Eglises d'Asie

Chemins de Compostelle : qui sont ces nouveaux pèlerins venus d’Asie ?

Publié le 28/06/2016




Depuis le IXe siècle, des pèlerins affluent de l’Europe entière pour parcourir les routes de France et d’Espagne en direction de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, où, selon la tradition, se trouve le tombeau de l’apôtre de Jésus. Voie royale de la foi des temps jadis, le pèlerinage des chemins de Saint-Jacques connaît aujourd’hui …

… un regain de vitalité, et sa popularité s’étend jusqu’en Asie. Attirant une majorité d’Européens, les statistiques révèlent la participation croissante d’Américains, mais aussi d’Asiatiques. Ils viennent de Corée du Sud, mais aussi du Japon, de Hongkong, de Singapour, de Taiwan et même de Chine continentale.

Selon une dépêche de l’agence AsiaNews, plus de 4 000 Coréens se sont rendus sur les chemins de Saint-Jacques l’année dernière. Loin derrière viennent les pèlerins japonais (environ 300), ceux de Hongkong, puis ceux de Singapour et de Chine. Ces chiffres augmentent d’années en années et les pèlerins venus d’Asie semblent partager un trait commun avec leurs homologues occidentaux : plus que dans une dimension religieuse affirmée, les motivations des pèlerins paraissent ressortir d’une recherche de calme et de réflexion intérieure, voire d’une quête spirituelle sans que celle-ci soit toujours clairement explicitée.

S’agissant de l’importance relative du nombre des pèlerins sud-coréens, on peut penser que les chrétiens représentant une communauté importante dans ce pays (20 % de protestants et 10 % de catholiques sur une population de 50 millions d’habitants), il apparaît logique que certains d’entre eux se mettent en marche vers Compostelle. Nombreux en effet sont les chrétiens coréens qui se rendent en visite en Europe et, parmi les catholiques, ils fréquentent assidûment des lieux tels que Lourdes, Lisieux, le Mont Saint-Michel, la chapelle de la Médaille miraculeuse et celle des Missions Etrangères, rue du Bac, à Paris ; certains souhaitent aller plus loin et se mettent en route, en parcourant à pied les chemins de Saint-Jacques.

La littérature et les séries télévisées abordant le sujet ont beaucoup contribué à accroître la notoriété du pèlerinage. Paulo Coelho notamment, l’auteur brésilien de L’Alchimiste, connaît un véritable succès en Corée depuis qu’il y a été traduit en 2002, et ses écrits ont incité de nombreux Coréens à partir marcher en Espagne. L’auteur s’était inspiré de son propre pèlerinage à Compostelle pour écrire la vie du jeune Santiago, parti à la recherche de sa destinée et de sa « légende personnelle » sur les routes d’Andalousie et d’Egypte. « Si vous écoutez votre cœur, dit l’écrivain, vous savez précisément ce que vous avez à faire sur cette terre. »

Sur les réseaux sociaux, on peut lire : « Nous sommes là [sur les chemins de Saint-Jacques] pour l’aventure et nous accomplir ». Ou bien : « J’en avais assez de mon travail et j’avais besoin de réfléchir ». Ou encore : « J’avais besoin d’être dans un lieu où je pourrais à la fois m’explorer et découvrir quelque chose d’inconnu ».

« C’était le plus beau moment de ma vie. Avant, je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter, et de me livrer à l’introspection. De toute ma carrière, je n’avais jamais pris plus de trois jours de vacances », confie Suh Myung-sook, journaliste sud-coréenne qui a quitté son emploi de rédactrice en chef d’un magazine en vue pour partir parcourir les chemins de Saint-Jacques. « Ce fut l’occasion de 800 kilomètres de marche et de rencontres, entre la France et l’Espagne ».

A son retour, prenant modèle sur les chemins de Compostelle, cette femme a entrepris, en 2007, de créer une vingtaine de chemins de randonnée à Cheju, île située au sud de la péninsule coréenne devenue un haut lieu touristique. Baptisés « chemins Olle », ils serpentent autour de villages isolés, permettent de rencontrer les insulaires et de découvrir la gastronomie locale. En 2011, ils ont attiré près d’un million de marcheurs.

Les Coréens ne sont pas les seuls Asiatiques à rejoindre les rangs des « Jacquets », ainsi que l’on nomme ceux les pèlerins de saint Jacques. Ainsi, un groupe d’une centaine de jeunes de l’université catholique Fu Jen à Taiwan se prépare actuellement à partir marcher sur les chemins de Compostelle. Ken Chen, l’organisateur du groupe, est un grand adepte de ce pèlerinage, et essaie d’étendre sa popularité auprès des laïcs, via les réseaux sociaux. « Les chemins de Saint-Jacques vous font grandir, ils vous amènent à rencontrer des personnes que nous n’auriez jamais pensé pouvoir rencontrer, et ils favorisent une relation plus personnelle avec Dieu ». Depuis la Chine continentale, le P. Zhao Jianmin, du diocèse de Pékin, encourage l’action de Ken Chen, et essaye lui aussi de faire connaître le pèlerinage à travers livres et blogs.

Dans des pays où les communautés catholiques sont très minoritaires (1% au Japon, guère plus en Chine continentale), le pèlerinage ne séduit pas que les chrétiens. Outre l’aspect religieux du pèlerinage, c’est la recherche d’une forme de spiritualité, de transformation intérieure, de dépassement de soi, sans parler du lien à la nature et des amitiés suscitées par le chemin, qui poussent des Asiatiques à franchir quelque 10 000 km en avion pour partir à pied depuis le Puy-en-Velay ou Saint-Jean-Pied-de-Port vers Compostelle.

En Asie existent pourtant des pèlerinages institués de longue date. C’est le cas, par exemple, au Japon où le pèlerinage des 88 temples bouddhistes sur l’île de Shikoku connaît un regain de vitalité depuis quelques années. Il attire une moyenne de 500 000 pèlerins tous les ans (contre 240 000 à Compostelle en 2014), mais rares sont ceux qui le font entièrement à pied, beaucoup préférant le parcourir à vélo, en voiture ou en bus. Le succès grandissant du pèlerinage de Compostelle en Asie semble toutefois ne pas vouloir se démentir.

(eda/mj)