Eglises d'Asie

Pollution maritime au Centre-Vietnam : nombreuses protestations et manifestations dans les milieux catholiques

Publié le 10/05/2016




La pollution des côtes du Centre-Vietnam a débuté aux premiers jours d’avril 2016, il y a déjà plus d’un mois. L’environnement maritime de cinq provinces a été gravement pollué par des substances toxiques qui, à l’heure actuelle, ont provoqué la mort de millions de poissons ainsi que la détérioration …

… de la qualité du sel de mer. A l’origine de la catastrophe, on pointe du doigt les eaux usées déversées par un complexe sidérurgique installé à Vung Ang, dans la province de Ha Tinh, appartenant à des investisseurs taïwanais.

Dès le début de l’affaire, après les premières constatations de pollution maritime, les soupçons se sont rapidement portés sur ce complexe sidérurgique taïwanais du nom de Formosa. Les dénonciations ont été reprises par la presse officielle. Dans les derniers jours du mois, des protestations et des manifestations se sont produites. La première a eu lieu à Canh Duong, dans le Quang Binh. Les pêcheurs ont bloqué la route nationale 1A. Le 1er mai, des manifestations ont eu lieu à Hanoi et à Saigon. Des milliers de personnes sont descendus dans les rues pour protester contre la catastrophe et exiger des éclaircissements sur le drame. Dans la nuit du 2 mai, le gouvernement a annoncé la distribution de 4 500 tonnes de riz pour les pêcheurs en haute mer. Le gouvernement annonçait aussi un peu plus tard l’inspection du système des eaux usées du complexe sidérurgique de Formosa.

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Après une première intervention du président de la Conférence épiscopale sur ce sujet, le 30 avril 2016, c’est surtout dans le diocèse de Vinh, où se trouvent plusieurs des provinces concernées par le fléau, que les milieux catholiques ont fait entendre leur voix. Un cri d’alerte accompagné de propositions de solutions provisoires a été lancé le 27 avril par la Commission diocésaine ‘Justice et Paix’. Le 3 mai, sept prêtres du district de Ky Anh (province de Ha Tinh) ainsi que 18 000 laïcs ont signé une lettre destinée aux autorités locales et à l’Assemblée nationale décrivant la situation catastrophique de la population de la région depuis le début du fléau. La lettre proposait aussi un certain nombre de solutions.

Le lendemain 4 mai, Mgr Nguyên Thai Hop, évêque du diocèse de Vinh et responsable de la Commission nationale ‘Justice et Paix’, venait les soutenir publiquement dans une interview accordée à Radio Free Asia en langue vietnamienne. Il a montré qu’il était parfaitement informé de la situation et s’est montré sévère à l’égard de la politique pratiquée par les instances gouvernementales à l’égard des responsables de cette catastrophe sans précédent.

Interrogé pour savoir si la requête signée par les sept prêtres et des milliers de laïcs de Ky Anh, le 3 mai dernier, serait entendue, il a ainsi répondu : « Oui ! Car, grâce à cette lettre, provoquée par « une dernière goutte qui a fait déborder le vase », le problème va être porté sur « la scène internationale ». Il prendra ainsi une dimension qu’elle n’a jamais eue auparavant et peut-être que l’on commencera à réfléchir !
En réalité le problème est apparu il y a déjà un mois. A cette date, les poissons ont commencé à mourir. Or, c’est maintenant que l’on commence à étudier les problèmes, à réfléchir. Un certain nombre de fois, j’ai averti les autorités : « Comment prétendre diriger un pays de cette façon-là ! ! Comment se fait-il que maintenant seulement les scientifiques réfléchissent au problème ! Et pourquoi recourir à l’hypothèse de la marée rouge ! Si cette hypothèse se vérifie, cette marée se serait produite il y a plus d’un mois lorsque les poissons ont commencé à mourir. Cette hypothèse est-elle destinée à se justifier ou tout simplement à faire durer le problème ?
Dans ce contexte, je comprends les réactions, les sentiments des prêtres du doyenné de Ky Anh. Ce sont des personnes qui vivent auprès d’une population qui vit, pour la majorité de ses membres, grâce aux ressources de la mer. Devant une telle situation, ils ne peuvent qu’être très préoccupés ! Maintenant, après le poisson c’est le sel qui est touché… Ensuite les substances toxiques vont pénétrer la terre… Dans l’avenir, le paddy, le sel… Que vont-ils devenir ? Jusqu’où ira l’empoisonnement ? Cela est véritablement angoissant. On peut donc comprendre la préoccupation de mes confrères prêtres ! »

Radio Free Asia : La tradition dans les paroisses catholiques est de s’aider mutuellement en cas de catastrophe. Que fera-t-on dans le diocèse ?

Comme vous le dites, en cas d’inondation, nous distribuons de la nourriture, des vêtements, des couvertures. Mais, ce qui est concerné aujourd’hui c’est l’environnement, l’environnement de vie … Les dégâts ne sont pas seulement momentanés, ils auront des effets lointains. Ils seront durables. Cela nous préoccupe beaucoup. Nous voudrions que les autorités parlent plus clairement avec la population. Il ne doit pas y avoir de profit, ou de clause signée avec une entreprise d’un pays étranger qui puisse leur faire oublier leur propre peuple, leur faire oublier l’avenir de leur propre jeunesse ! Pourquoi avoir choisi Formosa et le moment où ils sont associés avec les Chinois dans leur pays ? Pourquoi avoir choisi de telles entreprises, pourquoi avoir choisi de tels partenaires ?
Voilà les points sur lequel il nous faut réfléchir.
Il y a un certain nombre de propositions que nous avons présentées aux autorités compétentes qui les ont bien accueillies. Par exemple, nous avons pensé qu’après la période de pollution, on ne pourra pas savoir quels sont les poissons sains, ceux que l’on peut manger et les non-comestibles. Les poissons qu’on pêchera alors au large et que l’on rapportera sur la côte, personne ne voudra les acheter, rien ne certifiant qu’ils sont comestibles. Ce qui amènerait à des troubles. Nous avons proposé que ces poissons soient placés dans des locaux du gouvernement qui existent déjà. C’est là que seront délivrés les témoignages précisant si le poisson est pollué ou non.
Un deuxième problème plus important est de connaître l’origine des substances toxiques. Mais, à l’heure actuelle, il n’y a plus de raison de chercher, car l’eau est devenue propre. La substance toxique a été déversée il y a un mois. Il faut fouiller dans les sédiments en profondeur. Je suggère que l’on fasse preuve de plus de franchise avec le peuple pour régler ce problème sur les bases de l’esprit scientifique et dans le respect de la vérité.

Radio Free Asia : Ces jours-ci, lorsque vous rencontrerez les laïcs et nos compatriotes dans les diverses régions sinistrées, quel sera le contenu de vos entretiens avec eux ?

Dans mes entretiens avec eux, je leur dirai peut-être que l’heure est venue d’appliquer le commandement de l’amour mutuel du Seigneur sous un aspect nouveau : nous serons compatriotes les uns des autres en ne produisant pas d’aliments pollués. Les producteurs de légumes n’utiliseront pas de substances toxiques. Les riziculteurs feront de même, ainsi que les vendeurs de poissons (…).
Nous nous contentons de conseiller aux gens de s’aimer les uns les autres, de faire en sorte de lutter contre ce que les gens leur ont fait subir, guidés par la recherche d’un profit immédiat et en oubliant totalement les valeurs fondamentales, la morale. Que la recherche du profit ne leur fasse pas oublier les exigences de leur conscience !
Je souhaite que, désormais le peuple vietnamien produise d’une alimentation saine, authentique qui permette la subsistance de tous… Que les Vietnamiens fassent en sorte de voter (les élections législatives ont lieu au mois de mai) pour des représentants dignes de servir le peuple et la patrie.


Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Vinh
Xa Doai, le 27 avril 2016
Communiqué à propos de la pollution de l’environnement maritime du Centre-Vietnam

«… (Notre mère, la terre) crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui « gémit en travail d’enfantement » (Bm 8, 22) » (pape François, Laudato si’, 02).

Ces derniers temps, la population du Centre-Vietnam a été témoin des gémissements de douleurs de la mer lorsque des tonnes de poissons morts à cause de la pollution de l’environnement marin sont venues s’échouer sur le rivage. Tout le travail dépensé pour l’élevage des poissons depuis des générations par des milliers de foyers s’est vu en un instant annihilé. Des milliers d’hectares de bassin d’élevage pour poissons et fruits de mer ainsi que les marais salants ont été touchés par le fléau. La nourriture polluée s’est répandue. Les professionnels du poisson ainsi que le tourisme en subissent les conséquences néfastes. Bien plus encore, la santé et la vie de millions de personnes sont menacées. Quel sera le destin du peuple vietnamien lui-même lorsqu’il faudra vivre dans un environnement maléfique que même crevettes et poissons, avec les robustes facultés naturelles qui sont les leurs, ne peuvent supporter ? Les faits récents ne constituent pas seulement un événement dangereux. Ils sont une catastrophe pour la génération actuelle et pour toutes celles à venir.

De nombreux jours se sont écoulés depuis le début fléau. La population vit dans la misère, l’inquiétude. Elle cède à l’exaspération car les organes officiels compétents restent sans réaction, n’ayant pas encore publié de déclarations officielles précisant le motif de la catastrophe. Les autorités régionales restent muettes, dans une totale irresponsabilité tandis qu’un certain nombre de fonctionnaires répètent obstinément certaines déclarations paradoxales méprisant le sort des personnes et la loi.

Face à cette situation, la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Vinh, consciente de sa responsabilité présente aux autorités les requêtes suivantes :
1.) la création, en urgence, d’une commission d’enquête indépendante, conseillée par des spécialistes issus du pays ainsi que des institutions internationales compétentes dans le domaine de la protection de l’environnement. La commission enquêtera sur les causes de la pollution et en même temps sur les solutions satisfaisantes pouvant mettre un terme au fléau, actuellement et dans l’avenir.
2.) en attendant que soit trouvée une solution intégrale au problème, il faut rapidement appliquer les mesures provisoires pour surmonter la catastrophe. Il faut, provisoirement, arrêter les activités des centres industriels, des usines rejetant des déchets dans la mer. Il faut porter assistance aux pêcheurs, aux foyers élevant poissons et fruits de mer, aux possesseurs de salines et aux entreprises afin que tout ceux-ci puissent mener une vie normale et continuer d’exercer leur profession. (…)
3.) il faut déterminer clairement où sont les responsabilités et prendre des sanctions sévères contre les organisations et les individus responsables de cette catastrophe. Tant que les autorités n’ont pas encore protégé convenablement les intérêts de la population, nous appelons chacun à se protéger lui-même.

Frères et sœurs, priez et, dans la solidarité, partager les épreuves avec vos amis à l’occasion de cette catastrophe pour parvenir à un développement harmonieux et durable dans lequel l’homme comme la nature sont également respectés, nous appelons les individus, les organes compétents les entreprises et l’ensemble des hommes à collaborer ensemble pour l’avenir de notre nation est en vertu de notre responsabilité à l’égard de l’environnement.

Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Vinh

(eda/jm)