Eglises d'Asie

Paupérisation des temples, crise du bouddhisme au Japon ?

Publié le 19/01/2016




En suivant des routes de campagne, il n’est pas rare de tomber sur un petit temple à l’abandon. Une des richesses culturelles du Japon est en train de disparaître : ses temples bouddhiques et ses sanctuaires shintoïstes (animisme antérieur à l’arrivée du bouddhisme au VIe siècle). Non pas les plus …

… célèbres, ceux qui attirent des foules de touristes à Kyoto, à Nara ou à Tokyo, mais les petits lovés au creux d’une vallée ou cachés sous les frondaisons à l’orée d’une forêt, rapporte le journaliste Philippe Pons dans un article du Monde daté du 7 janvier 2016 que nous reproduisons ici.

« Dans vingt-cinq ans, un tiers des 77 000 lieux de culte que compte aujourd’hui le Japon aura disparu », avance Hidenori Ukai, prêtre bouddhiste du temple Shogakuji à Kyoto, mais aussi journaliste à l’hebdomadaire Nikkei Business et récent auteur du livre La Disparition des temples : la mort des campagnes et de la religion (non traduit).

Le phénomène n’est pas nouveau : en 1970, on dénombrait 96 000 temples ; depuis, 20 000 ont fermé. Mais il s’accélère. Le dépeuplement des campagnes en est une cause : selon un rapport de l’institut de recherche Japan Policy Council, en 2040, la moitié des petites municipalités auront disparu en raison de l’exode vers les villes. « Sans suffisamment de paroissiens pour contribuer à leur entretien (1), les temples peinent à survivre, poursuit Hidenori Ukai. Dans mon temple, nous avons le soutien de 120 familles, mais il en faudrait 200. C’est pourquoi j’ai un second travail. Et mon temple est à Kyoto. Vous imaginez la situation en campagne. »

L’appauvrissement des temples tient aussi à une évolution du « marché » des funérailles. Traditionnellement, les rites funéraires destinés à assurer le salut du disparu dans l’au-delà leur assuraient un revenu régulier. Mais ce quasi-monopole leur a échappé. Les funérailles coûtent très cher, l’équivalent de 17 000 à 25 000 euros, et les rites bouddhiques et l’attribution par un prêtre du « nom posthume », qui doit faciliter le passage du défunt dans l’au-delà, reviennent à un tiers de cette somme.

Au début des années 1980, le cinéaste Juzo Itami avait brocardé dans un film satirique (Funérailles) ces rituels onéreux. Beaucoup de familles optent désormais pour des funérailles séculaires et préfèrent disperser les cendres de leurs proches (l’incinération est obligatoire) dans la mer ou dans la nature, privant les temples d’un autre revenu : l’entretien des tombes.

La disparition des petits temples ne tient pas seulement à la dépopulation des campagnes et au recul du « bouddhisme des funérailles », mais à une crise de la religion dans l’Archipel. L’urbanisation a entamé le lien traditionnel entre les familles et le temple, et a accentué une désaffection pour les religions instituées, nourrie de la méfiance l’égard des puissantes sectes (au sens d’écoles ou branches du bouddhisme japonais) Tendai, Shingon, Jodo, Rinzai et Soto et de l’image, ancrée dans les mentalités populaires, du moine fêtard. Les grandes sectes sont riches, mais leurs hiérarchies, prises dans des rivalités de pouvoir, semblent indifférentes aux problèmes de survie des petits temples dans leur mouvance.

Le phénomène religieux au Japon est paradoxal. Bien que le bouddhisme ait profondément influencé la culture japonaise (art, architecture, littérature), il ne constitue pas un élément essentiel de l’identité nationale. L’Archipel est un pays sécularisé : seulement 22 % des Japonais déclarent être pratiquants d’une religion sans pour autant que la majorité adhère à une vision matérialiste du monde.

Selon l’Annuaire des religions du ministère de l’éducation, de la science et de la culture, 100 millions de Japonais se disent bouddhistes et 95 millions shintoïstes. Additionnés, ces nombres dépassent celui de la population entière (127 millions) ! Le recul de l’appartenance à une religion instituée ne signifie donc pas le rejet de croyances, les Japonais opérant un syncrétisme individuel sans exclusive entre leurs deux grandes religions.

La désaffection pour les religions instituées se traduit par un recul des vocations : le plus souvent, les successions s’opèrent de père en fils, mais beaucoup de jeunes se dérobent à ce devoir. Un temple à Yokohama a pallié ce manque d’officiants avec trois « moines robots » qui chantent les sutras…

Des prêtres essayent surtout de s’adapter à l’évolution de la société : ouverture de cafés, voire de bars (sur les brisées d’un père des Missions Etrangères de Paris qui, dans les années 1970, en tenait un dans le quartier chaud de Shinjuku à Tokyo (2)), afin de donner une image plus conviviale du bouddhisme que celle de la « religion des funérailles ». D’autres constituent des réseaux d’entraide sociale, comme ce fut le cas après le séisme et le tsunami de mars 2011. Un phénomène nouveau dans le cas du bouddhisme japonais.

Autant d’initiatives visant à renouer le lien communautaire entre le temple et son environnement.

(eda/ra/Le Monde/Philippe Pons)