Eglises d'Asie

Le P. Thaddée Nguyên Van Ly porte plainte contre l’Etat vietnamien

Publié le 12/06/2010




Après sa sortie provisoire du camp de Ba Sao, dans la partie Nord du Vietnam, où il purgeait une peine de huit ans de prison, et son retour à Huê, le 15 mars dernier (1), le P. Thaddée Nguyên Van Ly s’est abstenu pendant près de trois mois de toute déclaration publique et n’a commenté aucun des événements ayant marqué l’actualité de son pays. Le site Internet des rédemptoristes du Vietnam vient de publier son premier texte (2), …

… daté du 8 juin 2010. Celui-ci n’a encore reçu aucun écho de la presse officielle, qui sans doute le connaît. Il est intitulé : « Plainte du prêtre – prisonnier de conscience, Thaddée Nguyên Van Ly, contre les détenteurs du pouvoir communiste au Vietnam pour avoir été arrêté et détenu en contradiction avec le droit international – et cela pour la quatrième fois – du 18 février 2007 jusqu’à une date encore indéterminée… »

 

Dans une première partie, intégralement traduite ci-dessous, le prêtre fait une longue mais significative énumération de ses séjours en camp et en résidence surveillée, qui ont constitué l’essentiel de son existence depuis 33 ans (1977 – 2010). Les dernières parties de la lettre, résumées plus bas, montrent que les activités qui lui ont valu plusieurs condamnations successives étaient en pleine conformité avec les conventions internationales sur les droits de l’homme. Il demande au « Tribunal international des droits de l’homme » (3), à qui il adresse sa plainte, de reconnaître cette innocence, de condamner les violations des droits de l’homme commises par les autorités vietnamiennes et de l’aider à récupérer les biens dont il a été privé lors de sa détention.

 

La plainte a été envoyée au « Tribunal des droits de l’homme des Nations Unies », en Suisse, à diverses organisations internationales de défense des droits de l’homme, et transmise à M. Nguyên Minh Triêt, président de la République socialiste du Vietnam et, à M. Nguyên Tân Dung, Premier ministre.

 

« Je suis le prisonnier de conscience Thaddée Nguyên Van Ly, prêtre de l’Eglise catholique romaine, dans le diocèse de Huê. Tout en étant assigné à résidence, je suis un traitement médical à la maison de repos de l’archevêché de Huê, 69 Phan Dinh Phung Huê. Je désire vous faire part des plaintes suivantes.

 

1.) Enumération des injustices subies : quatre détentions successives : dix-sept années de prison au total ; sept assignations à résidence : au total quatorze années.

 

a.) Le 18 août 1977, les détenteurs du pouvoir communiste au Vietnam m’ont arrêté et interné dans le camp de détention temporaire de Thua Phu, Huê, jusqu’au 24 décembre 1977. J’ai été arrêté pour avoir diffusé les deux déclarations de feu Mgr Philippe Nguyên Kim Diên, qui avait affirmé lors d’une réunion organisée par le gouvernement en 1977 qu’il n’y avait pas encore de véritable liberté religieuse au Vietnam. J’ai été ensuite assigné à résidence à l’archevêché de Huê pendant près d’un an (1977-1978), puis dans la paroisse de Doc So pendant deux ans (1981-1983).

 

b.) A la fin de l’année 1983, les détenteurs du pouvoir communiste au Vietnam m’ont condamné à dix ans de prison et trois ans d’assignation à résidence. J’ai été détenu dans le camp de détention provisoire de Thua Phu, Huê, et dans deux camps de rééducation, à savoir le camp K1 de Thanh Hoa et le camp K1, à Ba Sao dans le Ha Nam (du 18 mai 1983 au 29 juillet 1992). On m’a alors volé un sac entier d’ouvrages importants, un certain nombre de magnétophones et de radios sans que soit signé le moindre procès verbal. J’avais été arrêté cette fois-là pour avoir conduit des fidèles en pèlerinage à Notre-Dame de la Vang, le 13 août 1981, un pèlerinage interdit par la Sécurité.

 

A la fin de ma période de détention, j’ai été de nouveau astreint à la résidence surveillée, d’abord à l’archevêché de Huê (1992-1995), ensuite à la paroisse de Nguyêt Biêu pendant cinq ans (1995- 2001). Cette dernière assignation m’avait été infligée pour avoir écrit un manifeste sur la situation de l’Eglise catholique dans le diocèse de Huê (24 novembre 1994).

 

c.) A la fin de l’année 2001, les détenteurs du pouvoir communiste au Vietnam m’ont condamné à quinze ans de prison et à cinq ans d’assignation à résidence. J’ai d’abord été détenu au camp de détention provisoire de Thua Phu (Huê), puis au camp de Ba Sao (Ha Nam) (du 18 mai 2001 au 7 février 2005). Cette fois encore, j’ai été dépouillé d’un certain nombre de livres importants… comme d’habitude, aucun procès-verbal n’a été dressé… Cette fois-là, j’ai été condamné pour avoir aidé les fidèles de diverses paroisses à comprendre un certain nombre de choses concernant la liberté religieuse, la liberté d’expression, la liberté de candidature aux élections, l’attitude du citoyen (défense de la justice, des droits de l’homme et de la dignité humaine), en contradiction avec la doctrine du Parti qui s’attribue le monopole de la gestion et de la direction du pays. Après ma détention, j’ai accompli une nouvelle période d’assignation à résidence de deux ans (2005-2007) à l’archevêché de Huê, puis dans l’église de Ben Cui, près de Huê.

 

d.) Le 30 mars 2007, les détenteurs du pouvoir communiste au Vietnam m’ont à nouveau infligé une condamnation de huit ans de prison et de cinq ans de résidence surveillée. D’abord envoyé à Thua Phu, je rejoins ensuite le camp de Ba Sao dans le Ha Nam. J’y ai séjourné du 29 mars 2007 au 15 mars 2010. Avant cela, j’avais été encore dépouillé de nombreux livres, journaux et revues ainsi que de plusieurs appareils (dont je réclame la restitution au bas de cette plainte). Cette fois-ci, j’ai été condamné pour avoir diffusé des documents exposant la vérité au sujet de Hô Chi Minh, ainsi que des textes sur la justice, la démocratie, les droits de l’homme. J’avais aussi participé à la rédaction et à la publication d’une revue intitulée Liberté d’expression. A la même époque, j’ai été le cofondateur du mouvement 8406, dont le manifeste « Liberté et démocratie pour le Vietnam » a été publié le 8 avril 2006. J’ai aussi soutenu et fait connaître le parti Thang Tien.

 

Après avoir ainsi fait état de ses 33 années vécues en détention et en résidence surveillée, le prêtre souligne que sa lutte n’a eu qu’un seul but, à savoir l’obtention des droits de l’homme, de la liberté et de la démocratie pour ses compatriotes vietnamiens. Il demande au tribunal à qui il adresse sa lettre de faire droit à son combat.

 

La plainte du P. Ly cite ensuite longuement les divers accords internationaux sur les droits de l’homme, dont plusieurs ont été signés par le gouvernement vietnamien. Comme il l’avait déjà fait au lendemain de sa libération, il rappelle que Marx a écrit Le Capital sans être inquiété par les Anglais, que Hô Chi Minh a milité pour l’indépendance du Vietnam en France et que même le colonialisme français avait laissé s’imprimer les journaux préconisant l’indépendance. En conclusion, il se déclare entièrement innocent, n’ayant jamais accompli que des actions considérées comme légitimes et même louables selon les accords et règlements internationaux. Le véritable coupable est le pouvoir communiste vietnamien qui a outrageusement violé des accords internationaux auxquels il a lui-même adhéré, argumente-t-il.

 

La dernière partie de la lettre expose dans le détail un certain nombre de revendications du prisonnier de conscience. Après en avoir fait une revue détaillée, il demande la restitution complète d’un certain nombre d’objets dont il a été dépouillé au moment de ses arrestations ou pendant sa détention. II demande aussi une juste compensation pour les séquelles physiques et morales de ses longs séjours dans les camps et les prisons.