Eglises d'Asie

La cyberpornographie, « un cancer fulgurant qui affecte la société philippine », selon les évêques catholiques

Publié le 12/02/2016




Dans un message publié le 10 février, à l’occasion de l’entrée en Carême, la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP) tire la sonnette d’alarme sur « un cancer social omniprésent », qualifié de « phénomène en vogue » sévissant aux Philippines, à savoir la cyberpornographie.

Dans un communiqué intitulé « Créé pour l’amour, créé pour la chasteté – une réponse pastorale au mal que représente la pornographie », les évêques catholiques décrivent la pornographie comme une « tragédie contemporaine », « un cancer fulgurant qui affecte la société philippine », en « blessant et corrompant » de nombreux hommes, femmes et enfants.

« Les parents doivent avoir une attitude responsable en guidant et en encadrant leurs enfants lorsqu’ils vont sur Internet, afin de les protéger de la cyberpornographie », a déclaré Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lingayen Dagupan et président de la CBCP. Le thème de la cyberpornographie, abordé en assemblée plénière, le mois dernier, à Cebu, faisait partie des points les plus urgents de l’ordre du jour des évêques catholiques.

Les Philippines, un pays particulièrement exposé à la cyberpornographie

« Quand on constate l’omniprésence d’Internet, il n’est pas étonnant que la pornographie ait envahi nos maisons, nos lieux publics, nos écoles et nos églises », a expliqué Mgr Villegas. Selon une étude réalisée en 2015 par la Study of Word Internet Users and Population Statistics, en Asie, les enfants philippins font partie de ceux qui ont le plus facilement accès à Internet.

En 2013, une étude réalisée par l’Institut pour les études démographiques de l’Université des Philippines a montré que 56,5 % des Philippins âgés entre 15 et 24 ans avaient été exposés à des vidéos pornographiques, 36,5 % à des contenus explicitement sexuels et 15,5 % avaient visionné des sites pornographiques.

L’accès rapide et facile à la pornographie sur Internet en fait un des commerces en ligne les plus juteux au monde. L’industrie de la cyberpornographie s’est rapidement développée dans les pays en développement, particulièrement la cyber-pédopornographie encore plus « rentable », la misère économique et sociale faisant des enfants une proie facile pour les réseaux de prostitution qui sévissent en ligne.

Selon les évêques philippins, la pédopornographie est alimentée par des réseaux locaux et étrangers qui exploitent les enfants et les familles pauvres et vulnérables. « Ce sont des enfants philippins dont l’innocence est consommé pour le plaisir des autres », ont-ils déclaré.

En 2014, d’après la police philippine, le pays faisait partie du top 10 des pays produisant le plus d’images pédopornographiques dans le monde. La même année, les revenus générés par la cyberpornographie ont dépassé ceux issus du commerce illégal de stupéfiants.

La pédopornographie sur Internet, un « business » rentable

Selon le Philippine Daily inquirer, la plupart des régions du pays sont devenus des lieux de transmission de contenus pédopornographiques, les quatre lieux les plus importants étant la ville d’Angeles (province de Pampanga), la province de Cebu, Cagayan de Oro à Mindanao, et la capitale, Manille.

Les grandes agglomérations ne sont pas les seules concernées. Même certains villages de pêcheurs sont désormais touchés par le fléau de la cyber-pédopornographie. Dans des huttes en bambou, ou derrières des petites maisons en briques, à l’abri des regards indiscrets, des enfants sont obligés d’accomplir des actes sexuels devant des caméras, forcés par des voisins, ou des membres de leur propre famille, luttant contre la misère. Les vidéos, commandées et payées par des pédophiles du monde entier, sont ensuite mises en ligne sur Internet.

La demande est si forte (1) et ce commerce tellement rentable – une vidéo rapporte entre 10 et 100 dollars US, alors que 60 % de la population philippine vit avec deux dollars US par jour – que certains villageois philippins ont abandonné la pêche pour se consacrer exclusivement à ce « business ».

Selon des ONG de défense des droits de l’homme, des dizaines de milliers d’enfants philippins sont contraints de pratiquer des actes sexuels dans des cybercafés ou dans des lieux privés. En 2009, le gouvernement philippin a pourtant fait voter une loi, l’Anti-Child Pornography Act, qui vise à encadrer le cyber-crime et à pénaliser la production, la distribution et la mise en évidence de matériel « pornographique et obscène », mais cette dernière est peu appliquée. « Le problème est que le commerce de la cyberpornographie se déroule dans des lieux privés et que, dans ce cas précis, la police ne peut intervenir qu’avec un mandat judiciaire », a expliqué Dolores Alforte, membre du Comité gouvernemental de protection de l’enfance à la Deutsche Welle.

D’après des sources policières, les parents philippins impliqués dans la cyber-pédopornographie, banalisent le cybersexe, justifiant le fait que s’exhiber devant une caméra ne peut être considéré comme de la réelle prostitution, puisqu’il n’y a pas de contact physique.

Faire connaître le visage de la miséricorde de Dieu aux victimes de la pédopornographie

Selon les ONG œuvrant auprès des enfants abusés, les victimes de la cyber-prostitution infantile souffrent souvent de traumatismes sévères et profonds, les conséquences psychologiques de la cyber-prostitution provoquant les mêmes dégâts que la prostitution réelle : anxiété, dépression, impossibilité d’établir des relations normales avec les adultes, consommation de drogues dès le plus jeune âge, …

Dans leur lettre « Créé pour l’amour, créé pour la chasteté », les évêques philippins entendent porter une attention particulière aux victimes de la pornographie. « La pornographie provoque de graves blessures, touche à la dignité des personnes concernées, que ce soit les acteurs, les consommateurs ou les distributeurs, car chacun est déshumanisé par une industrie qui existe uniquement pour justifier le profit illégal réalisé par certains individus. »

« Pour toutes ces raisons, la pornographie est un mal redoutable qui attaque et ébranle non seulement les individus, mais également le bien commun en général, (…) elle blesse les familles, les communautés et la société entière », affirment-ils, ajoutant que « produire, distribuer et utiliser la pornographie est un péché très grave contre la chasteté et la dignité humaine, qui doit être confessé à Dieu afin d’obtenir son pardon et sa miséricorde ».

Les évêques philippins s’adressent ensuite directement aux victimes en rappelant qu’en cette Année de la miséricorde, l’Eglise est là pour affirmer et proclamer « le pouvoir de guérison de Jésus, lui qui est le visage de la miséricorde de Dieu ». « A tous ceux qui ont été exploités et victimes de l’industrie pornographique, rien de ce que vous avez fait ou enduré ne peut vous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ », écrivent-ils, ajoutant : « Vous êtes et resterez toujours les enfants chéris et aimés de Dieu, crées à son image et à sa ressemblance. »

(eda/nfb)