Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Déclaration pastorale des évêques philippins

Publié le 05/04/2013




Le 29 janvier 2013, à l’issue de leur assemblée plénière, les évêques catholiques philippins ont publié une « Déclaration pastorale au sujet de certains problèmes sociaux actuels ». Dans ce texte de cinq pages, ils interpellent sans détour le président Benigno Aquino et l’ensemble des responsables politiques du pays. S’appuyant sur l’Evangile et la doctrine sociale de l’Eglise, …

ils appellent à la mise en œuvre de véritables réformes afin de lutter contre des maux connus de longue date mais auxquels les différentes administrations qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas apporté de réponse satisfaisante. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

 

Frères et sœurs bien aimés,

Notre pays continue à endurer des graves crises, des catastrophes et des défis. Souvenons-nous de l’événement de la tempête en mer pour les apôtres quand ils ont craint pour leur vie. Jésus leur a alors reproché leur manque de foi (cf. Marc 4,35-41).

Les problèmes pour notre nation

Nous avons eu à vivre de violentes tempêtes. Les typhons Sendong et Pablo ont causé des dégâts terrifiants – les pertes en vie humaine, la destruction des biens, la dislocation de familles par milliers, la perturbation de la vie quotidienne et des sources de revenu ainsi que de lourds traumatismes pour les survivants. Nous devons écouter les experts de l’environnement qui déclarent qu’un grand nombre de ces catastrophes naturelles est causé par la destruction de nos ressources naturelles, de nos forêts et de nos rivières, résultat d’une exploitation forestière et minière sans frein. Cela doit nous amener à examiner et à mettre en cause la sincérité, la qualité et l’efficacité de la politique pratiquée par nos dirigeants.

En fait, il ne s’agit pas seulement d’une longue litanie de tempêtes naturelles. D’autres ne sont pas naturelles et nous pouvons y inclure :
La promotion d’une culture de mort et de libéralisation sexuelle. Ceci est dû à la servilité de nos dirigeants politiques et financiers qui, malgré les exemples constatés, suivent les pratiques des pays occidentaux promouvant : le divorce, causant de plus en plus l’éclatement des familles et un environnement familial désordonné pour les enfants ; la contraception induisant plus d’interruptions de grossesse ; l’utilisation du préservatif accentuant la contamination du virus du sida ; et l’éducation sexuelle engendrant plus de libéralisation sexuelle et plus de grossesses chez les adolescentes.
La corruption constante et les abus de pouvoir des responsables officiels en raison du manque d’information ou, pire encore, le possible recel d’informations à l’encontre de la population. C’est pour le moins ironique d’entendre le gouvernement se vanter de suivre le droit chemin alors qu’il méprise la loi du Droit à l’information (Freedom Of Information Act – FOI) en raison de la possible découverte des malversations des responsables officiels. Pour quelle raison sont-ils si effrayés d’annoncer aux citoyens la vérité sur leur propre gouvernance ?
La pratique grandissante des dynasties politiques. Tout comme les monopoles dans les affaires, les monopoles en politique restreignent l’introduction d’idées nouvelles et de meilleures prestations. Les dynasties politiques accroissent la corruption et l’inconvenance. Nous sommes choqués par le fait que des législateurs défient la loi suprême du pays, en ne respectant pas les termes de notre Constitution, instituée il y a et proscrivant les dynasties politiques.
L’accroissement du nombre de questions à la COMELEC (Commission électorale des Philippines) relatives aux résultats des élections automatisés. Une élection n’est pas une affaire de rapidité mais de loyauté et d’honnêteté. Si le système électoral n’est pas correctement mis en œuvre, il peut en résulter des fraudes de grande envergure. L’intégrité d’un des piliers de notre démocratie, l’élection, est en jeu.
L’incapacité et la mauvaise volonté des détenteurs du pouvoir à suivre le chemin de la justice sociale. Il s’agit d’un manquement à partager les ressources dans le pays, pour satisfaire les droits les plus élémentaires des pauvres, tels que des emplois sûrs, des logements décents, des soins suffisants, la possession de terres à cultiver et une éducation de qualité. De nouveaux « droits » sont mis en avant alors que ces droits élémentaires restent ignorés !
Le renforcement de la culture d’impunité. Des tueries injustifiables, des crimes impunis et des kidnappings continuent : le gouvernement n’est pas capable ou manque de volonté politique pour traduire en justice les auteurs et mettre en cause les puissants.
La souffrance des pauvres n’a pas diminué malgré des chiffres économiques brillants. La croissance elle-même, ce qui veut dire plus de production, plus d’argent, ne devrait pas être le seul objectif de développement car il faut aussi de l’équité. L’énorme fossé entre les riches et les pauvres demeure. La croissance globale reste faible ! Nous avons conscience des tempêtes sociales et politiques évoquées ci-dessus, qui bousculent notre vie philippine parce qu’elles touchent profondément notre peuple. Nous parlons pour ceux qui souffrent. Nous présentons ces préoccupations à ceux qui ont des responsabilités et par conséquent à ceux qui doivent rendre des comptes. Ces situations orageuses n’ont pas besoin d’être ainsi.

La position de l’Eglise

Notre position en réponse aux questions évoquées ci-dessus repose sur notre foi, qui est entière, une foi qui s’abandonne à Dieu dans l’intimité de l’obéissance et de l’amour. La foi n’est pas seulement une question de doctrine mais elle est l’application d’une croyance dans toutes les dimensions de la vie, sociale, politique, économique, culturelle et religieuse. La synthèse d’une telle croyance est présentée dans la doctrine sociale de l’Eglise.

Les enseignements moraux et sociaux de l’Eglise catholique rappellent :
1.) « que la vie humaine doit être respectée et protégée impérativement dès la conception. Dès son premier instant d’existence, un être humain doit être reconnu comme ayant les droits d’une personne. – parmi lesquels figure le droit à vivre inviolable pour chaque être innocent » (Catéchisme de l’Eglise Catholique n°2270). Utiliser des moyens artificiels pour empêcher la conception de la vie humaine est mal. Les rapports sexuels hors mariage demeurent interdits (CCC 2390-91…).
• Par conséquent, nous dénonçons le vote de la loi sur la santé reproductive (RH Bill), les pressions financières et politiques imposées aux législateurs ainsi que l’impérialisme exercé par des organisations internationales dans la procédure législative.
• Nous admirons et recommandons les courageux efforts des laïcs et des législateurs pour empêcher le passage de la loi.
• Nous incitons les efforts « courageux » de nos laïcs pour remettre en cause la loi RH devant la Cour suprême et auprès d’autres juridictions, tout en respectant notre système démocratique.
• Nous soutenons et encourageons la participation des laïcs permettant de choisir des candidats compétents et moralement sans reproche, qui sont fidèles à leur conscience droite et bien informée.
• Nous devons être vigilants et agir contre des mouvements qui seront destructeurs de la famille et de la vie.

2.) La corruption politique est une des plus graves déviances du système démocratique parce qu’elle est une négation des normes morales et torpille la justice sociale qui est la justice du bien commun (cf. le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise ou CSDC n°411). La liberté d’information promeut l’intégrité, la transparence et la prise de responsabilité dans l’ordre politique (CSDC n°414-416)
• Par conséquent, nous dénonçons l’impunité des auteurs présumés de corruption et faisons fermement appel au gouvernement pour qu’il poursuive les présomptions et les manifestations de corruption de ceux qui détiennent le pouvoir, pas seulement du passé mais aussi du présent, même pour des amis et des relations.
• De la même façon, nous insistons auprès du gouvernement pour qu’il accorde la priorité la plus absolue à l’approbation de la FOI (loi sur le droit à l’information) aussi rapidement que possible.

3.) L’autorité politique existe pour le bien commun. Elle ne s’exerce pas en fonction des intérêts privés et familiaux ou simplement pour les intérêts d’un parti politique. Quand l’autorité politique est exercée simplement pour des intérêts égoïstes, cela trahit sa raison d’être. De plus, une telle situation engendre la corruption et interdit l’accès au pouvoir politique qui est un fondement de la démocratie (Gaudium et Spes n°74 ; CSDC n° 393, 407, 410)
• Par conséquent, nous dénonçons le maintien des dynasties politiques et familiales et la prolongation du délai pour le vote de la loi visant à rendre effective la disposition constitutionnelle les bannissant.

4.) Tout citoyen devrait être conscient de ses droits et devoirs pour protéger le bien commun grâce à son vote. (Gaudium et Spes 75). Ces droits et devoirs devraient être refusés si des obstructions se dressent pour en empêcher un exercice libre et responsable, notamment par la malhonnêteté dans les élections.
• Par conséquent, nous insistons auprès de la COMELEC pour transmettre nos questions et obtenir les réponses et, le cas échéant, engager des mesures correctives pour les études des experts techniques portant sur les prétendues déficiences du système actuel ainsi que sur la technologie électronique utilisée pour les élections. Il ne peut pas y avoir de transparence dans les élections si la COMELEC elle-même n’est pas transparente.

5.) Dans l’Evangile, l’amour des pauvres qui reflètent le Christ Lui-même nous incite à œuvrer pour une justice à leur égard. (Cf. CCC n°2447-48 ; CSDC n°184). Ceci nécessite la promotion de la justice sociale mais pas en ciblant la réduction du nombre de pauvres.
• Par conséquent, en qualité d’Eglise des pauvres, nous orientons nos services d’action sociale en faveur du développement à leur égard.
• Nous donnerons des conseils moraux aux plus riches dans notre société pour vivre une solidarité active avec les pauvres.
• Nous faisons appel au gouvernement pour qu’il soit efficace dans la mise en œuvre des lois existantes pour la réforme du patrimoine afin d’apporter la justice sociale, telles que CARPER (réforme agraire) pour les agriculteurs, UDHA (Urban Development and Housing Act de 1992 : Loi sur le développement de l’urbanisme et du Logement) pour les pauvres dans les villes, IPRA (Indigeneous Peoples Right Act : Loi pour le droits des peuples indigènes) et le code de la pêche pour les pêcheurs. Le programme CARPER a pris fin il y a un an et demi mais la réalisation de la réforme agraire est lamentable car elle s’est enlisée à cause de la bureaucratie, des formalités légales et d’une piètre qualité de gouvernance.

Proclamer la Vérité d’une manière cohérente

En notre qualité de pasteur, nous prenons en compte l’appel pressent de saint Paul : « Proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d’instruire. Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables. Pour toi, sois prudent en tout, supporte l’épreuve, fais œuvre de prédicateur de l’Evangile, acquitte-toi à la perfection de ton ministère. » (2 Tim 4,2-5)

Nous rappelons à tous les croyants que ce qui est populaire n’est pas nécessairement ce qui est juste. Ce qui est légal n’est pas nécessairement moral.

Chaque individu doit suivre sa conscience. Mais « la conscience doit être informée et le jugement moral éclairé. Une conscience bien formée est droite et véridique. Elle formule ses jugements suivant la raison, conformément au bien véritable voulu par la sagesse du Créateur » (CCC n°1783).

Foi et espérance au milieu des tempêtes

Au milieu des bouleversements naturels et sociaux du pays, nous nous voyons nous-mêmes dans la barque avec les apôtres, secoués dans les vagues tempétueuses. Nous sommes ballotés par les vagues provoquées par l’esprit séculier qui continue à amoindrir le rôle et la place de la foi religieuse dans la sphère publique. Notre chère morale et nos valeurs spirituelles encourent un risque grave. Nous sommes paralysés par la crainte et l’anxiété, peut-être aussi surpris si le Seigneur s’est endormi ou si le Seigneur ne se soucie pas que nous soyons en train de nous noyer. (Marc 4,38).

Ecoutons de nouveau les paroles du Seigneur : « Silence. Tais-toi » (Marc 4,39). Il menaça le vent et la tempête tomba. Il est le Seigneur qui a le pouvoir sur la mer et sur le ciel. Il a le pouvoir sur les esprits mauvais. C’est Lui qui nous pose la question : « Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas de foi ? » (Marc 4,40).

Nous sommes dans l’année de la Foi. Le pape Benoît XVI nous met au défi de répondre avec foi aux événements qui nous entourent. Les yeux fixés sur Jésus (Mt 14,27-31), nous ne coulerons pas mais sauterons profondément dans les eaux dangereuses de la modernité. Nous ne devons pas être effrayés. Nos valeurs sont celles de Jésus, de son Evangile et du Royaume de Dieu.

En dépit des tempêtes, nous savons que le Royaume de Dieu est déjà parmi nous. L’Esprit Saint continue à souffler même à notre époque. Avec les yeux de la foi, nous rendons grâce et louons Dieu :
1.) pour la prise de conscience grandissante parmi les fidèles laïcs du fait qu’ils doivent prendre au sérieux leurs fonctions politiques. Nous approuvons et soutenons les initiatives de laïcs ayant pour objet de créer des cercles de réflexion pour choisir des candidats de valeur et même de se présenter comme candidats afin de porter les valeurs du Royaume de Dieu dans le discours public. Nous aiderons les gens à connaître la position de ceux qui postulent pour un poste qui concerne des sujets importants pour le pays.
2.) pour les nombreux programmes qui valorisent les méthodes naturelles de planification familiale. Nous nous engageons à promouvoir ces programmes dans nos églises locales et à enseigner nos valeurs chrétiennes pour la famille, le mariage et l’Evangile de Vie.
3.) pour des efforts de jeunes à vivre dans la chasteté même dans un monde qui ne fait pas grand cas du caractère sacré de la sexualité. Nous soutenons des mouvements comme TRUE LOVE WAITS (Le vrai Amour attend) ou LIVE PURE (Vivre dans la pureté) et d’autres initiatives semblables pour l’éducation à la chasteté. En vérité, la pureté attire.
4.) pour le courage et la fermeté de nombreux législateurs à résister aux pressions politiques et financières. Pour ceux qui ont d’autres opinions, nous cherchons à les comprendre avec patience et charité.
5.) pour l’effort et les démarches audacieuses prises par le gouvernement aspirant à la paix dans le pays. Notre espoir est que ces initiatives en faveur de la paix s’harmoniseront avec d’autres démarches tout aussi audacieuses pour amener la justice, car la paix est le fruit de la justice.
6.) pour le grand cri du peuple de proscrire les dynasties politiques. Si le Congrès ne veut pas agir sur ce point, nous encourageons les initiatives prises par les fidèles laïcs pour faire voter une loi permettant de mettre fin aux dynasties à l’initiative du peuple, comme la Constitution le stipule.

Avec Jésus dans la barque de Pierre, nous gardons espoir. Mais avec la Foi et l’Espérance, il nous faut l’Amour. Ballotés par ces mêmes vents tempétueux se trouvent les pauvres aux multiples visages. Notre déclaration pastorale aborde les questions politiques et sociales ce qui enfonce ceux-ci plus encore dans la détresse et le désespoir.

Nous devons exprimer clairement leurs soucis, être leur guide moral, être avec eux – les générations futures et les « petits », les jeunes, les femmes, les fermiers, les indigènes, les habitants des bidonvilles, les travailleurs, les pêcheurs, les émigrants. Notre amour doit leur apporter la Bonne Nouvelle, l’Evangile avec toutes ses implications politiques et éthiques.

Nous confions la mission de l’Eglise en ces temps troublés à la protection et à l’attention de la Sainte Vierge Marie, Mère de la Vie et Mère des Pauvres. Sainte Mère de Dieu, priez pour nos enfants dans vos Philippines bien aimées.

Pour la Conférence des Evêques catholiques des Philippines
Mgr Joseé Palma, archevêque de Cebu
et président de la Conférence épiscopale philippine (CBCP)
le 28 janvier 2013