Eglises d'Asie

Chute des prix du pétrole : l’Eglise anticipe un retour des travailleurs expatriés

Publié le 19/02/2016




Selon l’Eglise catholique des Philippines, l’effondrement ces derniers mois du prix du baril de pétrole pourrait contraindre de nombreux travailleurs expatriés philippins – plus de 10 % de la main-d’œuvre totale de l’archipel aux 100 millions d’habitants –, à quitter les pays du Moyen-Orient, jusqu’ici …

… destination prisée des « Overseas Filipinos Workers » (OFW), partis pour des motifs économiques.

A la tête de la commission épiscopale pour la pastorale des migrants, Mgr Ruperto Santos, évêque de Balanga (Mindanao), a annoncé que l’Eglise était prête à proposer des cours et des ateliers de conseils pour préparer leur reconversion professionnelle à leur retour. « [Nous] allons intensifier nos programmes pastoraux dédiés aux [travailleurs philippins de l’étranger], en nous appuyant sur le réseau des aumôniers et des paroisses fréquentées par les proches restés au pays », promet le prélat, interrogé par l’agence Ucanews.

Dès janvier, Migrante International, la principale alliance fédérant les Philippins de l’étranger, avait estimé que, rien que pour l’Arabie saoudite, au moins 50 000 travailleurs philippins du secteur industriel et du bâtiment seront affectés par la crise de l’énergie au Moyen-Orient d’ici mars prochain. En première ligne, les employés de deux des principales entreprises de construction, Saudi Oger Ltd. et Bin Laden Co., fondée par le père d’Oussama Ben Laden. Chez Saudi Oger. Ltd., depuis l’an dernier, 20 000 Philippins ont perdu ou risquent de perdre leur travail, tandis que chez Bin Laden Co., 5 000 sont sur le point d’être renvoyés dans l’archipel. Auparavant, c’est Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale, qui avait annoncé une réduction de 25 % de sa masse salariale en raison de coupes budgétaires

Des retours massifs

« Un retour massif [de nos travailleurs] aura forcément un impact défavorable sur leurs proches ici et dont les ressources dépendent », a poursuivi Mgr Santos. Selon Migrante International, deux millions de Philippins travaillent en Arabie saoudite, aujourd’hui le premier pays employeur des Philippins partis chercher un travail à l’étranger. Dans une tribune datée du 14 février citée par Ucanews, Mgr Santos exhorte par ailleurs le gouvernement à préparer un plan de réserve et à renforcer la coordination avec les pays accueillant des travailleurs philippins pour collecter des données plus précises sur leurs conditions de vie. « Le problème ne concerne pas seulement cette main-d’œuvre mais le pays tout entier », insiste Mgr. Santos.

« C’est une grosse crise et elle est déjà là, bien que notre gouvernement tente de le minimiser. Depuis octobre, nos concitoyens employés par Saudi Oger Ltd. et Bin Laden Co. se sont retrouvés au chômage technique, leur iqamas (permis de travail) n’a pas été renouvelé, ou alors depuis six mois ils attendent leur salaire », s’insurge Garry Martinez, l’un des représentants de Migrante International. « Il n’a pas assez d’emplois disponibles ici [aux Philippines], poursuit le militant. La diminution des perspectives d’emploi en Arabie Saoudite et dans le reste du Moyen-Orient mènera de manière inévitable à des mesures plus strictes d’immigration, avec des risques pour nos travailleurs. »

En début de mois, le gouvernement philippin avait assuré disposer de fonds suffisants pour financer les rapatriements et venir en aide aux migrants touchés par la crise pétrolière. Rebecca Calzado, à la tête de l’agence d’Etat pour l’aide sociale aux travailleurs philippins à l’étranger (Overseas Workers Welfare Administration, OWWA), avait par ailleurs évoqué « une possible assistance » pour ceux qui ne pourraient pas rentrer de suite après avoir perdu leur emploi.

Des aides au compte-goutte

« L’administration Aquino propose une aide au compte-goutte et d’urgence, sans solution à long terme au chômage, au faible niveau des salaires et au manque de services sociaux, déplore Garry Martinez. La plupart des subventions sont conditionnées à un prêt ou bien on ne peut y prétendre qu’une seule fois. » Avant de prendre pour l’exemple le programme de réintégration du OWWA pour lequel il faut d’abord s’acquitter de frais d’adhésion s’élevant à 22 euros. « C’est une insulte à nos travailleurs expatriés (…) puisque ce programme est financé directement par leurs contributions. Le gouvernement ne verse aucun peso. »

Selon la Commission on Filipinos Overseas, un organisme du gouvernement philippin, environ 10,2 millions de Philippins travaillent de manière permanente ou transitoire à l’étranger. Parmi toutes les régions du monde, la diaspora philippine basée au Moyen-Orient est la deuxième à envoyer le plus d’argent au pays pour l’année 2015, toujours selon les agences gouvernementales philippines. L’Arabie Saoudite représentait en novembre dernier 10,5 % du montant total des transferts, en deuxième position derrière les Etats-Unis, ancienne puissance coloniale aux Philippines et d’où proviennent 40 % des transferts. De son côté, la banque centrale des Philippines s’attend d’ores et déjà à une baisse des transferts depuis l’Arabie Saoudite et l’Iran, deux pays entre lesquels la tension s’est encore accentuée en début d’année.

Un coût familial et social élevé

Après le Mexique, les Philippines sont le deuxième pays au monde « pourvoyeur » de main-d’œuvre émigrée. Ce 17 février, à Ciudad Juarez, près du poste-frontière d’El Paso, le pape a particulièrement attiré l’attention sur la pauvreté et l’émigration que celle-ci génère en célébrant une messe géante en plein air à moins de cent mètres des grillages et des barbelés, le long du Rio Grande, ou Rio Bravo selon le pays où l’on se trouve, qui marquent la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.

Aux Philippines, l’Eglise intervient régulièrement pour alerter sur le sort des travailleurs expatriés. Récemment, la commission épiscopale pour la pastorale des migrants a salué l’amnistie accordée à l’occasion de la fête nationale par l’émir du Qatar à dix Philippins condamnés à la prison, rapporte le site d’information de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP). L’Eglise a tout aussi régulièrement dénoncé le coût familial et social induit par cette émigration massive.

(eda/md)