Eglises d'Asie

Nouvelle affaire de violence à l’encontre d’une minorité religieuse

Publié le 28/01/2016




Le 19 janvier dernier, à Moton Panjang, un village du district de Mempawah, dans la province de Kalimantan-Ouest, une foule en colère a incendié neuf maisons appartenant à des membres du Fajar Nusantara, mouvement issu de l’islam et plus connu sous l’appellation Gafatar. Juste avant, les …

… villageois avaient publié un ultimatum demandant aux fidèles de cette « secte déviante », soupçonnée de radicalisation, de quitter le district.

Par peur d’éventuelles représailles, 700 membres de ce mouvement religieux ont été évacués par la police et les militaires, à Pontianak, capitale de la province, où ils ont été relogés temporairement sur une base militaire. Bien qu’il n’y ait, jusqu’à présent, aucun lien établi entre ce mouvement perçu comme une secte islamiste, et les actes de terrorisme perpétrés le 14 janvier dernier à Djakarta et revendiqués par Daech (1), bon nombre d’Indonésiens les suspectent de radicalisation, voir même de terrorisme.

« Nous dénonçons des actes aussi violents. Ces villageois ont voulu se faire justice eux-mêmes », a déploré à l’agence Ucanews, le 21 janvier, le P. Paulus Christian Siswantoko, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, en commentant les violences faites aux membres du Gafatar. Pour lui, il revient aux responsables religieux locaux « d’éduquer les fidèles à respecter les personnes qui ne partagent pas les mêmes croyances qu’eux. Pas besoin d’agir avec violence en les attaquant. S’il y a un problème, on peut le résoudre de manière pacifique », a-t-il ajouté.

Selon le Jakarta Post, quelques jours avant les attaques de Moton Panjang, Lukman Hakim Saifuddin, ministre indonésien des Affaires Religieuses, avait déclaré que le Gafatar était une « organisation clandestine déviante » et que ce mouvement avait les capacités de promouvoir le radicalisme.

Un membre de la Commission d’études et de recherches du Conseil indonésien des oulémas (Indonesian Council of Ulema – MUI), Ridha Salamah, avait également déclaré, la veille des violences, que le MUI était en train de mener une enquête, en vue d’émettre une fatwa courant février, car ce mouvement était suspecté d’hérésie, « d’enseignements déviants » et de la « disparition de plusieurs de ses membres ».

Selon lui, un membre du Gafatar aurait annoncé qu’Ahmad Musadeq, ancien membre de l’Etat islamique indonésien (NII) et fondateur d’al-Qidayah al-Islamiyah, une branche islamiste déclarée organisation hérétique par le MUI, serait impliqué dans le mouvement (2).

Ces annonces ont-elles influencé les villageois qui ont commis les violences contre les membres du Gafatar ? A l’heure actuelle, il est très difficile d’établir un lien de cause à effet. Toujours est-il que la pression exercée sur la société indonésienne en vue de son islamisation, particulièrement à l’encontre des minorités religieuses, s’accentue et semble, cette fois-ci, avoir franchi un pas supplémentaire dans l’escalade de la violence.

Au lendemain des attaques, Din Syamsuddin, président du Comité consultatif du MUI, avait toutefois appelé les Indonésiens au calme et à « ne pas faire acte de violence », suggérant plutôt que les pensionnats islamiques accueillent les enfants du mouvement, afin que ces derniers puissent intégrer une communauté musulmane plus ouverte et plus importante.

« Qu’avons-nous fait de mal ? Pourquoi sont-ils aussi violents avec nous ? Nous faisions effectivement partie du Gafatar, mais ce mouvement a été dissout il y a plusieurs mois. Nous n’étions même pas considérés comme une organisation religieuse », a confié, le 26 janvier, à Fairfax Media, Supriyadi, un père de famille membre du mouvement, qui a subi les violences de Moton Panjang.

« La foule nous a dit de partir immédiatement, et c’est ce que nous avons fait ; nous sommes partis les mains vides, juste avec ce que nous avions sur le dos », a- t-il ajouté, expliquant qu’ils étaient arrivés dans la région il y a deux mois pour développer un projet agricole. « Nous faisions pousser des haricots verts et du liseron d’eau, nous n’avons jamais coupé les relations avec nos familles. Elles savaient que nous habitions ici. Nous pratiquons le Coran comme les autres musulmans, nous faisons notre prière cinq fois par jour, et nous venions tout juste de terminer l’aménagement de notre salle de prière commune », a-t-il confié à l’agence australienne Fairfax Media.

« Nous n’embêtons personne, et sommes encore moins impliqués dans des activités terroristes. Nous sommes venus nous installer dans la province de Kalimantan-Ouest pour mener un projet agricole », a confirmé, Wisnu Windani, porte-parole du Gafatar.

Les 700 personnes évacuées retourneront chez elles, escortées par des militaires, en empruntant les navires de la marine indonésienne. Selon le Jakarta Post du 23 janvier, les membres du Gafatar suivront un programme de trois jours de « dé-radicalisation », mis en place par le gouvernement indonésien. Le 25 janvier, les premières familles ont débarqué dans leur région d’origine, pour suivre ce programme, avant de pouvoir réintégrer leur village.

« Nous les convaincrons qu’ils peuvent mener une vie normale. Bien sûr, ce ne sera pas facile, du fait de leur modes de pensées erronées, mais nous devons corriger cela », a déclaré Agus Sartono, secrétaire général du ministère de la Culture et du Développement humain, ajoutant que le gouvernement s’assurera également que, de retour chez eux, les membres du Gafatar seront acceptés par les populations locales, malgré les soupçons d’hérésie pesant sur eux.

Autre cas d’intimidation envers une minorité considérée comme hérétique, rapportée par l’agence Ucanews. Début janvier, sur les îles de Bangka-Belitung, dans le district de Bangka, la communauté des Ahmadi – branche issue de l’islam mais tenue pour hérétique par l’islam sunnite – du village de Srimenanti a reçu un ultimatum de la part des autorités locales : « Soit vous vous convertissez à l’islam sunnite, soit vous êtes expulsés du district. »

Selon Andreas Horsono, chercheur pour Human Rights Watch en Indonésie, cela fait des années que les Ahmadi souffrent d’intimidations et de menaces et, malheureusement, ils sont très peu protégés par les représentants de l’Etat indonésien.

(eda/nfb)