Eglises d'Asie

En Inde, les chrétiens pèsent plus que leur strict poids numérique

Publié le 05/02/2016




L’Inde compte un peu moins de 30 millions de chrétiens, toutes confessions confondues. Soit 2,3 % de la population de cet immense pays. Le fait minoritaire est bien connu. Mais sait-on que 8 642 prêtres et religieuses catholiques indiens œuvrent comme missionnaires hors de l’Inde, dans quelque 166 pays ? …

… ce qui fait de l’Eglise indienne celle qui « donne » le plus de missionnaires étrangers.

L’aperçu que vous trouverez ci-dessous a été rédigé par le P. Lucien Legrand, missionnaire français présent en Inde depuis près de soixante ans *. Membre de la Société des Missions Etrangères de Paris (MEP), le P. Legrand est professeur émérite de la Faculté de théologie du Séminaire pontifical Saint-Pierre à Bangalore (Karnataka).

Selon le dernier recensement de l’Union indienne, la population totale de l’Inde en 2011 s’élevait à 1 milliard 210 millions d’individus. Comme le recensement en Inde prend note de l’appartenance religieuse, il nous fournit des résultats précis sur la répartition des différentes religions au sein de la population.

Entre 2001 et 2011, la croissance globale de la population totale a été de +17,7 %. On enregistre des proportions différentes selon les religions : plus fortes chez les musulmans (+24,6 %), sensiblement égale à la moyenne chez les hindous (+16,8 %), légèrement inférieure à la moyenne pour les chrétiens (+15,5 %), très inférieure à la moyenne chez les Sikhs (+8,4 %) et surtout pour les bouddhistes (+6,1 %) et les jaïns (+5,4 %).

On peut comparer ces données avec celles fournies en interne, pour 2000, par l’Indian Christian Directory. Il est plus précis en ce qu’il distingue les différentes confessions et aboutit à des données légèrement différentes, soit pour l’an 2000 :

Catholiques : 15 549 218, soit :
Latins : 11 710 613
Syro-malabares : 3 494 223
Syro-malankares : 344 382

Orientaux non catholiques : 4 692 393, soit :
Jacobites : 1 285 000
Orthodoxes : 2 507 393
Mar Thomites : 900 000

Protestants : 5 522 214, soit :
Church of South India : 3 118 574
Church of North India : 994 400
Méthodistes : 656 499
Armée du Salut : 292 515
Autres communautés chrétiennes : 460 426

Ce qui ferait un total de 25 763 825. En y ajoutant la croissance de 15,5 % donnée par le recensement officiel, on arrive donc à un total de chrétiens de 29 700 000, total un peu supérieur au nombre officiel. Sans doute, les statistiques fournies par les diocèses n’ont pas la rigueur scientifique des statistiques officielles. Mais, d’autre part, on peut aussi supposer qu’un certain nombre de chrétiens ne se sont pas déclarés comme tels aux enquêteurs du recensement pour garder les privilèges accordés aux basses castes hindoues et refusées aux chrétiens. Il faudrait aussi prendre en compte les chrétiens des petites communautés évangéliques qui ne sont pas structurées et donc difficiles à dénombrer. La fourchette irait donc de 28 à 30 millions, ce qui n’affecte guère le pourcentage par rapport à la population globale, pourcentage relativement très réduit.

Les mêmes statistiques font ressortir que ce sont parmi les chrétiens qu’il y a le plus de femmes au travail (31 %), bien au-dessus de la moyenne générale de l’Inde qui est de 26 % (27 % d’hindoues et seulement 15 % de musulmanes). Professionnellement, 41 % des chrétiens vivent de la terre, exactement dans la même proportion que les musulmans et moins que les hindous (57 %). Par contre, ils sont davantage investis dans l’industrie et les services (56 %) que les musulmans (52 %) et surtout que les hindous (40 %). Cela correspond à un niveau d’éducation et de spécialisation plus élevé que la moyenne chez les chrétiens.

Les statistiques concernant l’alphabétisation donnent une moyenne d’ensemble de 64,8 % pour toute l’Inde (hommes : 75,3 % ; femmes : 53,7 %), à peu près égale chez les hindous (65,1 % : H 76,2 % ; F 53,2 %), largement dépassée par les chrétiens avec 80,3 % (H 84,4 % ; F 76,2 %) et très inférieure pour les musulmans (59,1 % : H 67,6 % ; F 50,1 %). Dans le même ordre d’idées, on notera que la proportion de femmes par rapport aux hommes est de 93,3 % pour l’ensemble du pays mais qu’elle est de 100,9 % chez les chrétiens (hindous : 93,1 % ; musulmans : 93,6 % ; et seulement 89,3 % chez les sikhs).

2.) Une implantation très inégale

Ces statistiques globales recouvrent en fait une grande variété de situations différentes déterminées par la géographie et l’histoire de l’implantation chrétienne en Inde.

La population chrétienne en Inde est très inégalement répartie. En gros, on a un dégradé du Sud au Nord, avec des poches dans les populations dites « tribales » au Nord-Est et au centre de l’Inde. Si on traçait une ligne de Goa à Vizagapattinam, on aurait pour la partie sud de l’Inde péninsulaire près de la moitié des chrétiens, soit 22 % au Kerala, 16 % en pays tamoul et 8 % en Andhra-Telangana. Les petits Etats « tribaux » (scheduled tribes) du Nord-Est qui jouxtent le Bengladesh, le Myanmar (Birmanie) et la Chine (Meghalaya, Mizoram , Nagaland, Manipur, Tripura, Arunachal Pradesh) comptent pour 30 %, ce qui laisse 24 % pour tout le reste du pays dont le plus gros se trouve à Bombay et dans la longue zone aborigène qui ceinture le centre de l’Inde, depuis l’Orissa jusqu’au Gujarat avec son centre au Jharkand.

La conséquence est que si, dans l’Inde péninsulaire, le christianisme fait bien partie du paysage, il est pratiquement absent dans l’immense plaine indo-gangétique.

3.) Une évangélisation en quatre étapes

Cette situation complexe est le résultat d’une longue histoire qui peut se résumer en quatre périodes.

1. Antiquité chrétienne : avant l’arrivée des Portugais

Les chrétiens du Kerala se réclament de l’apôtre saint Thomas qui aurait débarqué vers 52 à Cranganore, d’où il aurait suivi la côte ouest vers le sud en prêchant l’Evangile, pour remonter ensuite sur la côte est jusqu’à Madras où il aurait été martyrisé. Quoi qu’il en soit de cette tradition, le témoignage d’auteurs anciens (Pantène d’Alexandrie, Théophile « l’Indien ») montre l’existence d’une communauté chrétienne en Inde au IIIe siècle.

En 1289, le franciscain Jean de Montecorvin est envoyé par le pape Grégoire X auprès du Grand Khan pour être le premier évêque de Pékin. En route, il s’arrête en Inde où il passe treize mois (1291-1292) et dit avoir baptisé environ cent personnes.

En 1320, c’est au tour des dominicains de prendre le relais avec frère Jordan, originaire de Séverac (Aveyron), qui arrive à Thana, où il trouve une petite communauté chrétienne, ainsi qu’à Broach. Il est nommé évêque de Quilon par le pape d’Avignon Jean XXII et il sera donc le premier évêque latin du premier diocèse de l’Inde.

Le fait que ces pionniers trouvaient déjà sur place des chrétiens en dehors du Kerala montre qu’il faut tenir compte d’une lente implantation progressive d’une diaspora venue de Perse, de Babylonie, d’Arménie pour des raisons commerciales ou autres. Nicolas Conti, marchand de Venise, rapporte en 1438 que « des milieux de chrétiens nestoriens sont dispersés dans toute l’Inde, comme les Juifs chez nous » (Mundadan, 143).

2. Implantation portugaise

Vasco da Gama arrive à Calicut le 21 mai 1498. Avec Cabral, Albuquerque et autres conquistadors, l’influence portugaise atteint Goa (1510), Daman, Diu et s’étend vers le sud, vers la Côte des Pêcheries (autour du cap Comorin), sollicitée d’ailleurs par la population locale pour faire pièce à l’emprise musulmane qui rançonnait le pays. De là, elle remonte sur le Pays Tamoul pour atteindre Mylapore (Madras). Saint François Xavier est le témoin éminent de cette période (1542-1551) comme le sont aussi les jésuites De Nobili (en Inde 1606-1656), Beschi (Veeramamunivar en Inde 1712-1747), saint Jean de Britto (martyrisé en 1693) et bien d’autres, dont le père Cinnami, pionnier de la mission au Mysore au milieu du XVIIe siècle.
Au nord de l’Inde, les pères Aquaviva, Monsecrate et Henriques étaient arrivés à la cour de l’empereur Akbar, à Agra, le 28 février 1580, à l’invitation de l’empereur lui-même. Ils avaient été précédés dans l’empire Moghol par une diaspora chrétienne de Grecs, Syriens et surtout Arméniens.

3. Epoque coloniale

Le XVIIIe siècle voit l’emprise progressive des puissances européennes, non seulement l’Angleterre et la France (guerres du Carnatique entre Dupleix et Clive) mais aussi la Hollande et le Danemark. C’est un lieu commun que de dire que la mission chrétienne est arrivée dans les fourgons de la colonisation. Cette affirmation demanderait beaucoup de nuances. D’abord, le christianisme en Inde est, comme on l’a vu, antérieur à la colonisation. De plus, même à l’époque où le colonialisme s’établissait à partir des côtes Est et Ouest, les efforts missionnaires à l’intérieur du Pays Tamoul, du Karnataka et de l’Andhra se déroulaient loin de toute ombrelle politique extérieure, sans aucune protection coloniale. Tels furent, par exemple, les ministères des pères De Nobili et Beschi en Pays Tamoul, du père Cinnami au Karnataka, des jésuites dans l’empire moghol. Ils n’avaient aucun appui politique. Jean de Britto périt sous le glaive d’un roitelet Marava.

Il y eut certainement des cas de connivence. A Pondichéry, par exemple, l’épouse de Dupleix, Jeanne Albert de Castro, une métisse franco-goanaise dite « La Begum Jeanne », était très dévote. Elle fit de larges cadeaux aux jésuites et couvrit de son influence des attaques contre les lieux de culte hindous. Mais c’était loin d’être toujours le cas. Quand le missionnaire allemand luthérien Ziegenbalg – celui qui devait bientôt donner la première traduction de la Bible en tamoul – arriva à Tranquebar en 1706, les autorités danoises refusèrent de le recevoir et il passa sa première journée en plein air, sous le soleil brûlant, sur le sable de la plage. Les colons étaient avant tout des commerçants et ils ne voulaient pas recevoir des gens qui pourraient indisposer les clients. De même quand le premier évêque de Coimbatore, Mgr de Marion Brésillac, voulut entrer dans sa ville épiscopale en 1846, le Collector (préfet) anglais lui en interdit l’entrée. Il voyait sans doute d’un mauvais œil la concurrence d’un « papiste », français qui plus est.

4. De l’indépendance à aujourd’hui

Le 15 août 1947, l’Inde accède à l’indépendance. Cela amène un changement d’atmosphère. La Constitution indienne est laïque (secular). Elle assure la laïcité et la liberté de religion, y compris la liberté de propagande. Cependant, de nombreux Etats imposent progressivement des lois anti-conversion – à sens unique, d’ailleurs, puisque les reconversions à l’hindouisme ne sont pas des « conversions » mais des ghar-vapsi, soit « retour au foyer » ou « retour à la maison »

L’indépendance rend également à l’Inde sa fierté et met fin à une sorte de complexe d’infériorité culturelle qui pouvait accompagner la sujétion politique. Ce mouvement avait d’ailleurs été préparé par le renouveau de l’hindouisme dès le début du XXe siècle, avec des penseurs comme Vivekananda et Aurobindo. Mais, depuis quelque temps, le complexe d’infériorité se change en son image inverse de complexe de supériorité et de domination. Ce complexe se manifeste dans l’idéologie de l’Hindutva et dans un activisme qui prend pour cible d’abord les musulmans et, depuis quelque temps, se tourne aussi contre les chrétiens.

Un résultat positif de l’indépendance est qu’elle hâta l’indianisation de l’Eglise de l’Inde. Très rapidement, la totalité des évêchés indiens et la direction des institutions religieuses furent confiés à des Indiens.

4.) Pas d’unité sociologique

De cette histoire longue et complexe est sortie une communauté chrétienne assez disparate. On peut distinguer cinq éléments principaux :

1. Les chrétiens du Kerala de rite oriental. Ils sont en général d’un niveau socio-économique assez élevé, ont un bon niveau d’éducation tout en gardant une structure familiale et sociale solide. Dynamiques, ils s’expatrient beaucoup et occupent à l’étranger des emplois de haut niveau technique.

2. Les chrétiens de la côte ouest allant de Mangalore à Bombay, sont de même niveau socio-économique. Mais ils sont davantage occidentalisés comme le montrent leurs noms portugais comme De Souza, De Costa, Fernandez, Pais, etc. Leurs centres principaux sont Mangalore, Goa et Bombay. Leur langue est le konkani. On les retrouve un peu partout en Inde, souvent dans de bonnes positions industrielles, commerciales ou administratives, voire politiques.

3. Les chrétiens de caste du Pays Tamoul, Karnataka et Andhra/Telangana. De castes plus ou moins élevées, ce sont originairement des cultivateurs possédant et cultivant de petites, moyennes, voire importantes propriétés. Ils sont maintenant en partie urbanisés, occupant des emplois à tous les niveaux de l’échelle socio-économique. On peut y ajouter les chrétiens de rite latin du Kerala et leurs cousins des pêcheries de la côte est du Pays Tamoul.

4. Les chrétiens dalits (hors caste) des mêmes régions. Ils sont nombreux, longtemps opprimés et, encore maintenant, défavorisés. A la suite d’Ambedkar, pour sortir d’un lourd passé d’oppression et d’humiliation, ils s’organisent et luttent avec plus ou moins de succès pour leur émancipation sociale. Quel pourcentage représentent-ils parmi les chrétiens ? Je crains qu’il n’y ait pas de statistiques fiables à l’échelon national. La littérature engagée avance parfois des proportions de 70 % voire 80 % de la population chrétienne totale de l’Inde. Toute littérature de combat a tendance à l’exagération. La proportion avancée paraît très exagérée, au vu du nombre de chrétiens de la côte ouest et du nombre de chrétiens « de caste » qui n’est pas négligeable.

5. Ces statistiques exagérées intègrent aussi probablement les aborigènes du Centre et de l’Est. A tort, semble-t-il, car ceux-ci n’appartiennent pas aux « scheduled castes » mais aux « scheduled tribes ». Ils ont une autre origine et rencontrent d’autres problèmes que les dalits. Le mot « tribe » (tribu) est curieux pour désigner des groupes humains de population plus importante que bien des pays d’Europe. Par ailleurs, le mot « tribu » a des connotations d’arriéré et de « primitif » qui, pour l’Inde, ne correspondent pas à la réalité.

Ces « tribals » appartiennent à deux groupes différents : les Adivasi (« habitants originels, aborigènes ») du centre de l’Inde (Oraons, Munda, Santals, Ho, etc.) et les ethnies de type tibéto-birman du Nord-Est (Lepcha, Mizo, Khasi, Naga, Michmi, etc.).

Etant donné l’émiettement de leurs langues, ils dépendent de langues dominantes comme langue de communication : l’hindi pour le premier groupe, et l’anglais pour le second. Pour le second groupe particulièrement, leur familiarité avec l’anglais leur a permis d’atteindre un niveau de développement supérieur à la moyenne de l’Inde. Dans l’une et l’autre zone, le christianisme est fortement implanté. L’archevêque de Ranchi est le cardinal Toppo, originaire lui-même de la région.

Il ressort de cette variété ethnique, sociale et économique que l’on ne peut faire de jugements généraux sur « les chrétiens de l’Inde ». Tout jugement simplificateur qui généraliserait leur condition peut d’emblée être considéré comme faux.

5.) Un poids social important

Numériquement, et surtout dans l’Inde du Nord, la présence chrétienne est faible. Ce qui fait que les chrétiens n’ont pas de poids politique. Sauf au Kerala et dans les Etats du Nord-Est, leur poids électoral ne compte pas. Il ne peut donc y avoir de grandes figures politiques issues du milieu chrétien. Des exceptions sont M. A.K. Anthony, du Kerala, qui fut ministre de la Défense sous le régime du Congrès, et Georges Fernandes, ancien séminariste à Saint-Peter’s, grand meneur syndical, opposant à Indira Gandhi au moment de l’Emergency et ministre des Chemins de Fer sous le régime du BJP (parti de droite anti-Congrès) de Vajpayee.

Par contre, la présence chrétienne est très forte et hors de proportion avec ses effectifs dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’engagement social. Toutes les villes de quelque importance ont des collèges universitaires renommés. Visitant Bangalore il y a quelques semaines, Rahul Gandhi a choisi le Mount Carmel College pour rencontrer le milieu étudiant… avec un résultat mitigé d’ailleurs.

Même dans les villages et les villes de moindre importance, une présence chrétienne est assurée par les nombreuses institutions, écoles, dispensaires, hôpitaux et autres œuvres sociales. Citons comme cas typique le diocèse de Satna (Madhya Pradesh). Numériquement, c’est un des plus petits diocèses de l’Inde avec 2 640 catholiques (en 2008) dispersés au milieu d’une population de plus de 11 millions d’habitants et ne formant donc que 0,03 % de la population totale. Mais avec l’aide de 60 prêtres et 127 religieuses, le diocèse gère 54 établissements scolaires et neuf hôpitaux et dispensaires. C’est significatif pour toute l’Inde.

6.) Des défis à relever

1. Participer à la construction du pays

Les chrétiens de l’Inde partagent le grand défi, le rêve, de tous leurs concitoyens : celui d’une Inde paisible, prospère et rayonnante, fidèle à sa tradition ancienne et riche, et en même temps ouverte à la modernité. Dans cet effort global, les chrétiens peuvent apporter le côté spécifique de ce que l’on pourrait appeler une « culture chrétienne » : le sens du service, d’un humanisme intégral, du souci des petits et des pauvres. C’est ce que signifie la profusion d’institutions humanitaires et c’est ce que symbolisait Mère Teresa. Sa popularité montre qu’elle représentait quelque chose que l’Inde attend. Mais le défi des chrétiens en Inde est de se trouver à la hauteur de cette attente, d’être fidèles à cette mission.

Cet apport venant d’autres courants religieux, c’est aussi ce que rejette l’hindutva, image miroir, pour l’hindouisme, de ce que peut être l’islamisme en d’autres pays voisins. Ce totalitarisme religieux et politique s’attaque aux influences musulmanes et chrétiennes parce qu’il rejette toute altérité. Cette politisation de l’hindouisme ne met pas seulement en danger l’islam et le christianisme mais l’hindouisme lui-même qu’elle pervertit en en faisant une religion de violence. Dans l’hindutva, l’hindouisme risque de perdre son âme, son sens d’intériorité, sa noble tradition incarnée par le Mahatma Gandhi. Le dialogue des chrétiens avec l’hindouisme – très vivant au niveau de la vie quotidienne ou de la recherche théologique – ne peut qu’être bénéfique tant aux hindous qu’aux chrétiens.

2. Lutter contre la pauvreté

Un autre défi pour l’Inde, et donc pour les chrétiens, est la lutte contre la pauvreté. Le développement économique est lancé et progresse parfois cahin-caha. Comme partout dans le monde, ce développement doit être intégral et ne pas rester dans le matérialisme d’une économie inhumaine. La tradition hindoue a beaucoup de ressources pour donner une âme à ce développement. Le christianisme aussi. La dernière encyclique du pape François appelle au dialogue en vue d’une « plénitude humaine ». Mais, en matière de développement, chrétiens d’Inde, Indiens et toute l’humanité connaissent la tentation d’un matérialisme aux formes multiples.

3. Intégrer la diversité des cultures

Les chrétiens de l’Inde partagent également un autre défi de leurs concitoyens, celui d’intégrer la diversité des races, langues, castes, cultures et traditions. L’Inde est un continent qui reflète autant de variété que le continent européen. Les cultures tamoule, bengalie, pendjabie revendiquent autant d’antiquité, d’histoires diverses, de production artistique et littéraire que les cultures française, germanique et slave.

Comme tous les Indiens, les chrétiens de l’Inde sont guettés par les démons du particularisme et de l’antagonisme. Cela se manifeste de différentes façons selon les régions : conflits rituels entre latins et orientaux au Kerala, conflits de castes au Pays Tamoul et en Andhra, tensions linguistiques au Karnataka (et en particulier à Bangalore), problèmes ethniques entre Adivasis (aborigènes) et autres ethnies dans le Nord et dans l’Est. Il ne faut pas s’en étonner. La France connaît des tensions entre les Français dits « de souche » et les autres, la Belgique a ses problèmes linguistiques, sans parler des guerres qui, il y a peu, ont désolé les Balkans.
En somme, les chrétiens en Inde sont Indiens. De l’Inde, ils partagent les sujets de fierté, les ambitions, les luttes et les problèmes. C’est dans ce contexte qu’ils essaient d’être chrétiens.

P. Lucien Legrand, MEP

(eda/ra)

L’Eglise catholique d’Inde en chiffres

La population catholique de l’Inde se répartit en 166 diocèses, dont 130 de rite latin, 27 de rite syro-malabare et neuf de rite syro-malankare. En ajoutant huit évêques auxiliaires, deux évêques de curie (pour les rites syro-malabare et syro-malankare) et 1’évêque visiteur apostolique pour les chrétiens de rite syro-malabare dispersés dans le monde, on a donc un total de 177 évêques en exercice (sans compter les évêques indiens missionnaires en d’autres pays comme le Cambodge et Madagascar). Si l’on ajoute les 56 évêques à la retraite, on atteint un total de 233 évêques en Inde. Dans cet ordre d’idée, ajoutons que l’Inde compte cinq cardinaux : un cardinal à la Curie de Rome et quatre en Inde (deux cardinaux de rite latin et un pour chacun des deux rites orientaux).

Sur le terrain, selon les chiffres de 2008, ces diocèses encadrent un réseau de 10 715 paroisses ou postes missionnaires, servi par 15 420 prêtres diocésains et 7 031 religieux, soit un personnel ecclésiastique de 22 451 prêtres. Ce réseau dirige 14 431 établissements d’éducation à tous les niveaux, depuis le pré-primaire jusqu’au collège universitaire. Ajoutons 637 hôpitaux et 2 055 dispensaires.

Des diocèses déséquilibrés

La population chrétienne étant très inégalement répartie, les diocèses sont de tailles très différentes. Le diocèse le plus grand en effectif (et l’un des plus petits en surface) est celui de Goa avec 633 455 âmes. Il est suivi par le diocèse syro-malabare d’Ernakulam (571 334), puis par Bombay (524 458) et Kottar (546 059), également tout petit en surface à la pointe sud de l’Inde.

A l’opposé, le plus petit diocèse en nombre de chrétiens est le diocèse de Puttur : 2 595 chrétiens. Mais ce nombre ne donne pas une image correcte de la situation chrétienne locale car il rassemble les chrétiens de rite syro-malankare dans une zone du Karnataka où la présence de chrétiens de rite latin est beaucoup plus substantielle.

Plus significatif du vide chrétien dans l’Inde du Nord est le nombre de chrétiens des diocèses d’Ujjain (2 858), Satna (3 000), Sagar (3 445), Jhansi (3 988), Gwalior (4 171), Jaipur (4 657), Amravati (5 111), Gulbarga (5 954), diocèses qui couvrent de très larges territoires.

Vocation missionnaire

Pour ce qui est des religieux et religieuses, 125 congrégations d’hommes et 343 congrégations de femmes travaillent en Inde. En 2010, on comptait 18 970 prêtres religieux en plus des 14 500 prêtres diocésains.

Les religieuses étaient 94 025.

Ajoutons qu’une étude faite récemment aboutissait à un total de 8 642 prêtres et religieuses indiens travaillant dans 166 pays étrangers, dans des pays aussi divers que les Etats-Unis et l’Allemagne d’une part, le Cambodge, Madagascar, la Papouasie d’autre part. Les chrétiens de l’Inde seraient donc ceux qui, de tous les pays du monde, donnent le plus de missionnaires étrangers.

Bangalore, « la Rome de l’Est »

On surnomme Bangalore la « Rome de l’Est ». Sur la foi des chiffres publiés dans son annuaire 2015, le diocèse de Bangalore compte 515 000 catholiques sur une population totale de 17 165 595 habitants, dont près de 9 millions dans la ville-même de Bangalore. Ses 142 paroisses sont desservies par 129 prêtres diocésains et 96 religieux. Par ailleurs, le diocèse abrite 54 congrégations de prêtres religieux, 8 congrégations de frères, 136 congrégations de religieuses et 5 instituts séculiers. Outre St Peter’s Seminary qui forme le clergé diocésain, cinquante autres maisons de formation préparent les candidats des différentes congrégations religieuses. Le diocèse gère 121 établissements d’éducation à tous les niveaux depuis le pré-primaire jusqu’au collège universitaire ; à quoi il faut ajouter 243 institutions de même type dirigées par les différentes congrégations, ainsi que 41 écoles professionnelles de différents niveaux depuis l’atelier de couture jusqu’à l’école de médecine et les écoles d’ingénieurs. Neuf hôpitaux, 28 dispensaires et 6 centres de traitement de la lèpre et du SIDA complètent le tableau.

C’est impressionnant mais ce diocèse de Bangalore fait l’effet d’une très grosse tête sur un corps malingre puisque, à part la ville de Bangalore et le centre minier de Kolar Gold Field, les 27 123 km2 couverts par le diocèse ont une présence chrétienne très ténue.

 

Bibliographie

Catherine Clémentine-Ojha, Les chrétiens de l’Inde. Entre castes et Eglises, Paris : Albin Michel, 2008.

A.M. Mundadan (ed.), History of Christianity in India, 4 vol., Bangalore : Theological Publications in India, 1984-1990.

R.C. Perumal –E.Hambye (ed.), Christianity in India, Allepey : Prakasam Publications, 1972

L. Legrand, « L’Eglise catholique en Inde », Missions Etrangères de Paris, février 2014 (p. 18-22)

« Histoire du diocèse de Bangalore », Missions Etrangères de Paris, février 2014 (p. 23-29)

Indian Christian Directory, Kottayam : Rahstra Deepika, 2000.

The Catholic Directory of India, Bangalore : Claretian Publications, 2013.

Archdiocese of Bangalore: Directory, Bangalore : Archbishop’s House, 2015.

(eda/ra)