Eglises d'Asie – Inde
La présence du Premier ministre Modi à la canonisation de Mère Teresa est-elle envisageable ?
Publié le 09/05/2016
… canonisation de Mère Teresa, qui aura lieu à Rome le 4 septembre prochain, ce soit le Premier ministre en personne qui représente les autorités civiles indiennes lors de cette cérémonie.
En soi, les demandes des évêques indiens, présentées au Premier ministre lors d’une entrevue dans ses bureaux de New Delhi le 25 avril dernier, sont normales : le pape ne se rend en visite dans un pays que s’il y est invité par les autorités civiles et, concernant la canonisation d’un saint à Rome, il est d’usage que le gouvernement du pays où le saint a vécu délègue un représentant. Dans le contexte indien toutefois, la réponse aux demandes des évêques indiens ne va pas de soi. Et, de fait, le Premier ministre ne s’est engagé en rien : selon son porte-parole, le chef de l’exécutif indien a assuré ses visiteurs qu’il considérerait sérieusement leurs demandes et qu’il en référerait à ses collègues du gouvernement.
Sur le fond, on peut se poser la question de savoir si les demandes des évêques indiens ont une chance d’être exaucées. La requête de voir le pape François visiter leur pays renvoie à une actualité récente : le 2 mars dernier, le ministre fédéral pakistanais des Ports et des Affaires maritimes, un catholique, était à Rome, en compagnie du ministre fédéral des Affaires religieuses, un musulman, et les deux responsables étaient chargés d’une lettre de leur Premier ministre, Nawaz Sharif, invitant le pape à venir se rendre en visite dans leur pays. Une fois la lettre remise au pape, les médias pakistanais ont titré sur la nouvelle que le pape avait accepté l’invitation de Nawaz Sharif et qu’une visite papale allait avoir lieu d’ici la fin 2016. En réalité, l’acceptation par le pape de l’invitation qui lui a été faite ne signifie pas qu’une visite est effectivement à l’ordre du jour. Face à la montée des violences islamistes au Pakistan, une telle visite nécessiterait, du seul point de vue de la sécurité, un énorme travail en amont.
Mais si une visite du pape au Pakistan ne semble pas devoir être envisagée dans un proche avenir, une visite du pape en Inde est-elle possible ? Du point de vue des évêques indiens, une telle visite est pastoralement nécessaire : les catholiques représentent entre 16 et 17 millions de fidèles, une toute petite minorité dans un pays très majoritairement hindou de 1,3 milliard d’habitants. La dernière visite d’un pape remonte à 1999, lorsque Jean-Paul II s’était rendu à New Delhi pour donner aux catholiques d’Asie, l’exhortation apostolique Ecclesia in Asia, rédigée à la suite de la tenue, en 1998, du Synode des évêques pour l’Asie. Plus de quinze ans plus tard, les nationalistes hindous, qui, à l’époque, avaient vivement manifesté contre la venue dans leur pays du chef de l’Eglise catholique, sont à nouveau au pouvoir à New Delhi, et leur leader, Narendra Modi, pour affable qu’il puisse paraître, est issu du RSS, le cœur idéologique du BJP, parti dont le programme est de faire de l’Inde une nation hindoue, peu disposée à faire une place à ses minorités religieuses.
Concernant Mère Teresa, la posture du BJP est similaire. Les nationalistes hindous n’ont jamais caché leur hostilité à son endroit, que ce soit de son vivant ou depuis sa mort, en 1997. Conscients de son immense popularité à l’étranger, ils estimaient qu’elle donnait de l’Inde l’image d’un pays pauvre, se résumant aux trottoirs de Calcutta. Mais, plus fondamentalement, ils tenaient son œuvre de présence auprès des plus pauvres d’entre les pauvres, pour une manœuvre visant à les convertir au christianisme, sapant ainsi les fondements hindous de la civilisation indienne. On chercherait en vain dans les discours de Narendra Modi un commentaire marquant son approbation pour l’œuvre de Mère Teresa et les Missionnaires de la Charité. Par conséquent, il apparaît difficile d’envisager que l’actuel Premier ministre de l’Inde puisse représenter son pays à la cérémonie de canonisation du 4 septembre à Rome.
Pour autant, si les visites des évêques indiens auprès du Premier ministre Modi ne parviennent pas à faire en sorte que leur pays invite le pape François à venir sur place ni à ce que le Premier ministre se rende à Rome le 4 septembre prochain, elles ont le mérite de montrer que les relations entre le pouvoir et les chrétiens peuvent être cordiales. Le rapport du département d’Etat américain sur la liberté religieuse dans le monde, rendu public ce 2 mai, indique une aggravation très nette des attaques dirigées contre les chrétiens en Inde : de 120 actes graves répertoriés en 2014, on est passé à 365 actes graves en 2015, soit un par jour dans un pays où les chrétiens représentent un peu plus de 2 % de la population. Des échanges tout sourire entre les évêques catholiques indiens et Narendra Modi soulignent que les évêques entendent maintenir des relations cordiales avec un gouvernement démocratiquement élu, et qu’ils recherchent la coopération plutôt que la confrontation avec celui qui est le chef de file des nationalistes hindous.
(eda/ra)