Eglises d'Asie

DOCUMENT ANNEXE : RÉCIT DETAILLÉ DU PROCÈS DU P. NGUYÊN VAN LY

Publié le 18/03/2010




Dans l’après-midi du 29 mars, de nombreux agents de la Sûreté ont pénétré dans la petite paroisse de Bên Cui. Un certain nombre d’entre eux se sont postés devant les maisons du village, ne laissant personne entrer ou sortir. D’autres sont allés à l’église pour y chercher le P. Nguyên Van Ly. Il était environ 14 h 30. Lorsqu’il a été amené, le prêtre portait une soutane noire et était escorté par deux agents de la Sûreté, qui le soutenaient à sa droite et à sa gauche. A un moment donné, le prêtre a crié pour donner l’alerte. On lui a alors fermé la bouche et entouré le corps d’une pièce d’étoffe. Il a été ensuite poussé dans une voiture à sept places, qui attendait sur le parvis de l’église et a aussitôt démarré en trombe.

Plus tard dans l’après-midi, à 18 heures, le deuxième coaccusé, M. Nguyên Phong, a également été amené par la Sûreté, menottes aux mains. Quelques jours auparavant, un certain nombre d’agents de la Sûreté étaient venus le voir pour lui annoncer que, dans la matinée du 30 mars, ils reviendraient chez lui et l’emmèneraient prendre son petit déjeuner avant de se rendre au tribunal. Les trois autres coaccusés, M. Nguyên Binh Thanh, Melle Hoang Thi Anh Dao, Melle Lê Thi Lê Hang, ont été conduits de chez eux au tribunal, chacun escorté par quatre policiers, mais sans menottes, le 30 mars au matin à 5 h 40. Une voiture les a conduits directement au tribunal provincial, 15 A, rue Tôn Duc Thang, à Huê, où ils sont arrivés vers 6 heures. Là, ils ont tous attendus dans la voiture jusqu’à 7 heures, heure à laquelle ils ont été directement conduits au tribunal. Auparavant, ils avaient été avertis oralement de ne pas s’habiller en blanc…

 

Sur le coup de 6 heures du matin, quelques paroissiens d’An Truyên, ancienne paroisse du P. Ly, qui étaient venus de bonne heure et se tenaient dans le jardin public faisant face au tribunal, virent soudain une voiture s’arrêter devant la porte du tribunal. Lorsque la porte s’ouvrit, ils virent le P. Ly résister à deux agents de la Sûreté qui le poussaient de toutes leurs forces vers le tribunal. De nombreux fidèles venus de diverses paroisses situées autour de Huê, comme Phu Cam, Me Hang Cuu Giup, Nguyêt Biêu et d’autres plus lointaines, se sont peu à peu assemblés devant le tribunal et ont demandé à entrer. La police, après leur avoir demandé leur carte d’invitation qu’ils ne purent fournir, les refoula. Ils se replièrent alors dans le jardin public. Ils en furent chassés peu à peu par la police, qui, auparavant, avait pris soin de les photographier et de les enregistrer. D’autres fidèles avaient été bloqués dans les rues adjacentes. Selon des estimations approxima-tives, le nombre d’agents de la Sûreté mobilisés à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audience devait approcher les 500, sans compter ceux qui se trouvaient dans le jardin devant le tribunal, dans des postes de garde à 150 m de là, dans les cafés du quartier et aux carrefours des rues. De plus, des forces de police avaient été placées dans les paroisses classées « brûlantes ».

 

Le procès a débuté à 7 h 30 et s’est achevée à 11 h 30. En dehors des cinq accusés, étaient présents le président du tri-bunal, Bui Quôc Hiêp, les assesseurs populaires et le repré-sentant du parquet ; il y avait également quelques personnes placées là en guise de témoins, des représentants du corps diplomatique, un petit nombre de journalistes de la presse internationale et des employés des services d’information. Les plus nombreux étaient incontestablement les agents de la Sûreté. Les avocats de la défense étaient totalement absents, ainsi que les membres des familles des accusés. Il n’y avait pas non plus de représentant de l’archevêché de Huê.

 

Alors que le président du tribunal se préparait à annoncer l’ouverture du procès, deux agents de la Sûreté en uniforme ont traîné le P. Nguyên Van Ly, qui refusait d’avancer jus-qu’à la salle d’audience et l’ont placé sur une chaise de la première rangée. Le prêtre était vêtu d’une chemise violet-te, d’un pantalon et de sandales. Ses mains étaient menot-tées. Son visage paraissait résolu et ses yeux brillaient d’un éclat difficile à soutenir. Alors que le président du tribunal prononçait l’ouverture du procès, le prêtre, en guise de protestation, se mit à réciter à haute voix un poème intitulé : « Le tribunal communiste vietnamien » (poème qu’il avait préparé et diffusé les jours précédents) :

 

« Le tribunal communiste vietnamien,
une farce ignoble
dont on n’aura jamais fini de rire.
Les magistrats, cette bande de primates,
ces valets à la solde, qui veulent-ils juger ? »

 

Au quatrième vers du poème, un policier lui appliqua la main sur la bouche. Il fut entraîné hors de la salle d’au-dience et amené dans une salle d’isolement toute proche d’où il pouvait suivre le déroulement du procès par des haut-parleurs. Cette première apparition du P. Ly dans la salle d’audience avait duré cinq minutes.

 

Il revint une deuxième fois lorsque le président de séance appela les accusés à la barre pour y confirmer leur état civil. Deux policiers traînèrent le prêtre, en le soulevant, depuis la salle d’isolement jusqu’à la barre. Le prêtre se débattit alors de toutes ses forces, frappa même la barre de son pied, tout en criant : « C’est ce tribunal, ce parquet, ce service de la Sûreté, ce régime communiste qui devra répondre de ses fautes devant l’histoire et la nation vietnamienne. Il n’y au-ra pas d’échappatoire. Au lieu de former un peuple fier et héroïque, le communisme, en l’opprimant de mille maniè-res, en a fait un peuple lâche et peureux. Il a considéré cela comme une victoire, une réussite. » Comme à ce moment-là, la voix du prêtre était enrouée et la salle d’audience très bruyante, seules quelques personnes l’ont entendue claire-ment. Il allait continuer à parler lorsqu’un agent de la Sûre-té se précipita pour lui appliquer la main sur la bouche. Deux agents le soulevèrent à nouveau et le traînèrent hors de la salle d’audience. Ce second épisode avait duré à peu près 10 minutes.

 

Lorsque le président de la séance demanda aux accusés de prononcer leur déclaration, le P. Ly fut ramené dans la salle d’audience. Il réagit alors en criant deux fois : « A bas le Parti communiste ! » Il se préparait à prononcer le « dernier témoignage », un texte préparé à l’avance et déjà diffusé. Mais, de nouveau, un agent l’empêcha de parler en plaçant une main sur sa bouche. On le conduisit encore dans la salle attenante au tribunal, où il resta jusqu’à la fin du procès. Durant ces diverses apparitions dans la salle d’audience, le P. Ly est toujours resté assis pour marquer son dédain. A plusieurs reprises, depuis la salle où on l’avait relégué, on a pu entendre le rire du prêtre qui entendait tout ce qui était dit dans la salle d’audience. Le même agent de police l’a alors interrompu par trois fois en en lui plaçant la main devant la bouche.

 

Dès le début, il avait été déclaré que le procès serait public, mais il ne le fut que par intermittence. Les journalistes de la presse internationale et quelques représentants de l’ambassade de Norvège et du consulat des Etats-Unis ne furent admis dans la salle d’audience que quelque cinq minutes, lorsque le président de la séance annonça l’ouverture du procès, puis dix minutes encore lors de la lecture de la condamnation. Le reste du temps, ils ne purent suivre le procès que sur un écran placé dans une salle située à proximité de la salle d’audience.

 

Aucun parent n’était là. Les épouses de deux des coaccusés, Nguyên Phong et Nguyen Binh Thanh, non seulement ne furent pas invitées dans la salle d’audience, mais furent chassées du jardin public près du tribunal lorsque la police les eut identifiées. Cette attitude de la police ayant provoqué les protestations de la foule, plusieurs parents des accusés furent amenés au poste.

 

En l’absence d’avocats, les accusés auraient dû se défendre eux-mêmes. Ils n’en eurent pas l’autorisation. Ceux qui voulurent le faire en furent empêchés par des policiers en uniforme qui les repoussèrent loin de la barre. Les seules réponses autorisées aux questions posées étaient « oui » ou « non ». Aussi bien, le juge n’interrogea les inculpés que très sommairement, sans leur laisser le temps d’exposer leurs idées, leurs positions, les motifs profonds qui les animaient. Quiconque mentionnait la démocratie, les droits de l’homme reconnus dans les conventions internationales était immédiatement interrompu. Malgré cela, les quatre coaccusés ont réagi avec calme et sans agressivité, mais avec résolution. Ainsi, à un moment donné, Nguyên Phong (qui sera condamné à six ans de prison) a levé ses deux mains menottées, en déclarant : « Jusqu’à ma mort, je lutterai pour les droits de l’homme et je maintiendrai le Parti du progrès pour le Vietnam. » Un policier l’empêcha de continuer. Nguyên Binh Thanh, quant à lui, déclara : « Interrogez donc l’opinion internationale pour savoir quel crime nous commettons en luttant pour la liberté et les droits de l’homme ? » Lui aussi fut interrompu par les agents de la Sûreté qui le repoussèrent loin de la barre. Craignant que les deux jeunes femmes élèvent aussi la voix, la cour s’est retirée précipitamment pour délibérer.

 

Après vingt minutes de délibérations, la séance a repris. Le président de séance a lu la sentence en l’absence du P. Ly qui a pu cependant l’entendre dans le réduit où il était gardé.

 

Le P. Nguyên Van Ly a été condamné à huit ans de prison ferme, plus cinq ans de résidence surveillée.
M. Nguyên Phong à six ans de prison, plus trois ans de résidence surveillée.
M. Nguyên Binh Thanh à cinq ans de prison, plus deux ans de résidence surveillée.
Melle Hoang Thi Anh Dao à deux ans de prison avec sursis, plus trois ans de mise à l’épreuve.
Melle Lê Thi Lê Hang à un an et demi de prison avec sursis, plus deux ans de mise à l’épreuve.

 

Avec la sentence, le procès s’est achevé et l’assistance s’est dispersée. Quatre agents de la Sûreté sont venus passer des menottes à Thanh et à Phong, à qui on les avait retirées durant le procès et qui ont été ensuite conduits avec le P. Ly jusqu’à une voiture qui les a emmenés dans le lieu où ils sont internés. Quant aux deux jeunes femmes, elles sont rentrées chez elles, mais jusqu’à présent, où qu’elles aillent, elles sont suivies par la police.