupart fait de la prison et, à leur sortie, ils perdent leur droit de résidence au Japon. Mais comme toute leur famille est au Japon, ils ne souhaitent pas repartir au pays.

– Actuellement, il y a aussi de nombreux jeunes du Sri Lanka, en particulier ceux qui, bien qu’ils soient arrivés au Japon avec un visa leur permettant un séjour de quinze jours comme touristes, ont été arrêtés à leur descente de l’avion parce qu’ils sont soupçonnés de vouloir rester au Japon. On leur demande s’ils ont de l’argent et si la somme qu’ils déclarent est trop faible, ils sont arrêtés. Cela parce que le Japon a besoin de touristes qui dépensent beaucoup d’argent. Un pauvre n’est pas intéressant.

– Il y a encore des gens qui sont depuis longtemps au Japon, mais dans l’illégalité. Or, on fait souvent des contrôles dans les gares, ou bien sur dénonciation des voisins. Certains ont été mariés et ont eu des enfants avec une Japonaise, mais s’ils divorcent, la partie non japonaise perd son titre de séjour. Ils veulent rester au Japon parce qu’ils y ont fait leur vie, et ne veulent pas se séparer de leurs enfants.

– Une autre catégorie est apparue récemment. Ce sont des « stagiaires ». Le Japon et le Vietnam ont passé un accord pour faire venir ces « stagiaires ». Le nom indique qu’ils devraient acquérir une formation pour revenir ensuite dans leur pays, mais en réalité ils sont employés à faire des travaux simples et pénibles que les Japonais ne veulent plus faire. Pour venir au Japon, ils doivent payer des sommes importantes qu’ils s’engagent à rembourser. Ils s’imaginent qu’ils vont revenir riches. Mais en fait, ce qu’ils gagnent se limite à des salaires de misère. A la fin de leur « stage », ils restent au Japon pour essayer de rassembler l’argent nécessaire pour rembourser leur dette, mais ils se font arrêter et arrivent à Ushiku.

C’est dans ce contexte qu’a été célébrée la messe de Noël, messe entièrement dite en japonais sans qu’aucun Japonais n’y assiste, à l’exception de quatre gardes qui veillaient à ce qu’il n’y ait pas de troubles. Un Nigérian a fait la première lecture en anglais et un Péruvien la deuxième lecture en espagnol.

Quand on a le cœur étreint par l’angoisse, on a du mal à chanter et la voix sort sur une note basse, mais quelques refrains de Taizé ont permis de donner un air de fête à cette célébration. La religieuse espagnole qui dirige notre groupe a expliqué le sens de Noël. Une religieuse vietnamienne et un laïc japonais étaient aussi présents. Au moment de la salutation de paix, nous avons serré la main des détenus (ce qui n’était pas sans doute pas autorisé par le règlement).

Pour la communion, seule une moitié des participants environ a communié, car beaucoup ne sont pas chrétiens. Ceux-là (des Népalais, un Birman, des Sri-lankais, des Iraniens) sont venus recevoir une bénédiction.

Il y avait une intensité dans cette assemblée vraiment extraordinaire.

Oui, le Seigneur fait des merveilles.

Père Rémi Aude

(eda/ra)