Eglises d'Asie

Plusieurs religions sous un même toit

Publié le 15/02/2016




Trouver un endroit à un prix abordable pour le culte est un souci pour de nombreux petits groupes religieux à Singapour. Pour répondre aux besoins de ces communautés, le ministère du Développement national (MND) a accepté en janvier dernier d’allouer des terrains pour des « lieux de culte à …

utilisateurs multiples ». Une telle mesure permettra à différents groupes d’une même religion d’être logés dans un seul bâtiment de plusieurs étages où ils pourront partager les installations telles que le parking et les salles de réunion.

Singapour a un problème de place. La cité-Etat s’étend sur 30 kilomètres du nord au sud et 40 kilomètres d’est en ouest, et la densité de population y est l’une des plus élevées au monde (en troisième position après Macao et Monaco). Le moindre mètre carré de terrain coûte donc très cher, mais Singapour étant aussi un pays où les millionnaires se comptent par milliers (1 Singapourien sur 35 est millionnaire !), les acquéreurs et autres promoteurs immobiliers ne sont pas rares. En revanche, pour une organisation à but non lucratif telle qu’une petite communauté chrétienne ou taoïste, la recherche d’un lieu de culte devient une réelle difficulté. Nombreux, par exemple, sont les responsables de communautés chrétiennes à être contraints de louer des salles dans des hôtels ou même dans les zones industrielles où les loyers sont moins élevés. Concernant les taoïstes, il y aurait plus de 2 000 temples opérant dans des maisons ou des appartements de particuliers, la plupart de temps illégalement.

Des centres pluri-religieux situés en zone industrielle

C’est dans ce contexte que l’Autorité pour le redéveloppement urbain (URA) tente d’agir pour organiser l’espace de vie en fonction des besoins en logements, transports, commerces, bureaux et espaces verts, n’hésitant pas parfois à déplacer les morts pour faire de la place aux vivants. Le cimetière de Bukit Brown, l’un des plus grands cimetières chinois situé hors de Chine, va ainsi être coupé en deux par une route. L’URA a entre autres pour rôle d’allouer des parcelles de terre à des organisations religieuses afin que chaque quartier de la ville puisse bénéficier de temples, d’églises ou des mosquées, mais ces allocations foncières restent inabordables pour les petites communautés religieuses qui ont fleuri partout à Singapour (les Eglises protestantes par exemple sont aujourd’hui plus de 500, et la population chrétienne de l’île a doublé en quinze ans, pour atteindre aujourd’hui 18 % des 5,4 millions des habitants de Singapour).

Une enquête a été menée par les autorités auprès de groupements religieux tels que le Conseil national des Eglises de Singapour (NCCS, qui réunit les principales dénominations protestantes du pays) et la Fédération taoïste, pour explorer des solutions viables malgré la spéculation immobilière. Suite à cette concertation, le MND a donné son accord pour louer des terrains à de différents groupes d’une même religion qui pourront ainsi cohabiter au sein de bâtiments à plusieurs étages. L’accord prévoit de mettre en place un système de locations chapeauté par une organisation principale responsable de l’entretien des lieux. Le MND souligne que ce type de centres multicommunautaires sera sans doute localisé en zone industrielle et que les groupes religieux partageront les équipements tels que les parkings ou les salles de réunion.

Préserver un esprit de communauté et de quartier

Aux yeux des autorités singapouriennes, la solution proposée semble logique et efficace, mais elle ne va pas sans poser de problèmes. Les zones industrielles étant excentrées, les fidèles devront se déplacer loin et l’esprit de la communauté de quartier disparaîtra. Par ailleurs, les célébrations et fêtes religieuses risquent de tomber les mêmes jours et le partage des espaces communs pourrait devenir source de conflits…

Malgré tout, les responsables religieux accueillent favorablement l’idée. Le Vénérable Kwang Phing, de la Fédération bouddhiste de Singapour, souligne que cela va « alléger le fardeau financier des petits temples ». Le président de la Fédération taoïste, Tan Thiam Lye, a lui aussi approuvé, et précise que ces centres fourniront une alternative légale pour les groupes religieux auxquels la loi ne permet pas l’utilisation de bâtiments industriels et de maisons d’habitation comme lieu de culte. Il espère qu’au moins quatre centres taoïstes de ce type seront répartis à travers l’île. Le Rév. Dominic Yeo, des Assemblées de Dieu de Singapour, a déclaré que l’expérience devait être « financièrement viable» et que, pour cela, le prix des terrains ne devait pas être basé sur la meilleure offre. La localisation de ces centres dans les zones industrielles « ne sera pas ce qu’il y a de mieux pour les Eglises », a-t-il ajouté, « beaucoup d’Eglises servent les communautés de quartier où se trouvent leurs locaux ».

Plus d’une centaine d’églises de petite taille déjà présentes en zones industrielles et environ 160 temples taoïstes pourraient bénéficier de ce changement. Les détails d’attribution et de fonctionnement restent à mettre au point, mais l’idée est lancée.

Encourager la cohabitation entre les religions

L’initiative gouvernementale n’est en réalité pas totalement nouvelle. Plusieurs communautés religieuses n’ont pas attendu le feu vert du gouvernement pour se regrouper sous un même toit. Un bâtiment de cinq étages, en construction dans le quartier de Jurong (2 Tah Ching Road) sur un terrain actuellement loué par l’Eglise luthérienne, sera en partie sous-loué à l’Eglise presbytérienne de la Providence et à l’Eglise méthodiste tamoule de Jurong avec un bail de 30 ans. Le projet, dirigé par l’évêque Terry Kee Buck Hwa, de l’Eglise luthérienne de Singapour, a reçu le feu vert de l’URA et d’autres organismes gouvernementaux il y a deux ans. Ce centre qui hébergera donc trois communautés sous un même toit devrait être prêt fin 2016. Mgr Kee prévoit d’y accueillir éventuellement cinq églises.

Interrogé par le Staits Times, le Rév. Philip Abraham, pasteur en charge de l’église méthodiste tamoule de Jurong, a mis en évidence le fait que sa congrégation d’une centaine de personnes s’était déplacée plus de cinq fois en 37 ans. « Trouver des lieux accessibles et abordables a été difficile. Le fait d’avoir enfin un espace permanent pour le culte dans ce centre de Jurong sera une bénédiction pour notre Eglise. Nous allons économiser beaucoup plus sur le loyer ici que si nous étions situés dans un bâtiment commercial, a précisé le pasteur. Nous aurons enfin un endroit où nous serons chez nous. »

A Geylang, un autre quartier de Singapour, le Centre Citiraya (Geylang Lorong 27) abrite deux églises chrétiennes, trois groupes bouddhistes et un centre taoïste. Le secrétaire général du monastère bouddhiste, Lim Boon Tiong, affirme que le partage d’un même toit est une aubaine car il encourage la sensibilisation et l’appréciation des autres croyances, ce qui est particulièrement utile dans une société multi-religieuse comme Singapour. Chaque groupe occupe son propre étage, environ 280 mètres carrés, ce qui est assez vaste pour une grande salle, un espace bureau et un coin cuisine. Les installations qui sont partagées comprennent un parking de 16 places et un ascenseur. Chaque groupe paie des frais d’entretien au représentant d’une société de gestion. Cet exemple rare pourrait bien préfigurer de ce qui sera encouragé à l’avenir, car, à Singapour, tant le gouvernement que les habitants affirment que le dialogue interreligieux n’est pas une option mais bien une nécessité dans le pays le plus religieusement divers au monde.

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(eda/fb)