Eglises d'Asie

L’Eglise catholique appelle à un sursaut civique et moral face à la multiplication des exécutions extrajudiciaires

Publié le 24/08/2016




L’Eglise catholique appelle à un sursaut civique et moral face à la multiplication des exécutions extrajudiciaires qui ensanglantent le pays depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte. Selon des statistiques officielles, près de 1 800 personnes ont ainsi trouvé la mort depuis …

… le 30 juin dernier, date de l’investiture du nouveau chef de l’Etat philippin.

Dans un communiqué du 23 août, la Conférence des Supérieurs Majeurs des Philippines (1) s’est dite « très préoccupée par le silence du gouvernement, du monde politique et des Philippins, face à la recrudescence des assassinats extrajudiciaires ».

Un plaidoyer pour la justice

« Ce manque général d’indignation est-il un acquiescement tacite à ces nouvelles méthodes, ou est-ce par peur que les gens ne réagissent pas ? », s’interrogent les responsables religieux. « Si ces actions ne sont pas contestées, elles créeront et favoriseront un climat d’impunité », ont-ils averti, précisant que s’ils soutenaient la « croisade du gouvernement contre le trafic de stupéfiants », ils s’alarmaient de la recrudescence de ces assassinats qui ne sont suivis d’aucune enquête, ni de poursuites judiciaires.

Selon le chef de la police nationale philippine (PNP), Ronald de la Rosa, près de 1 800 personnes ont été tuées depuis l’arrivée du nouveau président. En déclarant la guerre ouverte aux narcotrafiquants, Rodrigo Duterte a affirmé donner à la police le droit de « tirer pour tuer » lors des opérations commandos et contre ceux qui résisteraient par la violence aux arrestations. « Si vous résistez, si vous faites preuve de résistance violente, mes ordres à la police seront de tirer pour tuer », avait-t-il averti.

Selon les statistiques de la PNP, depuis le 1er juillet dernier, 712 trafiquants ou consommateurs de stupéfiants ont été abattus par les forces de police et 1 067 meurtres n’ont pas encore été élucidés. D’après Ronald de la Rosa, ces meurtres étaient justifiés par la résistance des criminels lors de leur arrestation.

« En tant que personnes consacrées, nous croyons à l’Etat de droit et au fonctionnement de la justice (…). C’est pour cela que nous appelons les autorités à lutter contre la corruption qui gangrène nos forces de sécurité tout comme notre système judiciaire », ont-ils ajouté précisant que les responsables religieux « encourageront les initiatives visant à réformer le système judiciaire tout comme les propositions de développement des centres d’accueil pour toxicomanes. Nous ferons également dire des messes et organiseront des veillées de prière pour que paix et justice prévalent dans les communautés touchées par ses assassinats », ont-ils précisé.

Des chiffres alarmants

Ce n’est pas la première fois que l’Eglise catholique s’indigne des méthodes expéditives utilisées par Rodrigo Duterte pour lutter contre le trafic de drogues aux Philippines. En juin dernier déjà, les évêques avaient demandé la fin de ces exécutions extrajudiciaires, qui n’en étaient alors qu’à leur début.

Selon le chef de la police nationale philippine, interviewé par le quotidien Philippine Daily Inquirer, le 24 août, près de 674 000 toxicomanes se sont rendus à la police par crainte d’être tués, et 11 784 dealers ont été arrêtés, durant les opérations anti-drogue de l’été.

A Metro Manila, la plus importante plaque tournante philippine en matière de trafic de drogues, la police a procédé à 230 perquisitions en un mois et demi. 38 766 personnes se sont rendues aux autorités, 2 927 dealers ont été arrêtés et 230 personnes ont été tuées lors des raids de polices.

Pour l’opposition et certains adversaires de Rodrigo Duterte, qui ont ouvert une enquête parlementaire, ces méthodes affectent avant tout les petits dealers de rue et les toxicomanes, mais ne touchent pas les riches et grands barons de la drogue qui, eux, disposent de moyens pour se payer des milices privées et peuvent négocier avec les forces de police.

Des Eglises appelées à accueillir les toxicomanes

Depuis, certains évêques catholiques philippins ont appelé les diocèses et les paroisses à ouvrir les portes de leurs églises aux toxicomanes et à créer des centres d’accueil pour leur venir en aide. « En tant qu’Eglise, nous ne pouvons rester indifférents à cette réalité. La drogue prend racines dans la pauvreté, la misère, la cupidité et l’abus de pouvoir. C’est devenu un véritable fléau qui gangrène notre société entière », a affirmé Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, sur l’île de Mindanao.

Dans son archidiocèse, Mgr Ledesma a invité son clergé et les fidèles à « ouvrir des centres d’accueil pour développer des programmes de réhabilitation » en faveur des victimes de la drogue. « Nos communautés sont appelées à devenir des îlots de miséricorde, des hôpitaux de campagne, comme nous l’a rappelé le pape François », a-t-il souligné.

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Carte : googlemap

« Une des possibilités à court terme est d’organiser des équipes médicales qui pourront venir en aide aux personnes concernées », a pour sa part déclaré Mgr Renato Mayugba, évêque de Laoag, au nord-ouest de l’île de Luzon, précisant que « si l’Eglise travaille au coude à coude avec les institutions judiciaires, alors il sera plus facile de créer de tels centres ».

Selon le sénateur Ralph Recto, cette guerre contre la drogue doit absolument s’accompagner du développement de nouveaux centres de désintoxication pour accueillir les quelque 600 000 toxicomanes philippins. Selon des statistiques officielles, seuls 45 centres de désintoxication existent dans le pays (18 publics et 27 privés), avec une capacité d’accueil totale de 3 216 lits.

(eda/nfb)