Eglises d'Asie

La situation religieuse du Vietnam

Publié le 14/03/2016




Cet article, que nous a aimablement signalé le professeur Nguyên Thê Anh, a été mis en ligne le 19 février 2016 sur le site de la Commission des Etats-Unis pour la liberté religieuse dans le monde. Il avait paru auparavant dans les colonnes de l’hebdomadaire America, publication catholique animée par …

… les jésuites. Les deux auteurs du texte sont Thomas J. Reese, SJ, et Mary Ann Glendon, tous les deux membres de la Commission américaine pour la liberté religieuse dans le monde. Le P. Reese a été rédacteur en chef d’America de 1998 à 2005 et est aujourd’hui « senior analyst » pour The National Catholic Reporter. Le professeur Mary Glendon est enseignante à l’Université de Harvard et ancienne ambassadrice des Etats-Unis près le Saint-Siège. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

La religion au Vietnam, aujourd’hui, diffère nettement de ce qu’elle était il y a 40 ans. Tel est le leitmotiv qui nous a été répété à plusieurs reprises au cours de notre récent voyage au Vietnam. Les catholiques vietnamiens nous ont certes parlé de la manière dont la liberté religieuse avait été mieux respectée au cours des quatre dernières décennies, mais ils nous ont aussi précisé qu’ils pensaient par ailleurs que de nombreux responsables gouvernementaux avaient encore une mauvaise compréhension de la religion et du rôle positif que celle-ci pouvait jouer dans la société, notamment du fait qu’ils obéissaient à des craintes et des préjugés dépassés pour tout ce qui concerne le droit de pratiquer librement sa religion.

Après la fin de la guerre en 1975, les dirigeants communistes du Vietnam ont fait peser de sévères contraintes sur la liberté religieuse, et cela de multiples manières, y compris en interdisant purement et simplement les organisations religieuses et leurs activités. La plupart des responsables religieux s’étaient opposés à la révolution communiste, redoutant ce qui allait se passer si les marxistes athées prenaient le pouvoir. Après la guerre, le bain de sang annoncé n’a pas eu lieu, mais les biens religieux ont été confisqués par le nouveau gouvernement, de nombreux dirigeants religieux ont été emprisonnés et beaucoup de leurs disciples ont été persécutés. Les chrétiens, en particulier, ont été considérés comme des instruments utilisés par des forces oppressives basées à l’étranger, tandis que les adhérents de certaines religions locales comme le caodaïsme sont devenus la cible de persécutions des nouvelles autorités pour avoir levé des troupes afin de combattre les communistes.

Bien que la situation se soit nettement améliorée aujourd’hui, il reste encore au Vietnam un long chemin à parcourir avant de se conformer pleinement aux normes internationales, des normes qu’il a officiellement acceptées, à l’instar de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Avec le temps, le régime est passé d’une véritable persécution d’Etat un contrôle étatique. Ainsi, ont été créés une organisation bouddhiste patronnée par le gouvernement et un groupe religieux caodaïste également parrainé par les autorités d’Etat. Ceux qui ont continué leur pratique religieuse au sein d’organisations religieuses non autorisées ont été mis à l’écart et quelquefois « excommuniés » par les autorités religieuses officiellement reconnues. Cela faisait d’eux des « dissidents » aussi bien dans leur foi que dans leurs relations avec l’Etat. Les catholiques ont pu éviter d’être placés à l’intérieur d’une organisation parrainée par le gouvernement, comme cela été le cas en Chine populaire avec l’Association patriotique des catholiques chinois. Cependant, le gouvernement suit le clergé de très près et continue de jouer un rôle direct dans l’approbation des candidats à l’épiscopat choisis par le Vatican.

Une situation complexe

Pour mieux comprendre la situation actuelle, nous avons visité le Vietnam à la fin du mois d’août [2016] en tant que membre d’une délégation de la Commission américaine pour la liberté religieuse dans le monde. Cette Commission a été créée par la loi sur la liberté religieuse dans le monde de 1998 pour évaluer l’état de la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction à l’étranger, et pour transmettre des recommandations politiques indépendantes au président, au secrétaire d’Etat et au Congrès. Les informations obtenues par notre délégation feront partie des conclusions officielles de la commission. On pourra les consulter en détail dans le rapport annuel de la Commission sur la liberté religieuse.

La situation religieuse au Vietnam est complexe et parfois déroutante. D’une part, les églises catholiques sont pleines, les vocations abondantes ; le gouvernement a même récemment autorisé la création dans le sud d’un institut catholique de théologie de niveau universitaire. Les catholiques peuvent même parvenir à des postes dans la fonction publique, et il n’est pas rare de voir des adhérents du Parti envoyer leurs enfants dans des institutions préscolaires catholiques ou dans des universités catholiques aux Etats-Unis.

Par contre, nous avons eu connaissance de rapports crédibles confirmant des enquêtes anciennes de la commission, selon lesquels la police s’attaque fréquemment aux adhérents des organisations religieuses indépendantes non enregistrées. Parmi ces communautés harcelées, il y a de nombreuses Eglises protestantes.

En général, l’Eglise catholique a moins de problèmes avec le gouvernement que les Eglises protestantes. Les groupes religieux parrainés par l’Etat connaissent une meilleure situation que les groupes indépendants. Les organisations enregistrées auprès de l’Etat sont dans une meilleure situation que celles qui ne le sont pas.

Pour obtenir un statut légal, les organisations religieuses doivent se faire enregistrer auprès du gouvernement. Sans cela, elles sont considérées comme illégales et ne peuvent pas louer ou posséder des biens. L’enregistrement oblige les organisations religieuses à déclarer leurs adhérents, leurs dirigeants, leurs croyances et activités. Même pour les organisations dument enregistrées, de nombreuses activités nécessitent l’autorisation des autorités locales, provinciales ou nationales. Si un groupe religieux veut ouvrir un nouveau lieu de culte ou déplacer un ministre du culte d’une église à une autre, l’approbation du gouvernement est indispensable.

Mais il arrive que l’approbation du gouvernement ne soit pas suffisante pour résoudre tous les problèmes. Ainsi, un groupe ayant reçu l’autorisation d’ouvrir un lieu de culte dans une maison privée se heurte à de grandes difficultés lorsqu’il veut louer une habitation convenable, les propriétaires ne voulant pas des contrôles supplémentaires qui accompagneraient la présence d’une communauté religieuse dans leur propriété.

Le gouvernement vietnamien est en train d’élaborer une nouvelle loi destinée à régir la religion. Avant notre visite au Vietnam, nous avons étudié la quatrième version du projet à l’étude. Celle-ci a largement repris ce qui dans le passé avait été prescrit par décrets et ordonnances. Aux activités qui ont besoin de l’approbation du gouvernement, le projet de loi a prévu d’ajouter un certain nombre d’autres activités religieuses, ainsi que plusieurs prescriptions régissant les approbations requises lorsque les groupes choisissent ou déplacent le personnel religieux. Cette obligation nous a paru encore plus inquiétante lorsque nous avons appris d’un groupe rencontré durant le voyage que la moitié des candidats proposés aux autorités pour devenir pasteurs avaient été rejetés celles-ci.

Lors de notre séjour au Vietnam, nous avons appris que le gouvernement travaille actuellement sur une cinquième version de la loi. Il semble que dans certains cas, le terme « approbation » ait été remplacé par celui de « notification ». Bien que le fait d’exiger des communautés religieuses qu’elles informent le gouvernement de leurs activités pose de vrais problèmes, cette modification du vocabulaire passant de « approuver » à « notifier » est une étape importante pour le Vietnam.

Certaines communautés religieuses refusent par principe de se soumettre à un enregistrement auprès des instances étatiques. Elles ont choisi de rester indépendantes hors du contrôle de l’Etat. Ces groupes subissent régulièrement le harcèlement de la police, harcèlement qui s’exerce tout aussi bien sur les groupes qui se plaignent publiquement des mauvais traitements dont ils font l’objet ou sur les groupes qui sont soupçonnés d’entretenir des contacts avec des organisations de défense des droits de l’homme, notamment celles qui sont basées à l’étranger.

Les facteurs conditionnant la vie des fidèles

Après avoir écouté de nombreux responsables religieux, nous avons conclu que la portée et le degré d’intensité des interventions des pouvoirs publics, parfois violentes, dépendent souvent d’un certain nombre de conditions que les organisations religieuses ne contrôlent que partiellement.

1.) Les organisations religieuses et les individus encourent davantage de risques si les autorités estiment qu’elles constituent une menace pour le gouvernement ou le Parti communiste. Oscar Romero, l’archevêque catholique assassiné, bien connu pour sa prédication en faveur de la justice sociale et des droits de l’homme, n’aurait pas été toléré au Vietnam, pas plus qu’il ne l’a été au Salvador. Les organisations religieuses sont donc forcées de renoncer à leur mission prophétique si elles veulent survivre au Vietnam. Cela signifie l’abandon du soutien à tout ce qui peut être perçu comme contraire à la ligne politique du Parti, comme la démocratie et les droits de l’homme. Les militants défendant ouvertement les libertés fondamentales, parmi eux des catholiques et des protestants, sont emprisonnés.

En 1980, la Conférence des évêques catholiques du Vietnam a publié une lettre pastorale affirmant que les bons catholiques devaient être de bons citoyens. La lettre a plu aux représentants du gouvernement et a ouvert la voie à une politique moins restrictive. De même, les dirigeants musulmans soulignent que leur religion exige des croyants qu’ils respectent les lois de leur pays tant que cela ne porte pas atteinte à leur croyance en un seul Dieu ou n’interfère pas avec leur devoir de prier.

Par ailleurs, les représentants du gouvernement deviennent nerveux quand un pasteur local a plus de crédibilité et d’autorité dans son village que les responsables du Parti et de l’administration locale. Par exemple, lorsque les autorités civiles du lieu essaient de convaincre les villageois de rentrer chez eux, ces derniers ne les écoutent pas, mais si le pasteur leur dit : « Rentrez à la maison », ils obéissent.

La congrégation religieuse des rédemptoristes a subi le harcèlement de la police pour avoir organisé des rencontres avec des dissidents à l’intérieur de leur couvent. Les rédemptoristes sont également engagés dans un conflit foncier avec l’Etat à cause d’un terrain confisqué par ce dernier qui, comme on le sait, n’est pas enclin à se montrer agréable à l’égard des « fauteurs de troubles ». L’année dernière, la congrégation a reçu un nouveau supérieur provincial qui a adopté une position moins affirmée, susceptible de desserrer l’attention que le gouvernement porte à ces religieux.

2.) La volonté de l’Etat de maintenir à tout prix l’ordre public prime sur la liberté religieuse et sur beaucoup d’autres libertés. Cette attitude entraîne des restrictions sévères pour l’évangélisation. Le porte-à-porte, la distribution de dépliants dans la rue ou dans un parc public peut provoquer l’intervention de la police. Les bouddhistes et les adhérents du caodaïsme qui refusent de rejoindre les organisations parrainées par l’Etat s’exposent à des risques certains.

Ce sont surtout ceux qui mènent un travail d’évangélisation parmi les minorités ethniques des Hauts Plateaux qui ont des ennuis. Cependant, les intéressés déclarent que les conflits avec le gouvernement s’apaisent souvent lorsque l’évangélisation du village est réussie et que la plupart des villageois sont convertis. Mais la transition peut prendre des décennies. D’autres, comme les Mormons et les musulmans, contournent les restrictions en limitant leurs convertis à ceux qui viennent leur demander de les instruire à l’intérieur de leurs lieux de culte. Ils évitent ainsi les problèmes avec le gouvernement que pourrait provoquer un prosélytisme trop actif.

3.) Il faut noter ensuite la grande latitude donnée aux responsables locaux pour interpréter et appliquer la politique religieuse en fonction de leurs propres caprices. Ce qui est source d’imprévisibilité et d’inconséquence. Certaines organisations religieuses ont la chance de mener leurs activités dans des provinces où les responsables ne nourrissent pas d’antipathie particulière à l’égard de la religion ou des minorités ethniques. Presque toutes les communautés religieuses que nous avons rencontrées ont déclaré avoir éprouvé plus de problèmes dans certaines provinces que dans d’autres. Beaucoup ont signalé la région des Hauts Plateaux du centre comme une zone à problèmes ; toute activité parmi les ethnies minoritaires inquiète les responsables gouvernementaux, provoquant fréquemment une répression sévère. Ces ethnies aspirent à leur indépendance et certaine s’étaient alliées avec les Américains contre les communistes.

Dans ces provinces, il est difficile d’obtenir une approbation gouvernementale pour un nouveau lieu de culte ou pour des activités religieuses. Certains dirigeants locaux craignent que les responsables religieux ne jouissent de plus d’autorité au sein de la population qu’eux-mêmes. Certains
sont tout simplement d’esprit rétrograde, pensant qu’il est nécessaire d’avoir la main lourde pour mieux contrôler les choses. Cet état d’esprit conduit parfois à des actes de brutalité policière, qui, au lieu de régler les conflits, les aggravent. Un fonctionnaire de niveau national s’est franchement plaint de l’incompétence de certains responsables locaux. Quel que soit le cas, il est très rare que le gouvernement central intervienne pour protéger les communautés religieuses contre les abus commis en province. Les détenteurs de l’autorité locale sont rarement tenus de rendre compte de leurs actions.

4.) La confiance pouvant être un facteur décisif dans l’élimination des problèmes avec les autorités locales, certains responsables religieux s’efforcent d’établir des relations personnelles avec des représentants du gouvernement. Un responsable ecclésiastique nous a dit comment, grâce à un ami policier, il a été présenté au membre de la police en charge de la religion dans sa région. Il a ensuite invité celui-ci aux services célébrés dans son église. Il avait pour objectif d’établir la confiance grâce à la transparence et au dialogue. Les organisations de caractère hiérarchique comme l’Eglise catholique sont mieux équipées pour ce type de relations. Les responsables d’Eglise peuvent, en effet, parler avec autorités au nom de leurs ouailles. La confiance et la compréhension, lorsqu’elles règnent des deux côtés, peuvent aider à dissiper les soupçons et, finalement, conduire les responsables locaux à changer de comportement. Malheureusement, ce processus est le plus souvent très exigeant en temps.

Le Vietnam et la liberté religieuse, un enjeu de taille pour la région

Quand la confiance fait défaut et que la défiance domine, la présence du gouvernement dans les affaires religieuses paraît menaçante. En fait, un certain nombre de personnes avec qui nous nous sommes entretenus nous ont affirmé avoir reçu la visite des représentants du gouvernement avant notre rencontre. Il était clair qu’il s’agissait d’un message des autorités qui s’inquiétaient de ce que les personnes en question pouvaient dire à une délégation du gouvernement des Etats-Unis. Quelques-uns des invités de la délégation se sont éloignés de leur domicile la nuit précédant la rencontre afin que la police ne puisse pas les empêcher de quitter leur demeure.

Les responsables religieux vietnamiens tentent avec plus ou moins de succès de tenir compte des quatre conditions énumérées ci-dessus pour survivre. Mais la situation concrète est évidemment loin de la liberté religieuse idéale telle qu’elle est exposée dans le droit international.

Depuis les jours sombres qui ont suivi la prise de pouvoir communiste de 1975, la liberté religieuse au Vietnam a fait des progrès, ce qui permet d’envisager comme possibles des améliorations réelles et durables, répondant aux normes internationales. Il est également clair que les autorités vietnamiennes désirent entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis. Elles savent que la liberté religieuse est une question qui nous est chère. Beaucoup de fonctionnaires se rendent compte que les mauvais traitements infligés aux croyants sont sans aucune valeur s’ils contribuent à envenimer les relations de leur pays avec les Etats-Unis. Mais trop de détenteurs du pouvoir continuent de croire que les méthodes brutales constituent sont la meilleure façon d’agir.

La façon dont le Vietnam respecte et protège la liberté religieuse a des conséquences bien au-delà des frontières du pays. Les violations de la liberté religieuse sont monnaie courante dans toute l’Asie du Sud-Est. Les voisins du Vietnam – tout particulièrement le Laos, dirigé, lui aussi, par un gouvernement communiste et imitant scrupuleusement le Vietnam en matière de droits et libertés – prêtent une attention particulière aux actions du Vietnam et à leur impact sur les relations avec la communauté internationale, y compris les Etats-Unis. De toute évidence, le Vietnam constitue un enjeu de taille.

La liberté religieuse au Vietnam répondra-t-elle, un jour, aux normes internationales, ou sera-t-elle l’objet d’améliorations conséquentes ? Une loi sur la religion qui confirmerait le statu quo serait une mauvaise nouvelle. Toutefois, si elle diminuait le nombre des conditions exigées par le gouvernement pour obtenir une reconnaissance officielle ou rendre compte aux autorités gouvernementales des activités régulières d’une religion, ce serait un signe que les choses évoluent dans la bonne direction. Mais à moins que le gouvernement ne renonce au traitement interventionniste et brutal qu’il fait subir aux organisations religieuses indépendantes, que celles-ci soient enregistrées ou non, personne ne peut dire que ce pays ait atteint le niveau de liberté religieuse requis d’un Etat en vertu du droit international.

(eda/jm)