Eglises d'Asie

Jammu-et-Cachemire : des femmes maltraitées retrouvent un statut familial et social grâce au programme d’entreprenariat de la Caritas

Publié le 30/06/2016




Pendant trente ans, Darshana Devi a subi les violences de son mari et de sa belle-famille, dans son village de Bisnah, à 25 kms à l’est de Jammu, dans l’Etat de Jammu-et-Cachemire. Sa vie se résumait à nettoyer, cuisiner et servir à manger à son mari, ses enfants et sa belle-famille, en subissant diverses formes de …

… violences. « Mais ma vie a beaucoup changé depuis cinq ans », confie-t-elle avec un large sourire.

En 2011, Darshana a suivi le programme d’entreprenariat lancé par Catholic Social Service Society (CSSS), la Caritas du diocèse de Jammu-Srinagar, où les participants, par des ateliers d’entraide mutuelle, apprennent les bases nécessaires au démarrage d’une activité économique via l’apprentissage de l’épargne ou la souscription à un microcrédit.

 


Un programme d’entreprenariat atypique

« Ce programme atypique réunit plusieurs femmes pauvres et leur permet de créer leurs propres emplois. En développant la pratique de l’épargne au sein des familles pauvres, nous arrivons à développer la confiance en soi de ces femmes qui prennent conscience qu’elles peuvent elles-mêmes lutter contre la pauvreté en subvenant aux besoins de leur famille, grâce à la création de leur propre activité économique », explique le P. Saiju Chacko, directeur de la Caritas du diocèse, ajoutant que « grâce aux groupes d’entraide, ces femmes apprennent à développer leur propre estime de soi, à éviter le harcèlement et à avoir une vie digne au sein de leur propre famille ».

Depuis, Darshana Devi a ouvert sa propre échoppe de produits alimentaires dans son village, à l’extérieur de sa maison, grâce à un microcrédit à taux zéro de 30 000 roupies (450 euros), contracté auprès de son groupe d’entraide. « Depuis, je l’ai entièrement remboursé, et mon échoppe m’appartient en totalité, affirme-t-elle non sans fierté. Je gagne ma vie pour moi et ma famille et, aujourd’hui, même mon mari et ma belle-famille me traitent avec respect », précise-t-elle, la mine réjouie.

 

La violence domestique et sexuelle, une pratique courante

Dans cet Etat situé à l’extrême-nord de l’Inde, non loin de la frontière pakistanaise, les violences domestiques continuent d’être une pratique courante. Un rapport récent indique que plus de 40 % des femmes sont physiquement ou psychologiquement maltraitées par leur époux ou leur belle-famille.

Durant ces vingt dernières années, 17 000 personnes de la vallée du Cachemire, la plupart des femmes, se sont suicidées. « Un nombre croissant de femmes mettent fin à leurs jours du fait du harcèlement subi de la part de leur belle-famille », indique Abid Wani, une femme chercheur à la Kashmir University de Srinagar. « Néanmoins, il reste difficile d’avoir une estimation précise, puisque ces cas sont, de fait, peu signalés », souligne-t-elle.

Selon Médecins sans frontières, « ces femmes souffrent également de violences sexuelles, une pratique courante au sein des foyers ». Selon l’ONG française, 11,6 % des femmes interrogées par MSF ont répondu avoir été violentées sexuellement au sein de leur foyer.

D’après des médias locaux, les violences à l’encontre des femmes ont même considérablement augmenté durant l’année 2015. La Commission des femmes de l’Etat Jammu-et Cachemire a indiqué avoir reçu une moyenne de quinze plaintes par jour, en 2015, et craint une saturation de ses services.

Comment expliquer ces violences ? Principalement en raison du montant de la dot, jugée trop maigre par la belle-famille, et qui ouvre la porte à toutes formes d’abus vis-à-vis de la bru. « L’argent est en effet la principale cause de ces violences », confirme Abid Wani. Dans la plupart des cas, les belles-familles se plaignent que les promesses d’argent ou de bijoux de la dot étaient insuffisantes.

En 2013, Kamlesh Devi était au bord du divorce. Harcelée et maltraitée par sa belle-famille pour ne pas avoir apporté de dot lors de son mariage, elle a fui avec ses trois enfants et est retournée vivre dans la maison de son père durant cinq mois. C’est pendant ce séjour qu’elle a intégré le programme d’auto-entreprenariat de la Caritas. Son groupe d’entraide l’a formée à la gestion et à la vente de pièces détachées de vélo, puis lui a octroyé un microcrédit de 35 000 roupies (525 euros) afin qu’elle puisse lancer sa propre activité de vente de pièces détachées. « Durant le premier mois de mon activité, j’ai réussi à économiser 5 000 roupies et, chaque mois suivant, j’économisais davantage », raconte Kamlesh Devi. Au bout de trois mois d’activité, sa belle-famille l’a invitée à revenir. « A présent, même mon mari vient m’aider dans mon activité. Nous n’avons plus de problèmes d’argent et en plus, j’ai gagné le respect de mon mari et de ma belle-famille. »

 

Un programme en pleine expansion

Grâce à ce programme d’entreprenariat, de nombreuses femmes ont pu sortir du cycle de la maltraitance domestique tout en devenant actrices du propre développement économique de leur belle-famille, rapporte encore le CSSS. Pourtant, il y a cinq ans, le défi à relever était de taille. « A l’époque, vaincre le complexe d’infériorité de ces femmes était un défi colossal. Il est très difficile de changer les mentalités et les habitudes de ces femmes, car elles ont grandi dans la soumission et le manque de considération. Elles n’étaient pas prêtes psychologiquement à accepter le fait qu’elles pouvaient travailler et gagner leur vie comme les hommes », raconte Madhulika, la responsable du programme.

Aujourd’hui, les mentalités ont commencé à changer et le programme est désormais développé dans neuf régions du Jammu-et-Cachemire, où 478 groupes d’entraides ont été créés. « Trois cent-quarante de ces groupes ont été mis en relation avec des banques, et ces femmes disposent aujourd’hui d’un compte épargne », se réjouit le P. Chacko.

 

©wikipedia

 

Le Jammu-et-Cachemire est le seul Etat à majorité musulmane de l’Union indienne. La vallée du Cachemire est à 96 % musulmane. En revanche, la région du Jammu est hindoue à 87 %, avec une minorité sikh de 8 % et une minorité musulmane de 5 %. Le Ladakh, de culture tibétaine, est, quant à lui, à majorité bouddhiste (81 %), avec une minorité musulmane (15 %). Bien que les chrétiens représentent une très faible minorité, c’est pourtant au Jammu-et-Cachemire, tout comme au Bihar, en Haryana et en Uttar Pradesh, que la proportion du nombre des chrétiens a le plus augmenté, selon le dernier recensement en date, celui de 2011.

(eda/nfb)