Eglises d'Asie

Mgr Thomas Menamparampil, un bâtisseur de ponts

Publié le 23/06/2016




Mgr Thomas Menamparampil est né le 22 octobre 1936, à Pala, en Inde. Salésien (SDB), évêque de Dibrugarh, en Assam, pendant onze ans et archevêque de Guwahati, en Assam également, pendant vingt ans, il a pris sa retraite en janvier 2012. En février 2014 toutefois, le pape François l’a rappelé …

… pour le nommer administrateur apostolique du diocèse de Jowai, dans l’Etat du Meghalaya. Missionnaire obéissant, Mgr Thomas bien sûr a accepté cette nouvelle mission. Bâtisseur de ponts, engagé de longue date dans la résolution des conflits, nombreux dans ce Nord-Est de l’Inde si particulier, il est une figure majeure de l’Eglise catholique en Inde.

Mgr Menamparampil répond ici aux questions du P. Dave Domingues, missionnaire combonien. L’entretien est paru dans le numéro de juin 2016 de World Mission, mensuel publié aux Philippines. La traduction française est de Marguerite Jacquelin.

 

World Mission : Mgr Menamparampil, qui êtes-vous ?

Mgr T. Menamparampil : Si vous voulez la vérité, demandez à ceux qui me critiquent. Mes amis sont trop polis pour me critiquer. Quant à moi, il me semble que je ne suis qu’un « simple missionnaire ». Je rêve de devenir un « ME », un véritable « missionnaire engagé ». Je crois que je n’ai encore jamais réussi à atteindre cet objectif. Mais je ne désespère pas.

Vous avez été archevêque de Guwahati durant vingt-deux ans, après avoir été évêque de Dibrugarh pendant une dizaine d’années. Comment avez-vous répondu aux besoins les plus urgents ?

En tant que premier évêque de Guwahati [diocèse érigé en 1992], j’ai vraiment dû partir de zéro. En arrivant, j’ai été nommé responsable de treize prêtres, répartis sur neuf districts très étendus, comprenant un total de plus de six millions de personnes. Cet ensemble ne comptait que quinze paroisses. Le personnel missionnaire n’était pas approprié, les institutions mises en place étaient encore très peu nombreuses, et les infrastructures loin de répondre à nos besoins. Et puis tout à coup, ce fut le miracle : des bénévoles sont arrivés, les idées ont fusé, notre petite équipe apostolique s’est donnée de nouveaux objectifs bien définis, l’enthousiasme des troupes est remonté en flèche. Des établissements dont nous n’avions jamais osé rêver ont été construits. Je parle là d’hôpitaux, d’écoles, de centres et de maisons de formations, de séminaires, et même d’une université, la toute première université catholique d’Inde si ça se trouve. Nous avons mis en place des services pour les enfants des bidonvilles, les enfants des rues, et les enfants handicapés (physiques ou mentaux), qui nous paraissaient inenvisageables auparavant. De nouvelles paroisses sont nées, les communautés se sont renforcées, et un nouveau diocèse (celui de Bongaigaon) a été créé. Et tout cela au beau milieu de tensions ethniques et de conflits intercommunautaires fréquents. Nous avons dû faire face à de nombreuses difficultés, mais nous avons toujours su garder notre esprit de collaboration. Je suis extrêmement reconnaissant envers mes collègues.

L’ouverture de nouveaux établissements catholiques n’a pas toujours été très bien accueillie, pour ne pas parler de fortes oppositions à certains endroits. Comment vous en êtes-vous sorti ?

Il est normal que des étrangers qui arrivent en force, sans raison apparente, dans une communauté rencontrent un peu d’opposition. Je conseille généralement à mes collègues d’aller se présenter aux chefs des tribus locales, d’aller à la rencontre du voisinage, d’expliquer à tous la nature des services qu’ils désirent offrir (sur les plans de l’éducation, de la santé ou du développement social). Quels que soient nos objectifs, nous devons calquer nos méthodes sur les systèmes déjà mis en place dans les endroits où nous intervenons. Il ne s’agit pas d’entrer en compétition avec les institutions locales. Nous devons veiller à rester ouverts et humbles dans tout ce que nous entreprenons. Notre objectif n’est pas celui d’une entreprise multinationale à la recherche du profit. Le plus souvent, l’opposition à laquelle nous avons affaire n’est pas dirigée contre l’Eglise à proprement parler, mais contre l’image négative qui y est attachée, véhiculée par des personnes pleines de préjugés. Lorsque celles-ci se rendent compte que nous respectons la culture locale, que nous communiquons facilement avec les gens, que nous ne revendiquons pas nos droits mais proposons des services appropriés de manière serviable, leur opposition s’adoucit, et finit même parfois par disparaître complètement. Des personnes qui, au début, ne voulaient pas de notre présence, viennent s’excuser. Créer et maintenir des relations d’amitié dans le voisinage est extrêmement important.

Le catholicisme s’est implanté de manière plutôt réussie dans la région Nord-Est de l’Inde. Qu’en pensez-vous ?

Il est difficile de mesurer le succès d’une opération. Mais de fait, nous avons été très satisfaits par la réponse de la population à l’annonce de l’Evangile. Cela a permis à l’Eglise de s’agrandir. Elle compte maintenant 15 diocèses. La communauté chrétienne n’a qu’un peu plus de cent ans, mais c’est l’une des communautés religieuses les plus dynamiques du pays. Partout, les services qu’elle propose sont respectés. Les institutions chrétiennes se sont multipliées, le nombre de publications religieuses a augmenté, des groupes de réflexion théologique sur des événements d’actualité ont été montés. Beaucoup de programmes nationaux ont lieu dans la région. On trouve des communautés catholiques dans les régions tribales les plus éloignées, les vocations augmentent, il y a de plus en plus de prêtres et de religieuses indigènes. Certains d’entre eux sont déjà en mission dans diverses régions du monde – du Mexique à la Mongolie.

Pouvons-nous parler de persécution des chrétiens en Assam ?

Je ne parlerais pas vraiment de persécution. Nous avons eu affaire à des cas de harcèlement mais ces accidents sont survenus de manières isolées, parfois à cause d’erreurs de notre part, ou parce que nous n’avions pas réussi à construire des relations suffisamment solides avec les communautés alentours. Bien sur, il existe des forces antichrétiennes, installées dans d’autres régions pour la plupart, qui cherchent à semer la discorde et qui appellent les personnes qui voient le développement de la chrétienté d’un mauvais œil à réagir. Je ne suis pas sûr que les confronter, les poursuivre devant les tribunaux pour faire droit aux atteintes à nos droits fondamentaux, les soumettre à la pression politique et à l’opinion internationale, soit la meilleure manière de traiter leur cas. Ces mesures restent tout de même des solutions de dernier recours, bien entendu.

Je ne pense pas qu’il soit bon de créer une atmosphère alarmiste au sein de la communauté chrétienne, faisant vivre les gens dans une tension permanente, prêts à se battre à tout moment. Cela serait contre-productif. Et c’est précisément ce que voudraient nos adversaires : diviser les communautés, pour qu’à la moindre provocation les plus forts puissent donner une bonne correction aux plus faibles. Il est bien plus sage de tenter de communiquer avec nos adversaires, d’apprivoiser les plus raisonnés d’entre eux, et de tirer profit de toutes les bonnes volontés présentes en Inde.

Il n’y a pas longtemps, des radicaux de droite ont violemment critiqué Mère Teresa. Ce sont nos amis hindous qui l’ont le mieux défendue, mieux encore que les plus fidèles de ses admirateurs chrétiens. Ce genre de chose était déjà arrivé en Inde. Souvenons-nous que la majeure partie de la communauté est empreinte d’une bonne volonté dont nous devrions savoir tirer profit. Nous ne devons pas formuler des plaintes exagérées qui ne feraient qu’humilier ou énerver nos opposants. Même nos plus grandes institutions doivent faire preuve de tact avec leurs associés et les personnes dont elles ont la charge, respecter leurs voisins et l’ensemble de la communauté.

Comment définiriez-vous votre approche de l’évangélisation ?

Beaucoup de chrétiens bien intentionnés n’ont pas compris la notion d’« évangélisation ». Ils la considèrent comme une forme de lavage de cerveau ou de prosélytisme. Selon moi, le but de l’évangélisation est d’aider les personnes qu’elle touche à atteindre pleinement leur stature humaine et spirituelle ; à découvrir véritablement leur personnalité, à guérir leurs blessures intérieures ; elle les invite à regarder de l’avant, et vers l’ultime destinée où Dieu les attend.

Jésus, tel que nous le présentons aux personnes que nous évangélisons, ne vient pas pour détruire ce qu’il y a de bon en eux, dans leur culture ou dans leurs traditions. Jésus vient perfectionner, au contraire, ce qu’il y a de bon, et combler les pierres d’attente de ces personnes et de ces communautés.

Les évangélisateurs les plus à même de toucher les foules sont ceux qui essayent véritablement de s’intégrer au sein des cultures étrangères, qui parlent de manière intelligente à leur auditoire en tenant compte de la sensibilité de chacun. Ceux-là écoutent plus qu’ils ne parlent. Ils n’ont pas besoin d’argumenter, de remettre en question ou de contester ; ils suscitent les réflexions, partagent leur conviction au Christ et en son message d’amour, avec humilité et bonté. C’est tout un processus de persuasion. Un simple chuchotement peut faire des miracles.

La variété ethnique de ces régions est une richesse immense, mais aussi un défi considérable pour le travail d’évangélisation. Qu’en dites-vous ?

C’est vrai, la région du Nord-Est de l’Inde est une région particulièrement diverse au plan ethnique et culturel. Plus de 300 ethnies différentes sont établies dans cette région. La diversité anthropologique est très intéressante, mais aussi déroutante pour les nouveaux venus. Les missionnaires peuvent être déstabilisés de se retrouver face à des personnes avec à la fois des cultures et des caractères différents. Lorsqu’ils sont mutés d’une paroisse à une autre, certains missionnaires doivent apprendre une nouvelle langue, ou s’accoutumer à un nouveau style de vie. Après, une fois que les premières barrières sont franchies, tout devient extrêmement intéressant. Chaque culture révèle une nouvelle facette de la nature humaine. S’accommoder à toutes ces différences enrichit énormément les missionnaires ; un problème peut aussi être la source de nombreuses solutions. Les cadeaux de la nature sont complémentaires. En combinant les talents de manière intelligente, on peut accomplir de grandes choses. La joie des missionnaires est de pouvoir partager l’Evangile avec les tribus, les personnes et les nations, en n’importe quelle langue.

Longtemps, vous avez travaillé à rétablir la paix au sein de groupes ethniques en conflit. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

Si j’ai bien compris une chose en travaillant avec ces rebelles, c’est que chacun se bat pour une bonne cause, du moins d’un point de vue personnel. Je préfère donc attendre avant de ranger des personnes dans des cases et les traiter tout de suite de « terroristes ». Tout le monde a ses propres problèmes, ceux de son peuple, à régler. Le rôle de notre équipe de la paix est de proposer des alternatives à la violence dans la résolution des conflits. Nos opposants ne commencent à nous écouter que lorsqu’ils voient que nous les respectons, que nous compatissons un minimum avec eux, ou que nous comprenons certaines des raisons pour lesquelles ils se battent.

Au bout du compte, la solution est toujours entre leurs mains, nous ne pouvons que leur fournir quelques clés. Il n’est pas facile d’obtenir de ces groupes des compromis sur certains des aspects majeurs de leurs revendications. Mais, petit à petit, la contrainte du vivre ensemble les oblige à se soumettre à un moment ou à un autre. La paix réapparaît quand ces groupes commencent à regarder vers le futur et non plus vers le passé. Notre équipe de la paix a réussi à gérer de manière réussie au moins douze cas de conflits ethniques. Assurer la paix, c’est assurer un futur à la nouvelle génération.

Quels sont les leçons les plus marquantes que vous ayez tirées de toutes vos années de mission dans le Nord-Est de l’Inde ?

La première est qu’il faut viser haut, mais qu’il faut aussi savoir se satisfaire du progrès le plus modeste. Nous devons faire face aux réalités du quotidien et nos marges d’action évoluent en fonction des situations auxquelles nous sommes confrontés. Même lorsque nous n’atteignons pas nos buts et nos idéaux, nous ne devons pas abandonner ou revoir nos objectifs à la baisse. Si ce que nous faisons ne marche pas, alors nous devons revoir nos stratégies, nous remotiver, et continuer de nous battre avec l’enthousiasme des premiers jours.

La deuxième est cette conviction que les problèmes contiennent souvent leurs solutions ; que les sources d’ennuis sont des cadeaux de la nature que nous devrions utiliser pour trouver des solutions ; que les difficultés créent des opportunités inespérées ; que nos inquiétudes sont une invitation à la persévérance et au renforcement de notre détermination ; que Dieu est le maître de l’histoire, qu’Il se tient infailliblement à nos côtés et qu’Il nous suit tout au long de notre vie.

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(eda/ra)