Eglises d'Asie – Philippines
A Manille, une Semaine Sainte placée sous le signe des plus pauvres et de l’écologie
Publié le 24/03/2016
… archevêque de Lingayen-Dagupan et président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), a invité les fidèles catholiques à vivre plus intensément encore la Semaine Sainte, en ne se contentant pas seulement de vivre la ferveur populaire des célébrations, mais en s’impliquant personnellement auprès des plus faibles de la société philippine. « Ces pèlerinages auprès des plus pauvres ajoutent de la sainteté à notre temps », a-t-il affirmé.
Une Semaine Sainte qui, dans la région de Manille, semble se placer sous le signe de la spiritualité franciscaine, avec d’une part, une attention particulière donnée aux plus faibles : pauvres, victimes, prisonniers et, d’autre part, une attention portée spécialement aux causes écologiques et à la « sauvegarde de la Création ».
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Habitants de Happyland (Photo de Patricia Nabong)
Lundi Saint, le 21 mars, à Tondo, un des plus grands bidonvilles de Manille, des habitants du quartier de « Happyland » ont organisé une marche baptisée « le Calvaire des citoyens », en direction de la capitale. Leur but : protester contre une vaste zone de deux hectares de stockage de charbon, installée en plein milieu de leur quartier, depuis deux ans.
« Ce qui nous arrive, c’est ce qui est arrivé à Jésus, avant qu’il ne soit mis à mort sur la croix. Lui a été fouetté ; nous, nous sommes frappés continuellement par les maladies », a confié à l’agence Ucanews, Jennifer Merin, une habitante du quartier, alors que son fils de huit mois, hospitalisé à plusieurs reprises, souffre de crises d’asthme répétées du fait des poussières de charbon. Selon les habitants du quartier, trois enfants du quartier sont déjà morts du fait des inhalations toxiques liées à l’entreposage du charbon, et de nombreux habitants souffrent de troubles respiratoires et de maladies cutanées.
En février dernier, les autorités avaient ordonné la fermeture de cette zone de stockage, mais, d’après les habitants du quartier, les opérations dirigées par la firme multinationale Rock Energy international Corp. perdurent malgré l’interdiction. « Cette communauté crie vers le Ciel pour que justice soit faite contre les péchés honteux de la cupidité. C’est un défi pour notre conscience chrétienne, celui de nous repentir et d’être juste », a expliqué le P. Edwin Gariquez, secrétaire à l’Action sociale de la Conférence épiscopale des Philippines (CBCP).
Sauvegarder la Création et protéger« notre mère la terre »
Légende : un manifestant portant une croix, en tête de la manifestation, à Manille (Photo by Jimmy Domingo)
Le Mercredi Saint, 23 mars, à Quezon City, dans la banlieue nord de Manille, une marche pour dénoncer les conséquences sur l’environnement des décharges à ciel ouvert, a été organisée du siège du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles, jusqu’au centre de Manille.
Un homme portant une croix se trouvait en tête du cortège. « Cette croix est le symbole des souffrances infligées à notre Mère la Terre, du fait de l’échec de nombreuses municipalités à gérer, nettoyer et recycler les déchets polluants au sein de notre pays », a expliqué le P. Robert Reyes, franciscain, ajoutant que « le poison des déchets est une lourde croix portée par de nombreux Philippins ».
Selon une ONG philippine, la National Solid Waste Management Coalition, au moins 50 plaintes provenant de 13 régions différentes ont été déposées contre 600 représentants locaux de l’Etat, pour violation des lois régissant la gestion des déchets. Les décharges à ciel ouvert, bien qu’interdites, sont en effet pratiquées par de nombreuses municipalités, ce qui n’est pas sans conséquences sanitaires et sociales pour les riverains.
« La terre, notre maison, ressemble de plus en plus à une immense montagne d’ordures », pouvait-on lire sur les banderoles des manifestants. Pour Aileen Lucero, militante écologiste, présente lors de la marche, « les décharges à ciel ouvert contribuent à enterrer des communautés entières du fait des poisons et des émanations de fumées très toxiques inhalées par les hommes et tous les êtres vivants. Nous demandons la fin de la crucifixion quotidienne de notre Mère la Terre, dans notre société du jetable », a-t-elle précisé.
Selon les statistiques nationales, la métropole de Manille produit plus de 9 000 tonnes de déchets quotidiens, et le pays, un peu plus de 40 000 tonnes par jour. Face à ce volume d’ordures, « nous ne pouvons que prier et espérer que le combat écologique triomphera de la culture du déchet et de l’apathie générale, qui profane et tue la Création de Dieu », a confié le prêtre franciscain.
Visiter les rejetés de la société
A Manille, ce même Mercredi Saint, Mgr Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, se rendait à la Manila City Jail, une des prisons les plus surpeuplées des Philippines, afin de visiter les détenus. « Ne perdez pas espoir. Tous, y compris moi-même, commettons des erreurs. Nous sommes tous capables de trahison, mais n’oublions pas que nous sommes également capables d’aimer », a-t-il dit aux prisonniers. « N’oublions pas que nous avons péché comme Judas et Pierre, mais n’oublions pas non plus que nous pouvons agir comme Jésus, lui qui, bien que nous n’en soyons pas dignes, prend soin de nous comme ses amis », a-t-il ajouté.
Avant de célébrer la messe, le cardinal Tagle, accompagné de Mgr Giuseppe Pinto, nonce apostolique aux Philippines, a ouvert la Porte Sainte de la chapelle de la prison. « En franchissant cette porte de la miséricorde, entrons dans le cœur de Jésus, et alors nous pourrons ressentir combien Dieu nous aime et a offert sa vie pour nous. » Mgr Tagle a ensuite invité les détenus à prier pour leurs familles et leurs proches, « également blessés », afin qu’ils puissent, eux aussi, goûter à l’espérance et à la miséricorde de Dieu.
« J’invite chacun d’entre vous à ouvrir votre cœur aux autres. Vous êtes comme une famille ici. Répandez l’amour de Dieu à chacun d’entre vous (par le service) », a appelé Mgr Tagle, alors que la dureté et la violence sont le quotidien des détenus, dans cette prison qui compte près de 3 000 prisonniers – dont des familles et des enfants – pour une surface d’à peine 1,2 hectare.
A la fin de l’Eucharistie, les détenus, en chœur, ont fait leur la prière de saint François d’Assise : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix, là où est la haine, que je mette l’amour. Là où est l’offense, que je mette le pardon… », moment visiblement bouleversant pour Mgr Tagle, très ému et au bord des larmes.
(eda/nfb)